From Louis-Guillaume Le Veillard (unpublished)
Passy 21 fevr. 1789
Mon cher amy,

J’aurois voulu de tout mon coeur estre utile a monsieur Gouverneur Morris, surtout dans les premiers Jours de son arrivée, ou sans doute il avoit plus besoin de compagnie; il a maintenant une foule de connoissances et il vole de ses propres aisles, mais jétois alors au lit tres malade des suites d’une chute que j’avois faite en sortant de chez madame helvetius, et dailleurs je n’ai que d’hier vostre lettre du 10 décembre, quoyqu’il y ait pres de trois semaines que Mr. Morris soit a Paris; ayant su par mon beaufrere dirécteur de l’artillerie au havre qui l’avoit vu a son Passage, qu’il m’apportoit des lettres et ayant appris son addresse je me suis trainé chez luy sans le trouver, je nai pu le joindre que jeudy a diner chez madame la duchesse d’Enville et avéc sa permission j’ay envoyé hier chercher mon paquet; je suis d’autant plus faché de ne l’avoir pas reçu plutost que l’occasion qui portera cellecy ne me laissant qu’aujourdhuy je ne puis guere vous marquer que la reception de la vostre.

Mr Morris m’a Dailleurs paru fort aimable, tres instruit et d’un bon jugement, et je ferai mon possible pour voir souvent un homme qui vous connoist et que vous aimez.

Nous nous rejouissons tous du retour de vostre santé, les nouvelles que nous avions eues et surtout l’alteration de vostre belle écriture nous avoient fort inquiétés, la nostre, a vostre absence près, qui est pour nous une grande et incurable maladie, est assez bonne, mes enfans vous assurent de leur respect et leur bonne mere vous embrasse bien tendrement; pendant que je vous ecris, elle est au coin du feu a travailler a une bourse qu’elle vous enverra par Mr. Saugrain qui ma remis vostre lettre du 24. 8bre et que nous avons revu avec grand plaisir, il ne parle de vous et des bontés dont vous l’avez comblé que les larmes aux yeux; ce jeune homme est bien interéssant et fera certainement un bon amériquain.

Je vous remercie du travail auquel vous employez le loisir dont vous jouissez; je ne desire et n’attends rien avec autant d’impatience, quelque crainte que j’aye de vous importuner, je ne cesserai jamais de vous presser sur cet article et vous allez dire encore que je suis insuportable en lisant la remarque suivante: vous écrivez au mois d’octobre a monsieur le duc de la Rochefoucauld et a moy que vous en estes a vostre 50eme année et vous luy mandez le 10 decembre que vous travaillez toujours et que vous avez atteint vostre 50eme année. Mr. Jefferson ira l’été prochain en amerique et doit revenir après l’équinoxe de septembre, je vous supplie qu’il ne revienne pas sans monsieur franklin depuis sa naissance jusqu’en 1789.

Je vous félicite sur le bon état de vos affaires et je ne doute point qu’elles ne se bonifient a un tres haut dégré, mais je ne saurois digérer la chambre haute et la possibilité d’estre continué toute sa vie dans la présidence du congrès; si par une loy nouvelle, cette place étoit déterminement a vie, vous auriez un stathouder, bientost un Roy etc. mais un grand pas pour y parvenir est de pouvoir estre continué toute sa vie.

Nos affaires sont loing d’estre aussi satisfaisantes que les vostres, cependant elles semblent marcher au bien, nos etats généraux sont convoques pour le 27 avril. Je ne crois pas possible qu’ils ayent lieu si tost, les éléctions ne sont pas entamées même celles des électeurs; le voeu général est pour le bien et il y a des lumieres, mais le petit nombre de ceux qui croyent avoir intérest de s’y opposer est bien riche, bien fort et bien puissant, et celuy qui devroit et qui paraist vouloir appuyer la partie souffrante est si foible! Au milieu du cahos actuel personne n’ose donner des ordres avec la certitude qu’ils soient exécutés, les intérests et l’opinion du militaire sont tellement partagées qu’il paroist neutre quoyque le plus grand nombre incline pour le peuple, dans la multitude innombrable des écrits on ne peut en lire un dans le petit nombre de ceux quon a faits contre luy, presque tous sont en sa faveur et bons, il a si évidemment raison; vous aurez un des plus saillants celuy de Mr. Target avocat de l’academie francaise, sil peut partir en meme temps que cette lettre.

Vostre ouvrage sur la difficulté d’établir une bonne constitution même quand Dieu s’en mêle, entierement fondé sur lecriture sainte, m’a beaucoup edifié, il est traduit et imprimé a Paris.

Outre nos malheurs Politiques, nous en avons eu comme vous de phisiques, la grêle l’été dernier, et le froid excessif cet hiver, le termometre de Réaumur est descendu audessous de 18 dégrés, et le degel a causé les plus grands ravages, le beau pont de Tours plus nouveau que celuy de Neuilly et aussi beau a été emporté, les innondations de la Loire et du Rhin ont été terribles, nous avons été traités a Paris en enfants gatés, les glaces se sont fondues paisiblement, il a fait le plus beau soleil du monde et la riviere n’a pas passé ses bords, partout le Royaume les productions ont peu souffert, les bleds sont tres beaux, les oliviers et même les figuers sont sauvés, des plantes tres tendres n’ont point été gelées et les caro[ttes] qui ne l’avoient jamais été ont toutes péri, la graine vaut 14 l.t. le litron, vous nous feriez plaisir de nous en envoyer, car cette plante n’en donnant qu’au bout de deux ans, nous nen aurons point l’annee prochaine.

La misere a été grande, mais les aumônes abondantes, et j’espere que les services qu’ont rendus les pommes de terre les feront généralement adopter. Plusieurs curés de Paris, notament celuy de Ste Marguerite qui a une grande quantité de pauvres, les ont tres bien nourris a 2 s. par tête, moy[ennant] une soupe suffisante pour 40, faite avéc 2 boisseaux de pommes de terre éplucheés? et réduites en purée, 12 l.t. de pain, un quart de boisseau d’oignons, demi livre de graisse, autant de sel et 30 pintes d’eau contenus dans une marmitte placée dans un four, il ne faut qu’une tres petite quantité de Bois pour la cuire et on en tire un charbon qui chauffe encore pendant 24 heures.

Je remettrai ces jours cy musique et chansons a madame Brillon, nous ta[cherons] de luy traduire en vers la cinquieme, il est bien juste qu’elle jouisse des pre[mières] productions de l’amerique en ce genre.

Mes respects je vous prie a monsieur et a madame Bache, mes amitiés a Benjamin, a tous vos petits enfans a tout ce qui tient a vous mais surtout a vous [a qui] je suis entierement dévoué pour ma vie!

Le Veillard

Je suis bien faché de l’accident du vin, jen ai fait de vifs reproches. Mr. Morris qui en avoit bu chez vous, l’a tres bien reconnu chez mr le Duc de la Rochefoucauld.
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