From L. Terrier (unpublished)
Marseille ce 21e may 1783.
Monsieur

Sans avoir lhonneur detre connû de vous, sans aucun protecteur, qui daigne mintroduire aupres de vous; jôse prandre la liberté de vous ecrire avec cette confiance que vous m’avez inspiré, depuis que la france a le bonheur de vous possedér. Cette confiance me persuade aisémant, que vous m’etayerez de votre credit dans un projet, qui pourroit etre utile a votre patrie. Elle va devenir sous vos auspices le theatre d’un commerce florissant, elle deviendra par votre influance le theatre des sciances, dont vous etes le flambeau. Mais parmi ces sciances il en est qui sont plus utiles par leur objet, parcequ’elles touchent de plus prés aux necessités de la vie. La chirurgie, par exemple, procure a l’homme des grands avantages dans le court espace de tems quil parcourt sur ce globe: vous connoissez sa necessité, et si mes foibles talans en cette partie pouvoient cooperer a vos vûes, et se faire connoitre a vos compatriotes je ne vous fairay jamais repantir d’avoir eté mon Egide.

J’ay fait toutes mes etudes, jay exercé la chirurgie pendant six ans dans une colonie françoise, la guadeloupe, je suis agregé et professeur au college de chirurgie de marseille depuis six ans, et je desire ardamment depuis pres de trois ans d’aller metablir dans votre patrie, d’y faire briller mon zele pour le soulagement de lhumanité, et de m’y procurer avec plus de facilité, de quoy satisfaire des besoins, que la fortune cruelle ne m’accorde qu’avec beaucoup de peine dans le sein de ma famille.

Mais mon ambition ne seroit satisfaitte qu’a demi, si je n’y paroissois sous vos auspices, et dans une perspective a pouvoir me faire connoitre, en me randant utile a ceux de qui je tiendrois mon bienetre, de deux manieres aussi avantageuses l’une que l’autre, en formant dabord des eleves, que je mettrois en etat de soulager leurs semblables dans leurs infirmités. En consequence ceux des americains, qui se destineroient a cette profession, n’auroient pas besoin d’aller chercher bien loin des connoissances, que je pourrois Leur donner sur les lieux en leur donnant la connaissance de lhomme, des derrangemens qu’il eprouve, et des moyens propres a remedier a ces derrangemens. Voila pour le premier objet. Quant au segond.

Dans un pays libre, tous les etats doivent etre libres. Mais il n’en est pas de la chirurgie, comme des autres arts et metiers: ceux cy exercés par des hommes habiles, ne peuvent nuire a la societé; dans l’exercice de la chirurgie au contraire, la vie des hommes devient souvant le jouët de lignorance et de l’inéxperiance, lorsqu’on na pas soin de bien reconnoitre les talens de ceux, qui sont faits pour la conserver: ce qui paroit necessiter letablissement d’un comité, formé par des sujets, dont les lumieres et les talens ne soient point equivoques, pour juger de la capacité de ceux, qui se destinent a l’exercice de l’art de guerir: afin que ceux qui leur accordent leur confiance, ne deviennent pas la victime d’un titre, qui n’est souvant quimaginaire. Dailleurs cela se pratique ainsi chez toutes les nations de l’europe.

Voyez, monsieur, si je puis vous etre utile en cette partie, daignez du moins m’honorer dune reponse, m’accorder votre protection, et vous persuader par dessus tout, que je suis avec le plus profond respect Monsieur Votre tres humble et tres obeissant serviteur

L. Terriér maitre ez arts
professeur au college de chirurgie de marseille
Endorsed: Terriez 21 May 1783.
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