Louis Le Veillard fils to William Temple Franklin (unpublished)
Bordeaux Le 4 May 1782

Les gens qui ont tord pour s’éviter des Reproches sont les premiers a crier très fort et à s’accuser si vivement, que ceux qui avoient a s’en plaindre étourdis de leurs L’amentations oublient pour l’instant leurs griefs, et se metent a les consoler. Quoique je serois peutetre dans le cas d’user de cette methode avec vous, comme il pouroit fort bien arriver que vous n’en fussiez pas la dupe, et qu’après m’etre accusé de tous mes tords vous ne m’en grondassiez pas moins, je me tais et attends dans le plus profond silence l’orage que je vois se préparer, heureux si quite pour la peur le nuage passe sur ma tête et va crever plus loing. Ma soumission vous satisfera sans doute, ainsi votre première au lieu de me dire qu’il est affreux, indigne, epouvantable d’etre 2 mois ½ sans donner signe de vie quand on a coutume de voir les gens tous les jours et quand on les aime, ne m’entretiendra que de vos erreurs. Tous les jours vous devenez plus Leger et papillon aimable 5 ou 6 personnes vous ont deja fait oublier La Comtesse; malheureuse femme que je vous plains! Vous aimiez veritablement un jeune perfide, qui n’avoit fait de ses Liaisons avec vous qu’un simple amusement, et qui ne les continuoit que par le plaisir nouveau qu’il trouvoit tous les jours a vous tourmenter. Soyez de bonne foi avec moi, et avouez que lorsque plongée dans la douleur par l’idée (que vous lui aviez donnée) de votre infidélité, vous ne répondiez a ses Lettres que par le plus sanglant persiflage, vous aviez tord.

Nos moeurs vous ont perverti, vous avez pris notre Legerete, et vous avez oublié entierement les principes que l’on vous avoit donnés en angleterre ou on fait de l’amour une affaire importante, et ou l’on croiroit digne d’une punition exemplaire quelqu’un qui le joue comme vous. Ne retournez jamais dans ce pays maudit si jamais les femmes venoient a apprendre votre conduite, leur fierté vous joueroit quelque vilain tour. Vous serez sans doute bien étonné de me voir raisonner, et surtout de la sorte. Mais quand vous saurez toute mon histoire vous le serez bien davantage.

Je suis amoureux fou, mais a lier d’une demoiselle (deux fois grande comme moi), qui n’est pas jolie, mais que je trouve fort aimable, et je ne suis pas le seul. Le pire de l’avanture c’est que toute ma passion ne me menera a Rien, quoiqu’on me recoive assez bien, il faut épouser, ce qui m’est de toute maniere impossible; car on ne peut esperer ni prise de corps, ni dépossession, ni la moindre petite chose. Ainsi voila votre ami qui transformé en galant éspagnol soupire touttes les nuits sous les fenetres de la belle, passe et repasse devant la porte, y entre de tems en tems, se crote, se mouille, enfin a perdu le peu de raison qu’il avoit. Triste raison que trouble un peu de vin et qu’un enfant séduit, adieu, ton depart est d’autant plus facheux pour moi que j’éetois embarqué dans une affaire avec deux Irlandoises que sans toi je ne puis terminer. Avouez que je suis bien malheureux de tomber amoureux en si beau chemin, lorsque tout etoit dans le meilleur train avec mes Irlandoises, voila ma déplorable histoire, je réclame vos conseils dans une circonstance aussi critique.

J’attends Madame Brillon tous les jours, elle seroit deja ici si la goute ne retenoit Monsieur Brillon a Tonneins depuis 15 jours. Mandez moi je vous prie comment se porte votre cousin qui est a Geneve, comme dans les derniers troubles il y a eu plusieurs jeunes pensionaires de tués, quoiquils ne fussent pour rien dans les troubles, je serai bien aise d’apprendre qu’il n’est arrivé Rien de facheux a votre cousin.

Les plaisirs ici sont des plus tristes on ne sait que [manger?], jouer aux cartes, touttes les conversations ne roulent que     de pique ou de careau, quand on va a la campagne, c’est pour jouer, a la veille, c’est pour jouer, a la promenade on joue, il n’y a pas jusques aux agonisants qui ont Leur chevet garni de jeux de cartes; et on a vu souvent des gens au lit de mort qu’un coup heureux a tiré d’affaire. Adieu mon ami car je vois que mon grifonage vous amuse si fort que vous en baillez deux fois davantage, adieu donc ne doutez jamais des sentiments de celui qui a l’honneur de se dire votre ami

Le Veillard

Mes respects je vous prie a votre grandpapa. Ma soeur m’annonce que Chaumont est de retour, ne m’oubliez pas aupres de lui.
Addressed: A Monsieur / Monsieur Franklin Le fils / chez Monsieur son pere / a Passy pres Paris
Endorsed: Le Veillard 4 May 1782
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