— Massey[?]: Projet d’un plan d’operation ... (unpublished)
Projet D’un Plan d’opérations par lequel on Présume que L’ennemi seroit promptement facilement et entiérement détruit dans l’Amérique Septentrionale

Je suppose que le Commandant en chef des troupes Françaises soit muni d’un plein pouvoir et pourvu de toutes les choses nécessaires pour armer trente ou quarante mille hommes américains toutes les fois que cela seroit convenable. Ce Préalable une fois rempli il pourroit faire voile pour les Isles en dépêchant en même tems une Frégate avec des Lettres pour le Général Washington seulement. Le secrêt étant d’une si grande importance dans de pareilles entreprises ce seroit une faute d’agir différemment.

Le Général Washington ne s’est jamais trompé dans ses idées et il eut été très avantageux qu’il eut toujours suivi son opinion; le seul defaut qu’on puisse lui reprocher, c’est une trop grande modestie, et pas assez de confiance dans ses propres et rares talens; on doit craindre de sa part trop de circonspection à proposer, et un trop grand penchant à abandonner entierement au Général Français la conduite de l’entreprise; c’est pourquoi en lui envoyant un Plan d’opérations, il seroit essentiel d’insister que non seulement il y fit ses observations et changements, mais même qu’il proposât tout ce qui’il pense être plus expédient.

Si la Flotte Française a la supériorité dans les mers de l’ouest il sera aussi aisé de prendre Long-Island et Newyork, par des raisons faciles à prouver, que tout autre petit établissement Anglais dans le continent; cela étant fait les américains suffiront eux-mêmes pour terminer l’entreprise partout dans le continent pourvu que les alliés veuillent envoyer immédiatement des vaisseaux pour empêcher l’ennemi de se retirer dans d’autres places sur le continent ou aux isles.

L’entreprise etant bien dirigée, il me semble facile non seulement de délivrer l’Amérique Septentrionale, mais encore de s’emparer des Vaisseaux des Anglois et de les faire eux mêmes prisonniers: alors on les empêcheroit et de secourir leurs isles et d’attaquer celles des François.

La prise de Newyork seroit un coup décisif et capital; pas un homme ni un Vaisseau ne pouroient échapper, et les richesses renfermées dans cette ville seroient un objet très considérable tant par la qualité que par la quantité; mais il seroit nécessaire de signifier à l’ennemi qu’on ne lui feroit aucun quartier s’il détruisoit quelque chose après la prise des Forts situés sur les hauteurs de Long-island; je suis persuadé que sans cette menace, il bruleroit et détruiroit tout immédiatement après la perte de ces forts sachant bien qu’il ne lui resteroit après, d’autre ressource que de se rendre à discrétion. Newyork est l’entrepôt des Anglois en Amérique d’où ils pourvoyent tous leurs autres établissements: le Courage Britannique dans ces contrées ne tiendroit pas contre la perte de cette Place, les Toris seroient anéantis, et cette perte seroit aussi vivement sentie en Angleterre.

La Prise de tout autre établissement seroit peu importante, et il est probable que pendant que nous y serions occupés, les Anglais rassembleroient leurs forces de toutes les autres places pour fortifier la plus importante; je ne conseillerais pas de tenter cette expédition en partant directement d’Europe pour les raisons suivantes.

Un plan bien digéré et murement refléchi par les deux Généraux doit faire la base de l’entreprise; cela peut demander du tems, et le Général Washington peut avoir besoin de faire quelques préparatifs, qui pourroient peut-être ne pas être aussitot prêts dans ces contrées, en même tems le Général français peut rendre quelque service essentiel dans les isles, et l’ennemi perdre la crainte de l’expedition Française à Newyork.

