From Nicolas-François Mollien, — Poincheval, and — Brulley (unpublished)
A Rouen ce 25 aoust 1778
Monsieur

Vous serés sans doute étonné de la demarche que hasardent auprès de vous trois jeunes amis. Ils osent se flatter, toute fois, que vous daignerés leur pardonner une importunité dont votre mérite est la cause et l’excuse. Ils esperent même trouver en vous un protecteur dans l’exécution dun projet, dont l’idée les enflamme, et vous interessera peutêtre.

A ces mots de Jeunes gens et de projets, vous soupsonnés peutêtre déja qu’il n’est ici question que d’ides folles enfantées par des imaginations chaudes et irréfléchies. La jeunesse, il est vrai, est l’âge de la vie le moins propre a concerter des projets vastes et difficultueux; mais ce même feu et cette activité qui L’empor[te] a l’aveugle quelque fois, la rend aussi plus propre à léxécution. Enfin, nous sommes persuadés qu’il n’est point pour elle d’obstacles insurmontables quand l’expérience de l’âge mur la guide, et lui apprend a les combattre.

Dans le dessein d’en faire nous même la preuve, pouvions nous mieux etre animés par votre genie, guidés par vos lumieres et votre expérience, nous nous voions dans l’heureuse impossibilité de nous écarter un instant de notre bu[t] et dans l’entreprise que nous avons formée, un succès qui vous seroit du nous seroit bien plus précieux. Permettés nous de vous en faire connoître la nature et les auteurs.

Nés de Parents honnêtes, et destinés par eux aux exercises du Barreau, nous avo[ns] reçu une éducation convenable à cette profession. Mais, soit que le grand nombre de gens à talens qui refluent de ce coté nous fit craindre une rivalité invincible, soit qu’un sentiment plus noble, le désir d’être utiles et libres avec plus de gloire, nous f[ait] souhaiter une cariere plus satisfaisante a parcourir; nos premiers pas dans cet étatsn’ont laissé dans notre ame qu’un vuide rebutant.

Portés par un penchant irrésistible vers de plus grands projets, nous ne nous sommes occupés que des moyens de les remplir. En nous en entretenant, l’idée comme naturelle de votre patrie nous a frappés. Au seul nom de Boston vous euss[iez] vu nos regards s’enflammer, nos immaginations s’echauffer, et nos discours prendre cette activité, ce nerf, cette énergie nécessaire pour se fixer irrévocablement à un parti décisif. Avec qu’elle vivacité chacun de nous sembloit disputer aux deux autres le plaisir d’ajouter a l’éloge commun de vos concitoyens. La justice de leur cause, la bravoure avec laquelle ils la soutiennent, l’héroïsme constant de leurs procé[s] envers des tyrans qui oublient l’honneur et l’humanité, aucuns de ces garants d’une gloire immortelle n’étoient oubliés. Enfin, Monsieur, cet entretien animé s[ur] des sujets aussi intéressants nous ayant inspiré le désir de le renouveller souvent nous nous sommes satisfaits et toujours avec le même intérest.

Nés sensibles tous trois, nous avons éprouvé les éffets que devoient naturellem[ent] produire sur nous de telles discutions. Nous ne pouvons que nous en applaud[ir] puisqu’après avoir maitrisé notre estime au premier abord, elles nous ont inspiré un tel attachement pour votre patrie que nous n’en voulons plus avoir d’autre. Oui Monsieur, nous regarderons comme le plus beau moment de notre vie celui auquel nous pourons nous dire vos concitoyens. Rendés vous justice, et cet entousiasme vous paroitra juste et raisonable.

Peutêtre essayerés vous de vous rendre à nos familles et à notre patrie; nous vous prions de n’y point penser. Notre résolution est ferme et irrévocable, puis qu’elle est produite par des sentimens qui ne peuvent finir qu’avec nous. La seule raison qui eut pu nous retenir eut été, si, fils uniques, nous eussions du nos soins consolateurs a la viellesse de nos parents; mais nous laissons tous trois des frères et soeurs qui rempliront pour nous ces devoirs sacrés. L’instant de la séparation, il est vrai, coutera beaucoup a la sensibilité des uns et des autres; mais nos Parents nous verront partir avec moins de regrets, quand ils sauront que nous ne nous éloignons d’eux que pour être plus dignes de leur tandresse et de leur estime, devenant citoyens utiles d’un état ami de la france. Pour nous, nous les quitterons avec moins de douleur, si, aidés de vos conseils, nous sommes assurés de réussir. Daignés donc nous les accorder, Monsieur, nous vous en conjurons de nouveau. Et qui plus surement que vous pourra nous guider dans le choix des connoissances que nous pouvons prendre a l’avantage de notre future patrie?

Notre état d’avocat, en nous donnant une idée générale des affaires, nous a heureusement rendus propres a toute sorte de parties. Devons nous nous en contenter, en nous rendant, toute fois, la langue angloise aussi familiere que la nôtre? Ou bien, devons nous nous livrer a d’autres études? Nous nous en rapporterons la dessus à vos sages avis; ainsi que sur le temps de notre départ. Nous prenons seulement la liberté de vous observer: que nous pensons, que le plutôt seroit le mieux. Les dangers actuels, loin de rallentir notre ardeur, ne font que nous animer davantage, en nous offrant un moyen de plus d’être utile. Au surplus, nous nous en rapporterons encore sur ce point a vos lumieres; ne doutant pas un instant du bon accueil qui nous sera fait en tous temps, arrivants sous vos auspices.

Jugés donc, Monsieur, de l’impatience avec laquelle nous allons attendre v[otre] réponse; jugés du chagrin que nous causeroit le moindre retard, puis qu’il nous pro[uverait] que vous n’agrées, ni le projet en question, ni ses auteurs. S’il en est autrement, ain[si] que nous osons nous en flatter, et qu’une lettre satisfaisante de votre part nous [en] donne la douce certitude, nous vous demandons dès aprésent la permission de vous être présentés. Les connoissances que nous avons parmi ceux qui ont l’honneur de [vous] approcher, et surtout votre honnêteté si connue, nous permettent d’espérer cette f[aveur] l’un de nous est particulierement lié avec Messieurs holker, et nous partage[ons] tous trois le zêle dont l’un d’eux fait preuve auprès de vos concitoyens.

Daignés croire à la sincérité de l’estime et de la confiance respectueuse a[vec] lesquelles nous avons l’honneur d’être Monsieur Vos tres humbles et tres obeissants serviteurs

Mollien, Poincheval, Brulley

p.s. Nous vous prions d’adresser votre lettre a M. Brulley avocat au Parlement chez M. son Pere Directeur et Receveur général des Octroys Place aux veaux a Roüen.
Endorsed: [Mollier Poincheval    ] augt 25 1778
630475 = 027-301a001.html