From Witel & Fauche (unpublished)
Neufchatel en suisse le 24e 8bre 1784
Monsieur

C’est avec la confiance que doit inspirer le Législateur de la Nation la plus sage, que nous prenons la liberté de solliciter vos conseils et vos avis sur un projet chéri et qui nous occupe tout entier depuis quelques années; nos desirs et nos voeux ne tendent qu’a l’effectuer; mais pour cela nous avons besoin de directions et nous n’avons pas balancé a vous les demander Monsieur, puisque vous seul pouvez nous les répartir. Et vos vertus que tout le monde admire, ne nous laissent aucun doute sur vôtre bonne volonté.

Nous sommes imprimeurs et Libraires; quoique nés dans un de ces gouvernemens qu’on appelle sages et moderés dans notre Europe, depuis l’heureuse révolution de l’Amérique, nous avons constamment jeté des yeux de convoitise sur cette nouvelle Terre promise; Nous avons lu avec avidité tout ce qui rend cette fortunée Republique si interessante et enfin pour pouvoir exécuter une entreprise depuis longtemps projettée, nous n’avons négligé aucun moyen pour nous en faciliter l’exécution. Pour cet effet nous nous sommes fait un fonds d’environ 20000 l.t. de france en ouvrages les plus estimables et les plus utiles. Nous nous proposerions de passer dans l’une des Provinces des Etats-unis, qui pourroit le mieux convenir à notre vocation et procurer l’écoulement le plus avantageux à nos Marchandises, tandis que notre troisieme en attendant de nos nouvelles realiseroit en espèces ce qui nous reste tant de notre fabrique qu’en meubles et autres effets inexportables.

Nous pensons que les deux voyageurs arrivant en Amerique avec cette cargaison et surtout si nous avions le bonheur de mériter votre protection et d’obtenir une aussi puissante recommandation que la votre, ils parviendroient à se procurer un établissement que notre zèle, nos foibles lumieres et notre Patriotisme rendroit utile à nos nouveaux compatriotes comme à nous mêmes. Nous ne porterons point dans cette nouvelle patrie les vertus brillantes qui ne se rencontrent que chez les ames privilégiées et qu’on admire sans jalousie; mais des moeurs simples, des coeurs droits, des ames sensibles et aimantes et surtout la disposition la plus décidée a chérir nos nouveaux frères et a respecter leurs Loix.

Notre troisieme associé écrivain de la présente et qui a eu l’inapréciable avantage de vous voir et de vous parler en 1778 est marié et a deux fils et une fille c’est lui qui seroit chargé de mettre définitivement ordre à nos affaires dans ce pays et qui ne nous joindroit que lorsque nous aurions un établissement trouvé et presqu’assuré en amerique. Il laisseroit à nos Parens l’un de ses enfans qui fait les délices de son ayeul. Nous sommes tous les trois frères et beaux frères; ainsi le sang, l’amitié et les interêts nous unissent.

Si vous daignez nous honnorer d’une réponse et que nous soyons assez heureux pour obtenir votre bienveillance, nos deux voyageurs partiroient pour Paris, munis de tous les titres et de tous les actes de creance et d’authenticité nécessaires, pour acquerir l’honneur de votre confiance. Et si dès ce moment nous ne satisfaisons pas à cette formalité indispensable, c’est quil est besoin que préalablement, nous sachions si vous voulez bien nous être favorable afin que nous ne fassions pas des démarches auprès de nos magistrats, qui, en faisant connoitre nos intentions, seroient peut être inutiles.

Nous ignorons entièrement quelle contrée il nous conviendroit choisir des treize provinces unies. Aucune ne nous seroit indifferente, mais nous chercherions la convenance rélativement à nos talens et à nos moyens. Personne au monde ne peut nous diriger comme vous Monsieur et nous implorons instamment cette grace de vôtre part.

En ayant l’honneur de vous présenter notre respectueux dévouement à Paris, nous aurions celui de vous donner un catalogue des ouvrages qui composent notre fonds. Nous y ferions les suppressions ou augmentations que vous jugeriez convenables.

Pardonnez Monsieur à notre prolixité et veuillez en faveur de l’intention, que nous croyons louable, passer avec indulgence sur ce qu’il peut y avoir d’irregulier et de trop hardi dans notre démarche. Nous demeurons avec un profond respect Monsieur Vos trés humbles et obeissans serviteurs

Witel et Fauche

Endorsed: Peuche 24 Oct. 1784
641661 = 042-u336.html