From the Abbés Chalut and Arnoux (unpublished)
Paris 9 decembre 1786

M. Grand nous a remis de votre part, notre cher et respectable ami, trois pains de savon vegetal. Nous sommes très reconnoissants de votre souvenir et de votre don. Il seroit bien flatteur pour nous de faire quelque chose qui vous fut agreable; vous sçavez que notre amitié pour vous est à vos ordres et à votre service; plus vous la ferez valoir, plus vous nous ferez plaisir.

Vous voila au sein de votre patrie et chez votre famille, vous voila libre et heureux, jouissez [de] longues années de votre bonheur. Votre Liberté chatouille agreablement notre imagination, mais notre coeur est loin de l’espoir de jouir de ce precieux don de la nature, nous avons perdu dans nos fers, comme le dit jean jacques, jusqu’au sentiment de notre liberté, nous ne sommes plus sensibles qu’aux plaisirs de nos vices; notre seule consolation est de sçavoir qu’il existe dans votre monde un pais où l’homme est assuré de jouir de tous ses droits sous la protection des loix qui sont son propre ouvrage. Quand l’excès de nos maux fera naitre le desir de la liberté, nous traverserons [les] mers pour aller nous mettre sous sa banniere vous accueillerez le malheureux qui cessera de l’être quand il partagera votre sort.

Les regrets que votre depart a causés existent toujours, vos amis, vous sçavez que le nombre n’en est pas petit, voudroient vous posseder encore, philosophes, gens de lettres, artistes, paisibles bourgeois, tous vous desirent; vous ne pouvez pas satisfaire à leurs desirs, ils esperent au moins que vous ne perdrez jamais leur souvenir des sentiments que vous leur avez inspirés et qu’ils conserveront toute leur vie.

Vous sçavez par les papiers publics tout ce qui se passe en hollande, les affaires y paroissent aujourd’hui degenerer en guerre de plume; cette arme ne vaut pas l’épée, un citoyen a deja perdu la moitié de sa liberté quand il prefere la plume à l’épée. Le Stathouder n’est que le premier sujet de la Republique, il n’a cessé depuis sa creation, d’étendre ses prerogatives; cette usurpation a excité des reclamations, Dieu veuille que l’intrigue et la cabale ne les rendent pas vaines. Un chef hereditaire dans une republique est et ne peut être qu’un ennemi de la Liberté; vos sages constitutions vous mettent à l’abri de ce danger; mais vous n’etes pas moins obligés de veiller toujours sur vos droits, si vous vous endormiez, les vices que vous avez enchaines, se reveilleroient, ils vous donneroient les fers qu’ils auroient brisés pendant votre someil.

Pardonnez-nous notre temerité, si nous osons donner des conseils a la sagesse, vous sçavez mieux que nous ce que vaut la Liberté, vous qui l’avez acquise aux depends de votre sang, vous sçaurez bien la conserver et la rendre éternelle.

Nous sçavons par M. Jefferson et par M. Grand que vous vous portez bien, nous demandons de vos nouvelles à tous ceux qui arrivent des Etats unis; n’oubliez pas que vous nous avez promis de nous adresser vos amis qui viendroient en france; nous n’avons encore vu personne de votre part, ne craignez pas de nous les recommander, votre recommandation sera toujours un sur garant du bon accueil que notre amitié pour vous leur fera.

Vous avez sans doute égaré le petit memoire que nous eumes l’honneur de vous remettre avant votre depart pour l’amerique. M. humbert Gerbier un de nos amis et Medecin de Monsieur frere du Roi demandoit dans ce memoire, d’avoir l’honneur d’étre un des membres de la société philosophique de philadelphie, vous eutes la bonté de nous promettre vos bons offices pour lui procurer cette satisfaction et cet honneur, nous vous remismes de sa part deux petits ouvrages relatifs à son etat, qu’il avoit donnés au public, permettez nous de reclamer votre amitié pour obtenir ce que M. humbert Gerbier demande et de vous prier de nous faire parvenir son association à votre société philosophique; ses talents, ses connoissances et ses vertus le rendent digne de cet honneur.

Nous avons remis à M. jefferson le portrait de feu M. l’abbé de Mably notre ami et le votre, il [s’est] chargé de vous le faire parvenir; nous avons pensé que vous seriez bien aise d’avoir le portrait d’un grand ecrivain dont vous aimiez la personne et dont vous estimiez les ouvrages.

Nous avons l’honneur d’être avec des sentiments d’estime d’amitié et de respect. Notre cher ami, vos très humbles et très obeissants serviteurs

l’Abbé chalut    l’Abbé Arnoux

Nous prions M. votre petit fils de recevoir l’assurance de notre amitié, et nous esperons qu’un jour sa patrie fera valoir ses talents que vous avez cultivés avec tant de soin et de succès et les vertus que votre exemple lui a inspirées et qu’elle l’appellera à la place que [vous] avez occupée en france avec tant de succès et tant de gloire.
643418 = 044-u432.html