James Milne to the Government of France (unpublished)
Mémoire.

Jacques Milne, Anglois, a l’honneur d’adreser au Gouvernement sa très humble petition sur les faits qu’il va exposer.

Une connoisance parfaite de tout ce qui concerne les Méchaniques, soit pour la pratique soit pour la théorie a mis le S. Milne dans le cas d’inventer en différens pays plusieurs machines propres à la prospérité de diverses branches de Commerce.

En 1779 il vint en France et introduisit dans la manufacture Royale d’Oissel près Rouën une machine à carder le coton qui produisit un avantage réel à cette Manufacture et mérita à l’Auteur beaucoup d’applaudissemens.

En 1780, il en construisit une de la même nature à Paris, par ordre du Gouvernement: l’utilité de laquelle fut reconnue et approuvée par l’Académie des Sciences.

Il construisit aussi des machines à carder et à filer le coton en fin et en gros, pour la manufacture Royale de Neuville en franc-Lyonnois: l’utilité des quelles a déjà été rapportée au Gouvernement par M. de Flesselles Intendant de Lyon, et par M. Brisson Inspecteur du Commerce.

Dans le tems qu’il fut employé par le Gouvernement en 1780, on lui proposa de grands avantages en différens Royaumes; mais préférant de se fixer en France, il forma une Société avec le S. françois Perret de Lyon, ne doutant pas qu’il y trouveroit l’avantage que lui assuroient son industrie et la protection que le Gouvernement accorde aux Etrangers qui viennent apporter des talens utiles dans ce Royaume.

Pour éviter la prolixité de cette pétition le S. Milne se contentera de faire mention des principaux événemens qui lui sont arrivés depuis qu’il a fait cette Société, et de donner une idée de la situation actuelle, espérant que les difficultés qu’il éprouve seront aplanies par l’équité du Gouvernement.

Pour conduire cette Manufacture, le S. Perret fut chargé de la Caisse et de regler les intérêts extérieurs: le S. Milne s’occupoit des Affaires intérieures pour former les différens Ouvriers et élever les diverses Méchaniques nécessaires.

Il y eut un fond préposé pour cet établissement de Six cent mille livres qui devoit être réalisé en formant des actions; d’après le privilège qu’il plût à Sa Majesté d’accorder à cette Manufacture.

La confiance qu’acquit cette entreprise fut cause qu’un assez grand nombre d’actions furent bientôt placées et on eût la perspective de ne pas garder longtems celles qui restoient.

Pendant ces espérances le S. Perret fit plusieurs voyages à Paris où il resta fort longtems, et revint bien content du Succès qui paroissoit l’environner; mais il se précipitoit dans des desseins à perte de vue sans consulter le S. Milne, qui à sa grande surprise eût recemment la mortification de voir une saisie faite par un créancier de cent mille livres; pour des actions que le S. Perret disoit avoir été placées par lui pendant son séjour à Paris; quoiqu’elles n’eussent été remises qu’en nantissement à ce Créancier pour sûrete de cette somme, qu’il n’avoit fait que prêter à la Manufacture jusqu’à ce que ces actions ou d’autres seroient placées.

Supplication fut alors faite au Gouvernement pour obtenir son assistance et par son ordre M. de Flesselles Intendant et M. Brisson Inspecteur du Commerce, firent leur visitte à la Manufacture de Neuville, pour connoître la vraie situation et rapporter leur avis au Gouvernement; ce qu’ils firent en octobre 1783.

Ils ne purent s’empêcher d’admirer l’art ingénieux et l’avantage des Méchaniques inventées par le S. Milne et qui consistent en ce qui suit.

1o. Une machine à carder le coton, préférable à tous égards, à celles qu’il avoit ci-devant, faites et établies soit à Oissel soit à Paris. Cette Machine donnant un coton après la préparation du cardage, une facilité pour le filer à tous les dégrés de finesse, d’égalité et de force dont le coton peut être Susceptible. Cette méthode étant bien supérieure à l’ancienne coutume de carder à la main.

Cette machine a encore l’avantage de diminuer considerablement la main d’oeuvre de manière qu’une personne seule peut faire autant d’ouvrage que vingt autres.

Elle a aussi l’avantage de carder dans un moindre espace de tems plus de matiere que toutes les autres machines, et l’ouvrier qui la dirige connoit si son opération est telle qu’elle doit être parceque tel poids de coton doit lui produire telle longueur et telle finesse, le tout proportionné à la qualité du coton et à l’emploi qu’il en veut faire. Cette machine possédant encore l’avantage d’un arrangement particulier pour faire un cardage perpétuel, qui produit en même tems et par la même opération une filature en gros de telle longueur et finesse qu’on juge à propos sans la moindre variation et avec une égalité parfaite, ce qui est la base essentielle de tous les articles de filature qu’on puisse désirer en coton; un tel plan à carder avoit été jusqu’ici bien désiré; mais jugé presque impossible d’être effectué. Il demande peu de Soins, une fois érigé, il n’est guerre sujet aux dérangemens.

