From Louis-Guillaume Le Veillard (unpublished)
Le 1er Juin 1786
Mon cher amy,

On a jugé l’homme rouge, il est entierement dechargé, le comte et la comtesse de Cagliostro le sont aussi; la dame de la Motte, l’éleve de cette pauvre Madame de Boulainvilliers est condamnée a estre fouéttée, marquée, razée capite tantum et enfermée a l’hopital; Mr. de la Motte aussi fouetté et marqué, mais comme il ne s’en soucie pas il s’est mis en sureté, le Sieur Vilette leur complice est banni du Royaume et Melle Doliva hors de cour; le lendemain le Prince evêque a eu la maladresse de ne pas renvoyer assez tot au roy la demission de sa charge de grand aumonier et le cordon bleu qu’il n’avoit qu’a cause de cette place a laquelle est réünie celle d’aumonier de l’ordre, Mr. de Breteuil luy a demande l’un et l’autre de la part du Roy qui éxile le prelat a son abbaye de la chaise dieu en auvergne; Mr. de Montmorency évêque de Metz et futur cardinal sera dit-on grand aumonier.

Suivant l’usage observé de temps immémorial, on raisonne a tort et a travers sur le jugement et les ordres du Roy; pour un assez grand nombre de gens illuminés par la charité la mieux entendue, le cardinal de Rohan est devenu l’estre le plus intéressant; on luy forge un grand mérite, on transforme un leger bobo qu’il a au genouil en un mal des plus graves, du a sa prison et pour lequel le savant Cagliostro prétend qu’on luy coupera la cuisse, on pleure d’attendrissement et de compassion et on se recrie sur la sévérité du prince a qui on attribue même des dispositions et des rigueurs auxquelles il ne paroist pas qu’il ait pensé; d’autres, ce sont des coeurs durs, des inhumains, trouvent bien étonnant que dans une affaire ou la critique la plus severe ne peut pas supposer le plus leger tort a la Reine, ou elle et par conséquent le Roy sont griévement offensés, ou ce dernier a scrupuleusement fait observer les loix, tandis que le cardinal dont la conduite antérieure n’étoit pas irréprochable a montré et avoué l’étourderie, la légereté, l’imprudence et l’incirconspéction les plus impardonnables, le parlement au lieu de luy faire au moins l’injonction d’estre plus circonspéct, l’ait au contraire déchargé c’est a dire fait triompher autant qu’il étoit possible; les mêmes gens conçoivent que le Roy pourroit prendre les plus facheuses impréssions sur les magistrats, croire qu’étant si peu justes a son égard, ils doivent l’estre beaucoup moins encore pour Les peuples, et, si son âme éloignée du déspotisme ne l’en détournoit pas, partir de la pour rendre luy même ou faire rendre la justice par le moyen odieux des commissions.

Vingt-et-un-juin

Madame de la Motte vient d’estre éxécutée et renfermée a l’hopital de la salpetriere; elle a combattu vigoureusement pour eviter le fer rouge, de sorte qu’on pretend qu’elle est marquée dans un tout autre endroit que celuy ou son empreinte a coutume d’estre mise.

Vous apprendrez sans doute avéc peine la mort de Mr. de la Motte, non pas le mary de celle dont je viens de parler mais de celuy qui a été chez vous, qui etoit doux et honête, et qui se repentoit vivement de la sottize qu’il avoit faite de ne pas aller avéc vous en amérique.

29 juin

Le Roy arrive de son premier Voyage, il a été a Cherbourg voir couler deux    de la a Caen, au havre, a Rouen diner chez le cardinal de la Rochefoucauld et a Gaillon souper et coucher dans le belle maison ou on nous a si bien reçus, enfin a Versailles; il a fait tres agreablement ce voyage, on a temoigné la plus grande joye sur son passage et partout, a toutes sortes d’egards, il s’est conduit de maniere a se faire aimer; il faut éspérer qu’a présent il ira voir les invalides.

