From — Dubeaucage (unpublished)
Marseille Le 4 avril 1783
Monsieur

Le 17. mars dernier, au moment de monter dans ma voiture, pour me rendre de genêve a Lyon j’entrai chez un libraire, pour y achepter une brochure afin de me dissiper en courant la poste. Le hazard me fit porter la main sur une, intitulée (nouveau voyage dans L’amerique septantr. en L’année 1781. par L’abbé Robin) le seul titre exittà ma curiosité, et me là fît prefférer. Sur la routte je parcourû ce livre; lorsque je fû rendu a Lyon je le lû avec plu d’attention; mais quel plaisir fut pour moi d’y voir representé a la fois avec le painceau de la nayveté, un beau et bon pays habitté par un peuple vertueux. Touttes les lettres m’ont inffiniment interessé, mais la 13me. dattée d’york-tow le 15 9bre. 1781. fut celle qui m’interaissa la plus. Sur tout quand L’auteur dit que les habitants de ces regions devindront un jour les plus éclerés du globe, et pour appuyer ce qu’il avance il en apelle a ce venerable viellard (L’objet de L’admiration des parisiens) il eût mieux dit (L’objet de L’admiration des hommes instruits).

J’abandonne mes reflections, fondées sur de foibles connoisances, pour prendre La liberté de vous demander votre protection et de me donner les conseilles qu’un pere donneroit a son fils sur le projet que j’ai conçu a la lecture de ce livre et que je vois journellement s’executer par de sujects, qui n’ont pas mes facultées. Je suis d’une petite ville distante de paris de 24 Lieux né le 11 de juin 1755. Ce fut une femme de viron 18 ans qui en me donnant Le jour cessà d’exister. Pour surerois [surcroit] de malheur je n’avois pas un an; que je me vis privé de mon pere. Je suis donc resté seul et presque sans parans, avec viron [environ] vingt mil Livres tant de mes epargnes que des debris d’une fortune gerée par une Longue tutelle; dont les formalittées compliquées tendeient (?) plus a la ruine d’un malheureux orphelin qua Son avantage.

On a eu Le soien de me faire donner une honnête education, que je metrai toujours a profit pour me rendre digne de ceux qui m’ont donné le jour. Mes parans me destinoient pour un art Liberal, soit le bareau ou la medecine, mais la crainte de ne devenir qu’un mediocre Sujet m’en a eloigne.

J’ai donc preferé le commerce; etat qui n’exige que du bon Sens, de la droitture, et du bonheur. Pour remplir mes vuës je suis allé a rouën ville tres considerable par ses fabriques, j’ai eû le bonheur d’y rencontrer une tres honête maison, ou je suis depuis six ans, bien consideré, mais qui malgré cela ne m’offre pas une perspective bien avantageuse. Depuis cinq ans elle m’a confié la partie des voyages, dont les soiens qu’il faut apporter pour assurer les fonds de sa maison, en fait un metier tres penible.

C’est dapres ce juste exposé monsieur, que je vous prie en grace de me diriger sur le dessin que j’ai, de passer soit à boston, ou dans toutes autres villes que vous croiriez la plu convenable mon intantion seroit d’y etablir une maison en societté soit avec celle, ou je suis, ou avec quelque autre que je ne manquerois pas de trouver: mes facultées ne me permetant pas de former cette antreprise seul. Mon dessin n’est pas d’y aller comme feront tant d’aventuriers, pour y tenter une fortune qu’ils auront manquée dans leur pays par le deffaut de conduitte, et quand ils y seront rendus, leur premieres actions seront de chercher a tromper ces habitants, ce qui peut un jour rendre la nation francaise hodieuse a leurs yeux et certennement un quelqun qui a deja tretté avec differentes nations, avec lesquelles il a sû se mettre a portée, aura sans doutte un avantage sur ces sortes de Sujets.

Jôse me flater que je me ferois aimer de ce bon peuple. Je suis né doux et sensible, le besoien des autres ma rendu social, et je me suis toujours fait un devoir découter les conseilles de ceux qui ont acquis de L’experiance par L’age. J’aime la vertû et j’ai respecté ma jeunesse dont la santé vigoureuse n’a êté alterée par aucune maladie.

D’apres touts ces avantages, si une fois j’avois le bonheur d’obtenir votre confiance, que dans touts les temps je saurai me meriter; surement que je parviendrois a quelque chose, et qu’un jour je pourois devenir un des bons citoyens du pays. Outre que je connois les fabriques immances de ma ville, j’ai cherché aussi a connoitre celles des pays ou j’ai voyagé. Voila près de deux ans que je suis parti sans revenir a ma maison. Je compte rentrer ver la fin de juillet en passant par bordeaux et nantes. Si vos bontées veulent setandre jusqua moi, je vous prie de me le faire savoir, a Toulouze poste restante, ou j’arriverai ver le 25 de ce mois, et dapres cette certitude je prendrai la liberté de vous exposer de vive voix mes sentiments et me vive reconnoisance. C’est avec le plu proffond respect et la plu ferme persuation avec Lesquels j’ai L’honneur d’estre Monsieur Votre tres humble et tres obeissant Serviteur

Dubeaucage

Endorsed: Dubeaucage 4 avril 1783.
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