From — la Sablière de la Condamine (unpublished)
à calet le 12 avril 1784

Que je vous sais gré, monsieur, d’avoir bien voulu prendre la peine de me répondre, malgré les grandes et importantes occupations dont je vous suppose environné! Vos travaux littéraires et politiques m’avoient inspiré pour vous, monsieur, de profonds sentimens de respect et d’estime; vous venez d’y ajoûter ceux de l’amour et de la reconnoissance; je vous admirois, je vous respectois comme un grand homme, je vous vénère, je vous chéris maintenant comme un père! Pardonnez, monsieur, je vous supplie, cet épanchement naïf d’un coeur trop plein.

Ce que vous me dites, monsieur, au sujet de comus, de mesmer, des remèdes et des malades m’a paru très raisonnable et très vraï; cela pourroit me fournir matiere a bien des réflexions, je les supprime pour ne pas abuser de vôtre complaisance ni de vos momens précieux.

J’avois oublié dans ma précédente lettre de vous parler aussi des prodiges prétendus du chevalier graham à londres, de sa musique divine, de son lit célestial, etc. etc. c’est bien une autre histoire cela! Si tout ce qu’on débite étoit vrai, les comus et les mesmer ne seroient que de bien petits garçons auprès de lui; mais je ne vois dans tout ce merveilleux prétendu que du charlatanisme raffiné pour éblouir les sots et faire des dupes.

Vous ne m’avez rien répondu, monsieur, au sujet du voyage de paris? Je suis cependant décidé à le faire, des que l’état de mes finances et de ma santé pourront me le permettre, ne fut-ce que pour jouir du bonheur de vous voir, et de vous présenter mes hommages en personne. Alors je pourrai dire comme le st. homme simeon: nunc dimitte, etc.

Voici encore, monsieur, une rapsodie fruit de l’oisiveté d’un pauvre convalescent, que je prends la liberté de vous addresser. Je vous prie, monsieur, si vous jugez à propos de la faire insérer dans le journal encyclopédique dans lequel a été consignée l’annonce qui y a donné lieu, je vous prie, dis-je, d’avoir la bonté de l’envoyer aux auteurs, ou au bureau du dit journal.

Je suis avec un profond respect, Monsieur, Votre très humble et obéissant serviteur

Lacondamine

p.s. J’avois demandé des renseignemens sur l’origine de bletton à un homme à portée de s’instruire sur les lieux; j’en reçois la réponse dans le moment, et je la joins ici, pour que vous puissiez, monsieur, voir et juger par vous-même. Vous y verrez que le berceau de bletton, comme celui de tous les hommes extraordinaires a été entouré d’une espèce de merveilleux: qu’en faut-il croire? C’est à vous, monsieur, qu’il appartient de prononcer. Au reste, je ne sâche pas qu’il soit question de ces sortes de gens-là dans les autres pays. Les françois auroient-ils le privilège exclusif, et parmi ceux-cy, les dauphinois seroient-ils plus spécialement privilégiés que ceux des autres provinces du royaume? Cette question (supposé qu’il y ait lieu à la faire) pourroit être ajoûtée à la fin de mon mémoire. Pardon, monsieur, j’abuse de votre patience, et je finis en vous réiterant les assurances de tous les sentimens dont je suis pénétré pour vôtre sçavoir, votre mérite et vos vertus.
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