Le Duc de la Rochefoucauld a qui j’avois communiqué la partie politique de vostre lettre ou vous parlez de l’état actuel de l’amérique m’a demandé, de la part d’un americain a qui il l’avoit montrée, qu’elle fut imprimée comme extrait d’une de vos lettres addressée a moy, pour répondre aux papiers anglois; quoyque je n’y visse pas d’inconvénient je n’ai pas voulu y donner les mains sans vostre permission; marquez moy, je vous prie, si vous y consentez, ou encore mieux envoyez moy un morceau déstiné a remplir cet objet.

On ma prété ces jours cy un livre anglais ayant pour titre: observations on a late publication intituled Thoughts on éxécutive justice wich is added a letter containing remarks on the same; cette lettre est de vous, mon cher amy, et m’a fait grand plaisir, j’y ai reconnu plusieurs quéstions que nous avions agitées ensemble; cependant vous y dites qu’il vaut mieux que mille coupables s’échapent que de risquer de faire perir un innocent et vous ajoutez que ce principe n’a jamais été combattu par personne: sans doute il a pour luy le premier cri de l’humanite qui n’est affectée que de l’affreux malheur qu’il présente sans songer a ceux qu’il peut entrainer; je ne crois pas la proposition rigoureusement vraye, je pense même que le plus léger éxamen suffit pour faire concevoir qu’elle renverseroit toute espéce de justice criminelle sans laquelle aucunes sociétes ne pourroient subsister, car il faut bien qu’elle admette des preuves et quelques convaincantes qu’elle les exige, elles ne peuvent estre que des probabilités; dans un grand nombre de procès criminels jugés par des hommes les probabilités doivent necessairement les conduire quelquefois a l’erreur et a la condamnation d’un innocent, c’est un inconvenient, terrible sans doute, mais qu’il faut mettre au nombre de ceux qu’entraine la société et auxquels il faut bien se soumettre pour jouir [de ses] avantages; enfin mille coupables échapés tueront, peutestre d’une maniere cruelle, dix honestes gens aussi intéréssants, aussi innocents, que celuy que vous voulez garentir, prétendre donc qu’il vaut mieux que mille coupables éch[appent] que de risquer qu’un innocent meure, c’est dire qu’il vaut mieux que dix in[nocents] périssent qu’un seul. Je conviens d’ailleurs de tout le reste de vostre écrit; j[’aspire?] comme tout bon citoyen, a une plus juste proportion entre les délits et [les] peines, et je crois qu’avéc une meilleure maniere de procéder, non seulement moins d’innocents périroient, mais qu’un bien plus grand nombre de cr[iminels] seroient punis, surtout si le législateur prenoit de justes moyens de se gar[antir] des efforts de tout genre que font pour les sauver les familles sur lesquelles le préjugé le plus absurde imprime chez nous une tache lorsqu’un de leurs membres reçoit la punition d’un crime.

J’ay reçu de Monsieur vostre petit fils une lettre du 6 may qui m’inquiéte [sur le] sort de plusieurs de miennes, il m’accuse la récéption d’une du 6 janv. sans dire un mot des précédentes, tandis qu’entre cette date et celle du 9 oct. dont [sa] derniere me parle, je vous ai écrit a tous deux le 30 oct. et le 19 décembre; [les] occasions sont bien fautives et bien rares quelle difference de cette facheuse m[aniere] de nous entretenir au temps ou je vous voyois tous les jours! Adieu, mon cher amy, [je] vous aime et vous embrasse de tout mon coeur

Le Veillard

Ma femme, cette si bonne femme et ma fille vous embrassent aussi, tous nos amis voisins vous embrassent de même, ils s’entretiennent souvent de vous et vous reg[rettent] toujours; permettez que messieurs vos petits fils, Williams et Le Rey trouvent ici les assurances de mon attachement pour eux.
Endorsed: M. Le Veillard June 86
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