Le Capitaine Pikeren ayant conduit cette prise au port de Brest,
en a fait déclaration à L’amirauté le 3. 8bre. Le bruit public lui
a appris, à son arrivée, que suivant le privilège de sa Nation, il
n’avoit aucune autre formalité à observer; et voici comment il n’a
pu s’y tromper.
L’Amirauté de Brest avoit apposé les Scellés sur le Vaisseau
Anglaise, Le Drack, pris et amené en ce port par le Capitaine
John, américain, commandant une frégate des Etâts unis. Ce
Capitaine s’étant plaint de ces scellés, comme d’une infraction du
Traité de commerce avec les Etats, une Lettre de M. de sartine
adressée à L’Amirauté et par duplicata au Correspondant du S. John
à Brest, en date du 18 juin, a décidé que l’Amirauté n’avoit aucun
droit sur les prises faites par les sujets des Etats, ni aucune
formalité à remplir vis-à-vis de ces prises.
Sur le Fondement de cette Lettre déposée au Greffe de
L’Amirauté, Le Capitaine John a obtenu une Sentence Sur les
conclusions et du consentement du Procureur du Roi qui lui a fait
main levée des Scellés et ordonné aux Gardiens établis sur la
prise de Se retirer: ce qui a été exécuté.
En conséquence le Capitaine John a fait annoncer au Son du
Tambour, en la Ville de Brest, la Vente de Sa prise. Cette Vente a
été faite en détail et publiquement de gré à gré dans la Maison de
Son correspondant sans frais et sans formalités; elle a fait,
pendant plus de 8 jours, le rendez-vous d’une grande partie de la
Ville de Brest. La Carcasse du Navire, dont on n’avoit point
trouvé d’abord un prix convenable, étoit restée à Livrer: elle l’a
été, avec la même publicité, depuis l’arrivée du Capitaine Pekeren
à Brest.
Cette marche n’est que l’interprétation naturelle de l’art. 1).
du Traité d’amitié et de Commerce fait entre le roi et les Etats
unis d’amérique, qui porte que les Sujets du Roi et les Etats
pourront, en toute liberté, conduire où bon leur Semblera les
prises qu’ils auront faites Sur leurs Ennemis, Sans être obligés à
aucuns droits, soit des S. Amiraux, ou de l’amirauté ou d’aucuns
autres; sans aussi (ajoute l’article) que les dits Vaisseaux ou
les dites prises, entrant dans les havres et Ports de S. M. ou des
Etats unis puissent être arrêtés ou Saisis, ni que les Officiers
des lieux puissent prendre aucune connoissance de la validité des
dites prises.
Les officiers de L’Amirauté de Brest étoient tellement persuadés
de ce droit, qu’après la déclaration du Capitaine Pekeren, ils
n’ont pris aucune connoissance de la prise; Ils ne S’y sont point
présentés, pour y apposer les Scellés ou en faire l’Inventaire:
Ils ont même vu, Sans aucune apposition de charges dans les
Magazins du Roi, une partie de la Cargaison, dans la crainte du
dépérissement, Ce qui a de plus en plus convaincu toute la Ville
de Brest que rien n’empêchoit le Capitaine de disposer sans
formalités.
Il a donc, à l’exemple du Capitaine John, fait publier à Brest,
la vente de Sa prise, non en détail, mais en bloc, et en y
comprénant la Carcasse du navire; Le Tout par le Ministere du S.
Riou, Interprete du Roi, à Brest, qu’il a fondé de Son pouvoir.
Tous les Négocians de Brest et des environs se sont présentés
pour ce Marché que les S. Lestume et Coquillou ont conclu par acte
Sous Seing-privé fait entr’eux et le s. Riou le 16. 8bre. Le prix
a été de 330000 l.t. dont le traité porte que 15000 l.t. ont été
payés comptant, et que le Surplus Seroit payé à mesure des besoins
du Capitaine Pekeren et de son équipage jusqu’au 2. 9bre. suivant.
