From — Lenormant d’Etioles (unpublished)
Neuïlly sur Seine ce 20e. Juin 1783.
Monsieur Le Docteur,

N’ayant pas été assés heureux pour rencontrer votre excellence, je crois devoir vous rendre compte de mes dernieres démarches auprès de M. le Comte de vergennes. J’ai eû l’honneur de le voir Dimanche dernier, et il m’a parû toujours dans les dispôsitions les plus favorables en faveur de Messieurs d’Eberstein dont les malheurs et les miens, non mérités, ont affecté sensiblement son ame paternelle. Je n’ay pas vû avec moins de sensibilité que MM. de Rayneval et hénin sont affectés des mêmes sentimens et qu’ils s’empressent de concourir au même bût, c’est àdire, à celuy de ne pas les envoyer en amérique les mains vuides.

Je suis assés instruit des Circonstances et M. le Chevalier de Chatelux ne m’a point caché que dans ce moment cy il y a peû d’espérance de fortune dans la partie du commerce, tous les magazins du Pays etant combles de marchandises arrivées de toutes parts depuis la Signature de la Paix. Il ne reste donc de ressource dans ce moment que celle des Concessions plus ou moins nombreuses et plus ou moins avantageusement placées que par votre crédit et celui de M. de vergennes vous voudrés bien demander pour eux au congrés. Mais que leur servira pour le moment cet avantage 1º si elles ne sont compôsées d’un assés grand nombre d’acres pour que nos jeunes gens qui n’ont aucune ressource du Côté de la fortune puissent en sacrifier une partie pour faire cultiver l’autre et 2º si on ne les obtient gratuitement. En vain objecterait-on qu’ils sont fils d’un bon Pere. M. de vergennes n’ignore pas que ma fortune, quoique brillante en apparence, mais toute viagère, a souffert depuis quelque tems de tels échecs que je ne puis y porter de nouveaux Coups sans injustice envers mes autres Enfans. Quoique le Ministre sache et approuve toutes mes raisons, il est trop discret et trop réservé pour demander que les concessions qui seront accordées soyent gratuites. Mais je crois pouvoir vous assurer que Mr. de vergennes verroit ce sacrifice de la part du Congrés comme une marque de Reconnoissance des services essentiels qu’il luy à rendûs ainsi qu’a votre Patrie. Votre excèllence conviendra que c’est un petit sacrifice en comparaison de ceux que ce Ministre à obtenûs du Roy en faveur des americains. Je crois cependant qu’il seroit indiscret de lui en parler parcequ’il est de sa façon de penser de ne vouloir en aucune circonstance être éxigeant. Mais je crois que si vous consultés à cet Egard M.M. de Rayneval et hénin, ils ne vous dissimuleront pas tout l’interêt que prend M. de vergennes à cette affaire. Daignés donc servir de second Pere à Messieurs d’Eberstein. Ils sont au moment d’arriver icy pour se rendre en Amérique et je compte incèssament être en état de vous faire voir en vous les présentant qu’ils ne sont point indignes de vos bontés. J’ay l’honneur d’être avec Respect de votre excellence, Monsieur Le Docteur, Le très humble et très obeissant serviteur

Lenormant d’Etioles

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