J’ose demander à votre excellence de vouloir s’intéresser à une affaire dans laquelle un de ses plus dignes patriotes est cruellement lézé.
Au mois d’avril dernier Le S. John Green Americain obtint de M. Gruel le commandement de son brigantin le patriote à la condition de s’y intéresser pour 10,000 l.t..
Ce capitaine plein de confiance en M. Gruel et d’ailleurs ne sachant point le françois, remet ses fonds, monte à son bord, s’occuppe de son armement, charge, reçoit ses comptes et ses instructions et leve l’ancre dans les premiers Jours de Janvier pour se rendre au bas de la riviere et attendre les vents.
Le 6. de ce même mois le beau tems le décide à mettre dehors; il appelle un pilote, l’ancre est levé, les courants emportent le batiment, il touche, il est échoüé.
Le capitaine malgré la rigueur de la Saison s’attache à relever le batiment; il reussit à sauver la plus forte partie de la cargaison.
Toutes les marchandises etaient emballées, pour prévenir les progres des avaries il fait deballer et sécher. C’est alors, Monseigneur, qu’il compara les marchandises avec ses comptes et qu’il découvrit la lezion la plus enorme.
Il se réserva un échantillon de toutes les marchandises, fit remballer et adressa le tout à l’armateur.
Il revint à Nantes, se plaignit et M. Gruel lui offrit un dédommagement de 50% Voïez, Monseigneur, combien forte est l’infidelité du S. Gruel, ses offres ne dedommageaient pas le capitaine!
J’ai dans ce même batiment un intérêt semblable à celui du S. John Green. Ses plaintes qui se répandirent insensiblement me porterent à m’aboucher avec lui. Nous fimes ensemble estimer les marchandises dont il a echantillon. Croiriez vous, Monseigneur, que tel article porté dans les comptes du S. Gruel à 28 l.t. n’a de valeur réele que 9. ou 10 l.t.. La pluspart des articles sont à une lezion de plus de cent % et les moindres excedent 50%.
Nous avons de concert établi nos griefs dans une requête que nous avons présenté au Siege de l’amirauté et on n’a point encore prononcé.
Nous avons la plus grande confiance dans l’intégrité de nos Juges; mais, Monseigneur, vous sentez combien la lenteur dans ces sortes d’affaires peut devenir préjudiciable.
Le S. John Green notamment a trouvé un embarquement à Lorient et le Jugement de son proces devient un obstacle aux engagemens qu’il pourrait contracter.
Je suis à Nantes le seul français qui se soit prêté à faire valoir le bon droit du S. John Green; il connait mon zèle et m’a abandonné ses intérêts; depuis huit Jours il est à Lorient.
Je ne balance point, Monseigneur, à adresser à votre excellence cette espece de requête. Je suis assuré qu’elle applaudira au motif qui me l’a dicté; elle est dans tous les lieux et particulierement en france l’appui des Americains.
Nous supplions donc, votre excellence, Monseigneur, d’exposer à M. Le Chanchellier [sic] de France les griefs détaillés en notre réquête et d’obtenir de sa Justice d’informer de notre affaire M. Le procureur général du parlement de Bretagne et de lui enjoindre [de] recommander aux Juges de l’amirauté à Nantes [la] plus grande diligence à prononcer sur la lezion exe[rcée?] par le S. Gruel et sur ce premier Jugement évoq[uer] l’affaire à la Cour pour être par le parlement statué de nos intérêts et des peines encourues par le Sieur Gruel.
L’honneur du Commerce de Nantes et l’intérêt de vos compatriotes dont le S. Gruel est toujours [aux] aguêts, exigent que nous devoilions son infidelité et son ignominie.
M. Pennet, Monseigneur, pourra rendre bon compte a Votre excellence de la maniere dont le S. Gruel a abusé de la confiance de ceux de vos compatriotes qui se sont adressés à lui.
Messieurs Dacosta freres, à Nantes, dont J’ai l’honneur d’être connu peuvent rendre à votre excellence, témoignage de moi et de notre affaire.
Je suis avec le plus profond respect, Monseigneur, de votre Excellence le très humble et très obeïssant serviteur