Mais le Capitaine Pekeren voulant sortir de Brest pour continuer
sa Croisiere, a préféré de recevoir incontinent le prix entier
tant en argent qu’en effets négociables: ce qui a été exécuté le
18. 8bre., deux jours après la Vente, Suivant la quittance finale
du s. Riou fondé de Son pouvoir.
Après ce payement le Capitaine Pekeren à appareillé du Port de
Brest. Les s. Lestume et Coquillou qui avoitent commencé, dès le
jour de la Vente, à enlever les Marchandises dépasées au Magazin
du Roi, continuoient le déchargement du Surplus du navire;
lorsque, le 22. 8bre. L’Amirauté de Brest a reçu un nouveau
Réglément fait par le Roi le 27. 7bre. au Sujet des prises que les
Corsaires français conduiront dans les ports des Etats unis, et de
celles que les Corsaires Américains conduiront dans les ports de
France. Ce réglement porte (art. XL) que lorsque les Sujets des
Etats unis, voudront faire vendre leurs prises dans les Ports du
Royaume, il seront tenus de réquérir les Officiers de l’Amirauté,
de Satisfaire aux formalités prescrites par l’art. 42 de la
Déclaration de s. M. du 24 juin der: c’est-à-dire, d’en faire
faire l’inventaire et la vente par ces officiers, art. 12. qu’ils
ne pourront requérir les officiers de l’àmirauté, de procéder à la
vente des Marchandises et effets, et même à la Vente définitive
des prises, que lorsqu’elles paroîtront constamment ennemies,
d’après les pieces du bord et les Interrogatoires des Prisonniers,
ainsi qu’il est prescrit pour les prises faites par les Corsaires
français par l’art. 35 de la déclaration du 24 juin.
L’art. 13. que le déchargement, l’inventaire, la Vente et la
Livraison des prises Seront faites en présence des officiers des
Amirautés dont les Vacations seront réduites à moitié, aux termes
de l’art. 52 de la même déclaration et art. 14 que les
Marchandises provenant des prises faites par les Corsaires
Américains seront Sujettes aux même droits et aux mêmes formalités
que celles provenant des prises faites par les Corsaires français.
L’Amirauté de Brest a enrégistré ce Réglement le 22 octbre. et
le même jour le Pr. du Roi l’a fait signifier au s. Riou fondé de
pouvoir du Capitaine Pekerin, et aux s. Lestume et Coquillou,
acheteurs du navire la Constance, avec deffenses de disposer dud.
Navire et de Sa cargaison, même de s’immiscer dans Sa possession,
qu’après que l’àmirauté en auroit fait L’Inventaire et la Vente.
Par exploit du même jour, le S. Riou a répondu seul qu’il se
conformeroit à l’avenir au Réglement dont on venoit de lui donner
connoissance; mais qu’il n’avoit pu y déférer plûtôt; attendu
qu’il étoit inconnu à Brest, jusqu’au jour 22. 8bre.: qu’au
surplus ce réglement ne contenant aucune disposition qui lui donne
un effet rétroactif, on ne pouvoit prétendre qu’il y eut
contrevenu; qu’il avoit suivi la regle établie à Brest avant ce
réglement, et que sa conduite étoit exempte de reproche. Il a
ajouté que le Capitaine Pekeren après avoir fait sa déclaration à
l’Amirauté, s’étoit cru d’autant mieux fondé à agir comme il avoit
fait; qu’il en avoit été usé de même pour la prise du Capitaine
John dont l’amirauté n’avoit pris aucune connoissance, et qu’il
protestoit de se pourvoir dans le cas où l’Amirauté s’opposeroit à
la continuation du dechargement que faisoient les s. Lestume et
Coquillou.
Ces justes motifs déduits plus au long dans l’exploit du S. Riou
ont arrêté l’effet de l’apposition des officiers de L’àmirauté qui
ont reconnu que le nouveau Réglement arrivé à Brest le 22. 8bre.
ne pouvoit s’appliquer à une Vente consommée le 16 du même mois,
et en effet le Titre de ce Réglement et toutes ses dispositions se
rapportent uniquement à l’avenir, sans toucher à rien de ce qui
s’est fait jusqu’alors.
