From “Jonathan Poop” (unpublished)

[In another hand, at the top of the letter:]

Sir,

a philosopher must take the greatest care of being influenced by the false reasonings of a rhetor and not to depend to settle his judgement upon the fictitious narration of a partial lawyer in a Case wherein the honour of tree cleaver and honest officers is concerned.

Vous venés de voir, monsieur, jusqu’oû peut aller l’abus redoutable de l’éloquence, et combien ceux qui possédent cet art enchanteur, sont disposés à le faire servir à la ruine de la vérité et de la justice. Il me semble que les orateurs du Barreau sont bien plus flattés d’émouvoir et de surprendre le public et les juges, que de répandre avec bonne foi un jour décisif sur des questions devenues intriquées par la multiplicité des formes judiciaires. La qualité la plus brillante d’un avocat est à la vérité l’art de bien dire; mais la plus exacte intégrité est la vertu qui interesse le plus la societé, et qui est le plus digne de l’estime des juges. Vir probus dicendi peritus, telle est la définition de l’orateur: pourquoi au lieu d’ourdir à force de travail une narration trompeuse, ne pas mettre sous les yeux du lecteur les actes qui doivent fixer l’opinion des juges? Pourquoi jetter un voile nouveau sur des faits qu’il convient d’éclaircir? Des procédés aussi contraires décelent la marche de l’iniquité, et vous seriés séduit par le prestige de tels moiens! Si l’orateur que vous avés admiré avec le public n’avoit voulu que faire connoître la vérité, il auroit fait imprimer la procédure et imiter l’exemple que lui ont donné les officiers qu’il diffame; mais on a lieu de croire qu’il n’a blamé leur conduite que pour se dispenser d’imiter leur franchise: le ton du roman convient mieux à sa cause.

L’orateur empoulé qui domine au Barreau a osé justifier un assassin d’un coup de pistolet tiré furtivement à un galant homme, qui pour lui présenter un combat égal, avoit jetté à ses pieds une arme semblable à celle qu’il s’étoit réservée; il a loué la prudence avec laquelle il a fait un pas rétrograde pour mieux prendre ses avantages, et pour se servir de son pistolet dans le moment même ou son adv[ersaire] croioit n’avoir à faire qu’à une arme blanche; il aprouve ce pro[cédé] avec d’autant plus d’entousiasme, que celui qui étoit l’objet de sa fu[reur] étoit retenu dans ce moment, et qu’il pouvoit l’assassiner avec plus de certitude; il pousse plus loin les efforts de son éloquente dialectique, il soutient qu’un officier distingué par mille actions généreuses, a dû ê[tre] décrété de prise de corps pour n’avoir pas digéré, sans sourciller, des a[irs,] des gestes menacans, et pour avoir proposé un combat égal qui n’a été suivi d’aucun effet; il dissimule habilement les conseils qu’il donna à l’accusateur de se retirer après une premiere action qui avoit été ter[minée] par un leger coup de sabre qu’il reçut sur la lèvre supérieure; il f[ut d’une] réticence non moins adroite, en ne disant pas que cet officier retenoit [  ] par le bras lorsqu’il fut atteint du coup de pistolet; il tonne avec une véhémence inouie, parce qu’un seul témoin dépose qu’après le coup de pistolet tiré, on l’entendit crier, tue le, tue le, et qu’un autre témoin raporte lui avoir entendu dire que cette affaire n’auroit pas eû lieu [s’il] l’avoit tué l’avant veille, comme il en étoit le maitre; et oubliant qu’un [seul] témoin ne prouve rien, et que les propos dont il s’agit, sont déniés par l’a[utre] il bâtit sur cette Baze artificielle des paralogismes révoltans. Enfin ce leste orateur a dépeint le militaire, qu’il est chargé de dénigrer, comme [un] tigre alteré de sang. Il lui a prodigué toutes les epithétes d’une réto[rique] abondante et licentieuse; et pourquoi! Parce que cet officier étant en [droit] de penser que l’assassin de son frère avoit pris toutes les précautions do[nt un] lâche est capable, se rendit dans la chambre ou il avoit été porté, entr’o[uvrit] sa chemise, le visita et sortit dans l’instant. Il n’y a même qu’a lire comment ce fait est raporté par les témoins choisis et préparés par l’accu[sateur.] Cet officier n’est-il pas bien punissable, ne mérite-t-il pas le decret qui le [frappe] pour n’avoir pas été attendri jusqu’aux larmes, sur l’état d’un misérable [qui] venoit d’assassiner son frere?

Il faut convenir, monsieur, que l’empire de l’éloquence est tiranique [et] que ses droits sont bien étendus. Par leur influence on peut tronquer les [ ,] violer les vraisemblances, combiner les circonstances qui sont sans raport entr’elles, et en former un ensemble spécieux; convertir l’assassiné en ass[assin,] mettre sur la tête du coupable une couronne de gloire, et exciter en sa faveur l’entousiasme le plus véhément.

