From "Louis Pierre Bilon" (unpublished)
Lyon, ce 1er janvier 1780.
Monsieur,

Je n’ai aucun titre à faire valoir pour excuser ma lettre, à moins que l’infortune occasionnée par les peines et les chagrins en soit un. Si cela est, ce ne peut être qu’envers les hommes qui sont au dessus de leurs semblables. Il y a long-tems, Monsieur, que vous en êtes distingué; voilà la cause de la confiance avec laquelle je m’addresse à vous.

Je suis un jeune homme né de parents honnêtes. Mon père et ma mère qui ne sont plus, m’ont laissé une fortune plus que suffisante pour vivre honorablement dans mon état. Je suis dans le commerce depuis quelques années, chef d’une maison très bien accréditée, et jouissant de la premiere considération soit par son ancienneté, soit par la nature de ses affaires, qui lui ont toujours procuré les relations les plus honorables. Nos affaires totalement indépendantes des circonstances actuelles, nous promettent les plus grands succès. Malgré cela, Monsieur, je suis malheureux, et je le suis d’autant plus que je le suis par ma faute. J’ai le coeur et l’esprit tourmentés par les remords que me laisse une faute que j’ai commise contre l’honnêteté. Je ne vous dirai point quelle est cette faute, la seule conséquente de ma vie; mais soyez persuadé que, telle qu’elle soit, mes remords caractérisent un coeur honnête, et si jamais j’ai la consolation de pouvoir vous en instruire en détail, vous ne pourrez me refuser votre pitié, et peut être ne me croirez-vous pas tout-à-fait indigne de votre estime.

J’atteste Dieu que ce que je viens d’écrire est vrai.

Dans cette position la vie m’est insuportable; et soit foiblesse, soit crainte, je n’ose m’en défaire, d’autant mieux que mes maux ne sont pas tout à fait sans remede. Il y a des moments où je voudrois fuir; mais en quittant ma patrie, je voudrois m’éloigner d’elle, assez pour pouvoir l’oublier. Je voudrois changer d’hémisphére. Je ne vois point d’asile qui me convien mieux que Philadelphie ou telle autre ville des Etats dont vous êtes le Créateur, le chef, etc. Je vous demande, Monsieur, si vous voudriez m’aider dans mon projet; toute fois après que vous aurez pris information de ce que je suis, et que vous serez persuadé que je ne serai pas à charge aux Etats, que je pourrai même peut être leur être utile. L’éducation que j’ai reçue, les études que j’ai faites et mon amour pour le travail pourroient contribuer à cela.

Dans l’incertitude de ce que sera votre réponse, j’ai cru devoir prendre un nom emprunté. Mais si vous voulez bien me promettre votre protection, quand vous aurez des preuves certaines de la vérité de ce que j’ai l’honneur de vous écrire; alors, je vous dirai qui je suis, et il vous sera aisé de prendre toutes les informations nécessaires, aprés lesquelles seulement je demande que vous m’aidiez à me procurer le moyen de me rendre la vie supportable.

Je suis totalement libre; en quittant mon pays, je ne crois faire tort à personne, pas même à mes Associés, leur étant aisé de me remplacer, et promettant de ne point les gêner pour le remboursement de mes fonds, étant porté à faire des sacrifices à cet égard.

Mon coeur vient de se soulager un peu en vous écrivant. C’est la seule consolation que j’éprouve depuis quelque tems, que celle de pouvoir vous assurer, quoique sous un nom emprunté, que je partage avec le monde entier les sentiments d’estime et d’admiration que vous lui inspirez, et que je suis avec un respect infini, Monsieur, Votre très humble et très obéissant serviteur

Louis Pierre Bilon n[égociant]
poste restante
Endorsed: Louis Pierre Bilon Jan 1. 79 [sic]
633694 = 031-327a001.html