From J. Thiriot (unpublished)
27. Juin 1784
Monsieur

Vous avez la belle célébrité d’aimer, de proteger, et d’aider les talens; mais si les petits sont exclus de votre bienveillance, j’ai tort de m’adresser à elle; souffrez néanmoins que j’en coure le risque.

Après quarante ans de travaux utiles à instruire les hommes par des leçons particulieres, estropié d’une chûte faite cet hyver, et devenu incurable par l’imperitie de mon chirurgien, trainant, à l’appui de deux crosses, et avec des souffrances extrêmes, un individu déja chargé de soixante-cinq ans, sans fortune, sans état et sans secours, sans même que le Ciel invoqué se hâte d’abreger mes jours, j’ose porter jusqu’a vous les cris de mes malheurs.

Je trouve partout de la sensibilité, mais elle est oisive et sans action. Lorsque je donnois mes leçons en ville je ne demandois des secours à personne. Avec mes talens qui me restent, et ne pouvant plus marcher, je vois le moment fatal de me placer sur quelque passage pour exciter par mes souffrances la commiseration des ames sensibles et genereuses.

Je cherche, Monsieur, sur les largesses et la charité des grands et des riches à recueillir une somme de trente Louis, avec lesquels je pourrois ouvrir, sous le titre de Pension, une maison d’institution à Paris ou dans les environs. Aurai-je le bonheur de vous compter au nombre de mes bienfaiteurs? Je suis encore très éloigné de la somme, et en attendant je suis jusqu’en Aoust prochain chez M. Sallard rue des Batailles No. 6 à Chaillot lequel a bien voulu me faire transporter chez lui, pour essayer si l’air contribueroit à mon retablissement. Le peu de tems qui me reste pour jouir de ce service force mon desespoir à éclater, et mon amour propre à ne pas rougir d’invoquer des secours.

Pardonnez-moi, Monsieur: ce détail étoit necessaire et vous n’avez dans cette Lettre qu’une foible image de ma détresse. Puisse-t’elle vous avoir touché efficacement. Je sais que les grands ont toujours quelques reserves pour leurs distributions particulieres. Je suis d’une nation qui fraternise avec la vôtre. Je ne puis aller solliciter votre coeur de vive voix, mais vous avez mon adresse.

Jai l’honneur d’être avec un respect infini, Monsieur, Votre très humble et très obéïssant serviteur

thiriot

Je vous demande, Monsieur, par apostille un second service; c’est de communiquer l’histoire de ma disgrace aux ames sensibles qui ont l’honneur d’être en relation avec vous. Peut-être seront-elles inclinées à m’obliger.
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