Aussi les s. Lestume et Coquillou ont-ils continué leur
déchargement sans aucun obstacle, sous les yeux mêmes des
Officiers de l’Amirauté qui faisoient l’Inventaire d’une autre
prise attenant le Navire La Constance.
Ils ont été surpris après ce qui venoit de Se passer de concert
avec l’amirauté de recevoir, ainsi que le S. Riou le 5. xbre. 7.
heures du matin une Sommation de se trouver à 8. heures pour être
présent à l’apposition des Scellés et saisie conservatoire que
l’Amirauté entendoit faire du Navire la Constance et de Sa
Cargaison, et pour représenter leur acte de Vente. Ce Scellé a été
exécuté Sur le champ, avec établissement de Gardien Sur le Navire
et ce qui y ressort, et ce en présence des sr. Riou et Coquillou
qui ont représenté le Traité de Vente et la quittance du prix; Le
tout visé par le juge: les mêmes formalités et saisies ont été
faites par suite sur un Magazin des s. Lestume et Coquillou a
Penfeld où ils avoient transporté 247 milliers de Caffé brut et
une partie d’Indigo provenant de la même cargaison.
Les s. Lestume et Coquillou privés de la Disposition des
Marchandises qu’ils ont payées 330000 l.t. et dont ils ont déja
vendu partie, quoi qu’étant encore tant dans leurs Magazins
qu’abord du Navire, ont le 18. xbre. présenté leur Requête au
Conseil des prises tendant à ce que l’acte de vente à eux fait le
16. 8bre. du Navire la Constance, pris le 2 du même mois sous
Pavillon Anglais et sur les côtes d’angleterre par Capitaine
Pekeren, Commandant le Corsaire américain, le hambden et par lui
conduit au port de Brest fut exécuté, en conséquence il leur fait
main-levée des Scellés; établissement de Gardiens Sur le Navire,
la Constance et de toutes autres saisies conservatoires.
C’est alors que les s. Lestume et Coquillou ont eu connoissance
d’une Requête présentée le 15 au même Tribunal, par le S. Arnaud
de Lavau de Bordeaux se disant Armateur du Navire la Constance de
ce port tendante à ce qu’il lui fut donné acte de ce qu’il reclame
ce Navire et Sa Cargaison, il fut maintenu dans la propriété du
Tout, il lui en fut fait main levée et délivrée après inventaire
par l’Amirauté pour en constater les Avaries, aux offres que fait
le S. de Lavau de payer le 5eme. du prix dud. Navire et de Sa
Cargaison pour le droit de Sauvement ou de recousse, duquel 5eme.
il tient compte au S. Pekeren Sur les Marchandises du chargement
qui ne Se trouveroient point sous les Scellés.
Le Narré de cette Requête consiste d’abord à élever des doutes
sur la prise du Navire la Constance par le Corsaire Guernésien.
Cependant un peu plus bas, le S. Lavau annonce que le S. La Mark
Capitaine de la Constance a été pris et conduit à Guernésey d’où
il a eu le bonheur de S’échapper et qu’il a déposé qu’il avoit été
pris par le Guernessien l’hirondelle Le 29. 7bre. en revenant de
St. Domingue; que le Guernesien avoit mis lui La Mark sur son bord
et deux fusetiers avec équipage suffisant sur le Navire la
Constance pour le conduire à Guernesey.
Le S. de Lavau ne dissimule même pas que c’est le 2. 8bre. que
le Corsaire Americain le hambdain, a rencontré la Constance s’en
est emparé, dit-il, sans résistance et l’a fait conduire à Brest
par le Capitaine Moden.
Ainsi, c’est chose averée, que la prise et la reprise du navire
la Constance, a pris qu’il avoit été 3 jours en la possession du
Guernesien, ce qui est d’ailleurs attesté dans la forme ordinaire
par les déclarations faites à Brest par le Capitaine Pekeren et
Moden, la Vente et la quittance du prix n’ont pas été moins
sinceres Sous les époques de leurs dattes et la Livraison opérée
pour la Majeure partie de la Cargaison comme le prouve le Scellé
apposé par Suite sur les Magazins des Acheteurs.