Voila certainement jusqu’oû a été la licence de l’orateur qui vous a inspiré le désir de l’entendre. De trois frères qui ont servis avec honneur dans les troupes du Roi, et qui ont bien mérité de leurs concitoiens, l’un a été constament sans armes, a joué un role toujours passif, et s’est même montré attentif à prévenir l’action qui a donné lieu au procès; l’autre après avoir fait à son adversaire une egratignure legére, se retire du lieu du combat, aiant une balaffre sur le visage: il n’y étoit déja plus lorsque le troisieme attiré par les propos et les ménaces de l’accusateur, vole vers lui, et lui offre un second combat qui n’est pas accepté.

Il faut une grande habileté à dire, pour faire adopter des impostures évidemment démenties par les pieces du procès. Qu’il fasse imprimer les dépositions sans lacune, et que le public juge sa véracité!

Je ne dois pas omettre de parler de la premiere action: elle se passa avec le plus jeune des trois officiers. Sa délicatesse et les principes de l’état qu’il a embrassé, ne lui permirent pas de souffrir que son adversaire déclarât à haute voix qu’il etoit le plus grand J.F. qui existât; il se présenta au combat avec un demi sabre qui avoit à la vérité un avantage de six lignes de longueur sur le damas qui lui etoit opposé, tandis qu’il lui étoit inferieur, soit du coté du tranchant, soit à cause de l’excellence de la trempe; il se retire dés que son adversaire est désarmé, il se retire plus grievement blessé, et cepandant il est produit comme un assassin. O avocats, souvenés vous de la définition de l’orateur: vir probus dicendi peritus.

Non content d’avoir répandu sur tous les faits de la procédure des nuâges trompeurs, nôtre démosthene a employé les raisonnemens les plus bisares: il ose leur faire un crime d’avoir fait imprimer la procédure. Ils n’avoient que ce moien pour arrêter la prévention que la calomnie s’efforçoit de propager, il vouloit décrier les romans de leurs parties, en mettant la vérité à portée d’etre connüe du public. Mais, hélas! ils ont éprouvé que la vérité accompagnée de tout ce que les formes ont de rebutant, a moins de force que les fables composées avec art, quoique sans vrai-semblance.

Mais comment l’orateur s’est-il si fort apésanti contre la contravention de ces officiers à l’ordonnance de 1670. Lui dont la partie a eu également la copie de la procédure, puisqu’il a collationné sur l’original les copies imp[rimées] qui en ont été faites; lui qui a soutenu avec tous les défenseurs des droits de l’humanité, qu’il seroit de la justice de nôtre législateur de tempérer la sévér[ité] de nos loix criminelles, et de donner au moins aux accusés une connoissance particuliere de la plainte et des charges! D’après ces variations et d’après [cet] exemple jugés, Monsieur, si l’éloquence du Barreau est plus utile que [contraire?] à la décision des affaires.

Je ne puis trop vous inviter, Monsieur, à vous garantir de l’exposition in’éxacte que l’on fait de cette affaire. Non ce ne sont point trois officiers [ ] pour venger par des traitemens cruels l’omission d’un coup de chapeau. [Les] officiers français sont sensibles, et ils ne sont jamais féroces. Leur carac[tère] de bravoure et de générosité ne sera jamais méconnu, quelque soit la rage de leurs détracteurs.

Ce n’est pas le refus d’un salut qui a donné lieu au proces, les officiers que l’on outrage n’ont jamais été jaloux de cette petite Bienséance et les bras de leur accusateur seroient intacts s’il s’etoit contenté de [passer?] sans affectation et sans jetter des regards injurieux et menacans sur des militaires qu’il vouloit outrager. Que n’avoit-il les manieres simples et modestes qui conviennent à son état? Pourquoi a t-il voulu se montrer insolent et querelleur? Pourquoi n’a t-il pas plutot mis sa gloire dans [les] vertus de son état, qu’a courir les hazards d’un combat singulier! Il [n’a] cesse de dénoncer ses adversaires pour des gens furieux et emportés; et tout [montre?] dans la procédure qu’au lieu de les éviter, il a tout fait pour avoir des alter[cations] avec eux.

Veuillés donc, Monsieur, lire la procédure, et vous vous convaincrés que toutes les circonstances qu’on a relevées avec soin ne composoient qu’une [rixe] presqu’indifferente jusqu’au coup de pistolet, et qu’il n’a tenu qu’a l’accu[sateur] d’eviter l’officier sur lequel il a tiré. Tout se réduit donc à scavoir s’il a [tiré] son coup, parce qu’il y étoit forcé par la nécéssité de sa défense, et d’ap[rès] une notification préalable, ou bien si les blessures qu’il étalle sont [la] peine qu’a mérité l’action la plus lâche qu’il pû commettre. Ce point n’interesse que l’officier frappé de la bale et l’accusateur.

I am sir your most humble and obedient servant

jonathan poop

paris the 19th of march 1778.
629369 = 026-131b001.html