La célérité de l’expédition, aussitôt que la Flotte Française paroîtra devant Sandy-hook est un des points les plus essentiels; il ne faut pas donner le tems à l’ennemi de revenir de la frayeur et de la confusion qui sera grande dans le premier moment, mais de peu de durée; quand le Congrès à la fin de Juillet dernier envoya au Général Washington les batteaux plats sur des Charriots à travers les Jerseys, ils furent frappés d’une telle terreur panique qu’ils se crurent au moment de leur perte et ne savoient par où commencer pour se mettre en état de deffense, la confusion paroissoit dans tous leurs mouvements, et la terreur dans leur contenance; le fort le plus important sur les hauteurs de Long-Island vis-à-vis le marché de Newyork ne fut point commencé avant le 23 Aoust, jour auquel je vis y transporter les premieres fascines; je ne pus pas être instruit de toutes les particularités, mais il est certain que le Général Clinton resserra ses lignes de deux mille du coté de Newyork et que la milice de Long-island, fut obligée, contre ses principes, de biwouaquer toutes les nuits sur le rivage.

Je m’embarquai le jour suivant à bord de la flotte de Cork, qui par les vents contraires fut retenue trois jours dans le hook; pendant ce tems-là j’entendis souvent les remarques faites sur les fortifications des places voisines, par le Capitaine du vaisseau dans lequel j’étois, et sept passagers savoir, trois officiers Anglois un Tori, et trois Capitaines dont les vaisseaux avoient été pris par des Corsaires Américains; ils convenoient tous que leur danger avoit été grand, mais qu’il seroit encore plus grand par la suite pour une flotte française qui tenteroit d’entrer quand les nouveaux ouvrages que l’on faisoit alors, seroient achevés; je ne puis dire si leurs remarques étoient bien justes, mais comme le succès dépend entiérement de la prise des hauteurs susmentionnées contre lesquelles les vaisseaux de Guerre ne peuvent combattre on auroit tort de s’exposer à aucun danger en y entrant; l’opération entiere de la Flotte consistera à couvrir la descente des Troupes Françaises à Long-Island, à intercepter les vaisseaux de guerre anglais, s’ils tentoient de chercher leur sûreté hors du hook, à envoyer un nombre suffisant de Frégates dans les bas fonds, pour protéger le passage des Américains de Connecticut à Long-Island, et pour arrêter les vaisseaux ennemis qui voudroient tenter de s’éclipser par ce passage; je pense qu’il n’y a que des vaisseaux de 40 canons qui puissent naviguer dans les sounds ou bas fonds.

Je suis persuadé que le Général Washington pourroit rassembler quinze ou vingt mille hommes de milice qui seroient enchantés de passer à Long island dans une occasion aussi intérressante, s’ils pouvoient être armés; la milice combattroit avec beaucoup de vigueur, mais il ne faut pas la retenir long-tems hors de ses foyers; le Général Washington pourait passer lui même avec une partie de son armée et même en entier, si cela étoit jugé nécessaire comme les forts situés sur les hauteurs commandent la ville, son fort et les vaisseaux qui sont auprès l’ennemi n’auroit d’autre ressource après la perte des hauteurs que de se retirer promptement hors de la portée de notre feu, dans l’interieur du pays où nous pourrions aisement les suivre, et il seroit si harcelé par la milice, partout, qu’il seroit bientot forcé de se rendre: il y auroit une grande différence d’une telle retraite à celles qu’ils ont faites ci-devant quand ils alloient gagner leurs vaisseaux.

Il est si essentiel d’envoyer des Frégates pour favoriser le passage des Américains du continent à Long-Island, que je ne conseillerois pas de tenter l’entreprise sans ce secours. L’ennemi outre quelques Frégates a un très grand nombre de petits vaisseaux depuis 10 jusqu’à 24 canons, avec lesquels il peut fermer le passage aux Américains dont il est de la plus grande nécessité que les forces soient réunies à celles de François dans l’attaque desdits forts: car en cas de besoin non seulement toute l’armée Angloise se transporteroit sur Long-Island, mais encore les matelots et les habitans de New-york dont quelques uns y passeroient de bon gré et le reste par force. n.b. Les habitans de la partie supérieure de Long-Island sont dans les interets de la Grande-Bretagne; les autres font des voeux continuels pour l’arrivée d’une flotte et d’une armée Francoise; les opérations militaires se feroient donc dans un pays ami, et les François y seroient adorés s’ils vivoient en bonne discipline et police, d’autant que ces (malheureux peuples ont beaucoup souffert de la part des Allemands et Anglois et des Américains même.

Mr. massus chés mr. franklin
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