Cependant il plait au S. de Lavau sans annoncer le moindre
indice de Collusion, de traiter la Vente du Navire faite par le S.
Riou et la quittance du prix d’actes simulés qui n’ont pu
dépouiller lui de Lavau de Sa propriété.
Quant à la fixation d’un 5eme pour la recousse, le S. de Lavau
pour l’établir cite d’abord la Loi 19 du Digeste, de captiv. et
post limin. suivant laquelle le Propriétaire de la Chose perdue à
la Guerre peut la reprendre où il la trouve et doit être rétabli
dans sa propriété originaire.
Le S. de Lavau ne prétend cependant pas que cette Loi doive
aujourd’hui Servir de regle et à son défaut, il invoque les
Statuts d’angleterre des 4 et 5 eme. année du Regne de Guillaume
III raportés dans le Dictionnaire Anglais de Jacob au mot prise.
Il prétend que Suivant ces statuts et Suivant des actes du
Parlement qu’il suppose faire les Loix des Etats Unis, il n’est dû
au Navire qui reprend une prise faite par l’ennemi, à Titre de
Sauvement qu’un 8eme. Si la reprise est faite dans les 24. heures
un 5eme après 48 h après 96 heures et ½ après ce
dernier delai. D’après quoi Se mettant dans la Passe des 48.
heures le Sieur de Lavau fait offre du 5eme.
Il ajoute que suivt. Valin sur l’art. 10 Liv. 3. Titre 5 de
l’ordonnce. de la Marine le Capitaine qui délivre un Navire pris
par l’ennemi, doit être jugé Suivt. les Loix de sa patrie et que
le S. Pekeren ne peut en reclamer d’autres que celles
d’Angleterre.
Les S. Lestume et Coquillou ne connoissent point ces Loix: ils
ont acheté le Navire en question Sur la foi de L’art. 8 du Titre
des prises de l’ordonnce. de la Marine qui porte que Si aucun
Navire des sujets du Roi est repris sur les ennemis de s. M. après
qu’il aura demeuré entre leurs mains pendant 24 heures la prise en
sera bonne.
Le Navire la Constance a été constamment repris Sur les Ennemis
et même sous pavillon Anglais que le Guernessien y avoit arboré.
Il est resté entre leurs mains pendant 3. jours entiers, il est
donc de bonne prise Suivant les Loix de france.
On ne peut pas prétendre sérieusement que les Sujets des Etats
unis qui Se Sont authentiquement déclarés indépendans de
L’angleterre soient jugés suivant les Loix de cette Domination
qu’ils ont abdiqué et Surtout pour une prise faite Sur les Anglais
eux mêmes avec qui les Etats unis sont en guerre.
On peut encore moins le prétendre en france pour une prise
conduite et vendu dans nos ports. L’étonnement augmente encore
l’orsqu’on voit une telle prétention s’élever au nom d’un Armateur
François.
En vain voudroit-on établir une distinction entre la prise d’un
vaisseau anglais et la reprise d’un vaisseau français qui a été 3.
jours en la possession d’un corsaire Anglais. L’ordce. assimile
l’un à l’autre et si la reprise avoit été faite par un Corsaire
français, on ne lui en contesteroit point la propriété. Comment
pourroit-on la disputer à un Corsaire américain qui court Sur les
Ennemis de la france de concert avec les français?
Il reste à observer que cette affaire intéresse essentiellement
les s. Lestume et Coquillou dont la fortune est compromise par le
seul retard de la liberté de disposer de Marchandises pour le prix
desquelles ils ont payé 330000 l.t. tant de leurs fonds que de
ceux de leurs amis; mais elle n’est pas moins propre au Capitaine
Pikeren qui ayant reçu le prix de la Vente est tenu de garantir
les Acheteurs du Trouble qu’ils essuyent dans la propriété qu’il
leur a transmise./.