From — Cavoleau (unpublished)
à Luçon en Bas poitou 28 juillet 1777
Monsieur,

Cette Lettre vous étonnera sans doute, de la part d’un inconnu dénué de titres pour se faire valoir auprès de vous. Je sens toute l’irrégularité de ma démarche, et que j’ai besoin de la plus grande indulgence pour me la faire pardonner: mais j’ai cru que le docteur franklin était assés grand pour mépriser ces vaines formalités d’un étiquette ridicule, qu’un protecteur subalterne de ma nation ne me pardonnerait pas d’enfreindre. D’ailleurs, ma condition est telle, que je suis reduit à tenter les ressources les plus extraordinaires pour m’arracher aux horreurs du désespoir, auquel il faudra que je succombe, si vous me refusés les secours que j’implore de votre générosité.

Né dans un état médiocre, mais avec une fortune suffisante pour me mettre audessus du besoin, je commençais à jouir des douceurs de l’indépendance, lorsque des revers funestes me plongèrent dans une indigence affreuse. Dénué de ressources, exposé à la pitié insultante des ames viles qui riaient de ma disgrace, il me fallait un état pour suppléer à ce que la fortune venait de me ravir. Je n’en vis qu’un, dans les circonstances ou je me trouvais, ou je pusse sans de basses intrigues forcer la fortune à ne pas me refuser les prémiers besoins de la vie; c’était de me faire admettre parmi les ministres de la Religion. Je me livrai entièrement aux études qui ont rapport à cet objet: mais que je connaissais peu mon coeur, lorsque je crus trouver le bonheur dans un état qui éxige un sacrifice continuel des plus chères affections de la nature! Avec une ame sensible et des passions violentes, je ne fus pas long-tems à m’appercevoir que je n’étais pas fait pour fouler aux pieds les faiblesses de l’humanité; et pour ne pas me rendre vil, j’abandonnai un état dont les devoirs se trouvaient si audessus de mes forces.

Il serait trop ennuyeux pour vous d’entendre le détail de toutes les tentatives que j’ai faites pour suppléer a l’état que ma délicatesse m’avait fait quitter. La fortune acharnée à me poursuivre a dérangé tous mes projets. Partout, j’ai trouvé des amis faux et perfides, des ames dures et barbares insensibles aux pleurs d’un malheureux, ou qui m’ont fait achepter leurs services par des mépris plus humiliants mille fois que leurs refus. La superstition, à son tour, a tourné contre moi les armes du fanatisme; et l’amour abusant de la faiblesse d’un coeur ouvert de toute part au sentiment, a mis le comble aux horreurs qui m’environnent. Si votre âme sublime n’est pas trop éloignée des faiblesses de la nature, imaginés les plus terribles effets de cette passion, peignés vous mon coeur agité par le flambeau des furies et en proie aux remords les plus dechirants, et vous n’aurés qu’une faible idée de la situation ou je suis.

Environné d’êtres odieux, ou qui ne rappellent à mon souvenir que des idées désesperantes, je suis persuadé que le bonheur ne peut plus éxister pour moi dans ma patrie, et je suis déterminé à trainer ma vie et mes malheurs loin des lieux qui m’ont vu naitre. Peut être ne rencontrerai-je pas un sort moins funeste: mais si la fortune obstinée à me persécuter refuse de m’être moins sévére, au moins n’auraije pas à rougir de son injustice parmi des étrangers à qui je serai absolument inconnu; et les préjugés de la société ou elle m’a fait naitre, ne m’interdiront aucune ressource qui ne sera pas déshonnête en elle-même.

Jettant mes regard sur toutes les nations qui se sont partagées cet univers, j’apperçois l’amerique septentrionale luttant courageusement contre la tyrannie et s’efforçant de rentrer dans les droits sacrés et imprescriptibles de la nature. Ce spectacle echauffe mon ame: mon imagination frappée des grands événements que cette intéressante révolution doit produire, et un goût déterminé pour tout ce qui porte l’empreinte de l’extraordinaire, me font souhaiter d’en être témoin, espérant que la fortune pourrait peut être m’y faire jouer un rôle, et que parmi cette foule de mouvements particuliers occasionnés par le branle général du corps politique, il pourrait s’en déterminer quelqu’un en ma faveur.

Vous, Monsieur, à qui votre patrie a confié ses plus grands interets, vous, qui par vos vertus et vos talents, jouissés parmi vos concitoyens de la consideration la plus méritée, si vous vouliés vous intéresser au sort d’un infortuné qui ne peut plus se soutenir sous le poids de ses malheurs, vous pouriés me faciliter le projet qui m’occupe. Je ne possède pas de grands talents; mais ne peut-on sans cela être utile à la Société? Un coeur pur, un sens droit, du zéle et surtout de la reconnaissance pour la protection que votre nation m’accorderait; ces qualités ne pourraient elles point suppléer à ce qui me manque de génie? Au reste, si je ne peux rien de plus, je pourrai du moins, comme le dernier des soldats, verser mon sang pour la patrie qui voudra m’adopter.

Au nom de l’humanité, je vous conjure de ne pas me refuser ce que j’ose vous demander: ou si c’est trop de votre protection, de m’indiquer au moins, les moyens d’exécuter mon entreprise. Vous aurés la satisfaction d’avoir sauvé un malheureux du désespoir, d’avoir acquis un sujet fidèle a votre patrie et à vous le coeur d’un homme que ne sera pas insensible à vos bienfaits, et déja pénétré d’admiration pour vos vertus et vos sublimes talents. Votre réponse sera la décision de mon sort: en attendant croyés moi avec le plus profound respect, Monsieur, votre très humble et très obeissant serviteur

Cavoleau

p.s. Je crois pouvoir vous donner une idée favorable de mon caractére en vous disant que je suis très etroitement lié avec Monsieur tardiveau qui vient de partir pour votre patrie sous vos auspices, et qui m’a marqué avoir reçu de vous mille preuves de bonté relatives à l’entreprise qu’il va former. Cet homme estimable est presque le seul ami qui me reste dans ma mauvaise fortune. Un sort à peu près semblable au mien n’avait pas peu contribué à nous unir, et ce serait pour moi une grande satisfaction de pouvoir le rejoindre dans une situation plus heureuse de son côté et du mien. Pour de fortes raisons, je vous prie de m’adresser votre réponse en anglais.
Endorsed: Cavoleau Lucon en bas Poitou 18 juillet 1777
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