Louis-Guillaume Le Veillard fils to William Temple Franklin (unpublished)
Bordeaux le 24 Juin 1783

La parésse et l’oubli, sont un peu, mon cher ami, vos péchés favoris, ce n’est point pour vous faire des reproches, mais c’est seulement un petit avis au lécteur dont il profitera en tems et lieu, si toutefois il s’en soucie. Cela etant posé j’entre en matiere:

1º Vous voudrez bien faire porter chez M. Gel? Daugirard rue St. Joseph a Paris le petit baril de poudre a canon que vous avez a moi, ayant eu auparavant le soin de le bien emballer dans une petite boëte. Il y a longtems que vous Lavez, il doit vous embarasser, je serois bien aise qu’il me parvint et M. Daugirard a un moyen de me le faire passer. J’espere que vous voudrez bien me rendre ce service, cela faisant, vous m’obligerez, et je vous en remercie d’avance.

2º On dit ici, qu’on vend a Paris des habits d’homme a la Malbourough pour l’été qui coutent 18 l.t. tous faits, je ne conçois pas trop de quoi ils peuvent etre, n’importe s’ils sont jolis, et que les gens honetes les portent, je vous prie d’écrire a Mr. Enghenaud notre tailleur a l’un et a l’autre un billet des plus gracieux pour que sur le champ il m’en fasse un de la plus jolie couleur et qu’il le porte chez le Sieur G. Daugirard qui me le fera passer de suite; afin que le signor Veillardini couvert de sa malbourough acheve d’un seul coup les révolutions que ses graces, sa taille sa figure, son esprit, ses talents, son etc. etc. ont plus qu’ébauché dans tous les coeurs de la province. J’aurois bien chargé de cette commission mes grands parents, mais comme ils ne sont pas très au cours des modes, j’ai pris la liberté, très grande a tous egards, de vous donner cet embarras.

Charité bien ordonnée commence par soi même, dit un de nos plus anciens auteurs, aussi vous voyez que j’ai commencé par vous débiter tout ce qui me regardoit, a présent venons a vous. Je sais de vos nouvelles, M. Franklin, certain ami que j’ai a Paris et qui est bien eclairé sur tout ce qui se passe ne me les a pas laissé ignorer; aussi vais je vous sermonner comme vous le meritez.

1º Sur ce qu’un garçon d’ésprit comme vous qui s’est avisé il y a un an de me precher contre l’amour, s’y est laissé prendre, qu’au mépris de tous ses beaux principes il soupire auprès d’une demoiselle le plus souvent qu’il peut, quoique pas aussi souvent qu’il veut. Qu’il a d’autant plus de tord que tout cela se bornera a perdre son vent, et a toucher la demoiselle inutillement, le pere de la dite personne ne faisant nulle cas de la soupirade du Jeune homme, et celui ci n’étant pas assez roué pour profiter de la faiblesse de la dite demoiselle; cette derniere partie de la phrase n’est qu’une assertion, on croit cependant qu’on pouroit affirmer la chose. parceque le jeune homme ayant toujours été reconnu pour parfait galant homme, on ne croit pas que depuis un an ou 18 mois, la chambre bleue et le séjour de la France ayent pu l’amener au point de Rouerie nécéssaire pour profiter d’un pareil avantage; ainsi donc l’histoire se termine par tems perdu d’un côté et sentiments inutiles de l’autre; mauvaise histoire que cela, aussi je vous conseille de rompre le plutôt qu’il vous sera possible, car vous ne ferez qu’ajouter au tems perdu et aux sentiments inutiles.

2º Sur ce que, entrainé par la susdite passion, vous avez negligé deux Liaisons galantes fort intéressantes; ceci est la plus mauvaise démarche que vous ayez jamais fait de votre vie, et sur laquelle je ne saurois trop me récrier, vous eussiez pu en négliger une, et vous réduire a une seule, attendu qu’une passion et 2 intrigues demandent trop de tems, mais il est impardonnable de les laisser aller toutes les deux, et vous allez en convenir avec moi. Les petits soins que donnent l’intrigue servent de distraction et empechent de s’avancer aussi vite de l’autre côté de sorte que si vous étes obligé de renoncer a votre entreprise par une impossibilité de réüssir trop évidente, vous avez beaucoup moins a rétrograder, L’intrigue devient pour vous une retraite sure, il vous en coute beaucoup moins et vous ne conservez pas des ressouvenirs aussi longs et aussi facheux. Si au contraire vous reüssissez, ce qui malheureusement n’est pas votre cas, n’etes vous pas toujours a même d’abandonner l’intrigue; il est bien facile a un jeune homme adroit de cacher a une demoiselle de 15 ans encore sans éxperience, une intrigue liée depuis Longtems et qu’on néglige un peu. Un bon general se réserve toujours une retraite; suivez mes conseils, aprésent ou vous serez embarassé. Vous riez de mon verbiage, vous en riez dans cet instant, un jour vous trouverez que j’avois raison, peutêtre ne sera t’il plus tems. Bien heureux encore si vous en riez, ils vous facheront peut etre, quoique l’amitié les ait dictes, et alors adieu ma malbourough. Vous ne songerez plus a moi.

Si vous ne vous fachez pas répondez moi, et informez moi un peu du train de Passy, ce que fait madame f. du chateau, Madame Caillot, mon pere et madame S., les Grand, Chaumont etc. Mais j’attendrai longtems votre réponse vous serez amoureux et faché, avec cela peut on écrire.

Adieu mon ami, quelque faché que vous soyez contre moi, quelque chose que vous me disiez ou fassiez a cet egard, je vous aimerai toujours autant qu’il est possible d’aimer.

A présent que vous étes Mr. du sécretaire pour la paix dites moi je vous prie comment il faut vous adrésser vos léttres.
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