2o. Une machine à filer en gros, opération nécessaire à suivre en premier pour mieux réduire la grosseur à un tel dègré de proportion en conservant toujours la premiere égalité et beauté. La matière est préparée par ce moyen à passer sous une autre opération de filature en dernier.

L’avantage de cette Méchanique est très considérable, puisque des enfans âgés de quatre ans suffisent pour la conduire et puisqu’elle produit, à tous égards, une filature sans comparaison, plus belle et plus suivie que toutes celles connues auparavant et infiniment moins dispendieuse.

3o. Une machine a filer le coton enfin, qui par son invention particuliere met à même celui qui en a Soin de donner tel dègré de finesse et de tors à Sa filature que demande l’objet pour lequel il le destine.

Cette machine est aussi conduite par des enfans de Six à huit ans, qui n’ont autre chose à faire que de recevoir la filature en gros et la mettre Sur celle-ci, d’ôter les bobines à mesure qu’elles se remplissent et remplacer les vides &ca. Elle produit aussi bien plus d’ouvrage qu’on n’en peut faire dans le même tems par tout autre moyen.

On épargne aussi le Savonnage et le grand retard que cela cause et on évite la mauvaise couleur donnée au coton au Séchage. Il n’est pas besoin de le battre, et l’on évite le déchet que donne les autres moyens.

Le Savonné devient fort préjudiciable à la santé de tous ceux qui l’employent, et même on est obligé de le bien laver avant de le fabriquer. Tous ces inconvéniens Sont évités par le moyen de ces nouvelles Méchaniques.

Et enfin la préparation que le coton reçoit par le moyen de ces trois machines, acquiert une supériorité de filature par l’égalité et la finesse du fil, telle que l’on peut parvenir à fabriquer des toiles de coton, mousselines et autres objets, aussi belles, aussi finies que celles que l’on tire de chez l’Etranger, on peut surpasser même en ce genre tout ce qui se fabrique en Europe et égaler les fabriques des Indes par la supériorité de ces Méchaniques.

Mrs. l’Intendant de Lyon et l’Inspecteur du commerce donnerent aussi de grandes marques d’approbation relativemen[t] à la fabrication des étoffes en coton dont les chaînes et trames avoient été filées par ces Méchaniques, étoffes qui consistent en divers articles, convenables pour l’usage des deux Sexes, et calculés autant pour la consommation de ce pays que des pays étrangers en imitation de celles importées des Indes et de Manchester.

En même tems ils examinerent la manufacture de velours mélangé de soie et coton qu’ils condamnerent. Cette branche de Commerce avoit été unie à l’autre par l’imagination du Sr. Perret contre l’avis du S. Milne qui ne pût jamais lui faire comprendre que cette branche ne fesoit que décréditer le reste en nécessitant des dépenses immenses!

Dans ce rapport il a paru que les différens déboursemens se montoient à environ sept cent mille livres somme qui doubloit celle que l’on avoit fait connoître jusqu’à présent au S. Milne.

Le S. Milne se vit donc tout d’un coup plongé dans une situation la plus allarmante et qu’il n’auroit jamais pû prévoir, d’autant moins que ses différentes méchaniques étant dans leur état de perfection, paroissoient devoir lui procurer bientôt une récompense proportionnée aux peines qu’il s’étoit données pour arriver à ce point là.

Avant qu’aucun secours soit arrivé, on a fait tout saisir et le Sr. Milne s’est trouvé forcé de quitter sa maison accompagné de sa famille, privé d’une partie de ses effets et exposé à la merci du Public. Telles sont les suites cruelles d’une Société dans laquelle il a fourni ses méchaniques et son travail et dont il n’a retiré que les traîtemens les plus durs et la perspective de la misère.

Ayant ainsi fait connoître sa situation, il ose espérer la protection et la bienvaillance du Gouvernement; s’il veut bien prendre en considération son assiduité de cinq années successives, à un travail continuel pour introduire différentes méchaniques dans ce Royaume l’utilité qu’elles produiront nécessairement au Gouvernement et au Commerce de France en général, en proportion de ce qu’elles deviendront publiques dans ce Royaume. C’est sur ces motifs qu’il implore l’aide du Gouvernement, et l’encouragement qui sont toujours distribués par sa bienfaisance dans des occasions semblables, avec une équité et une libéralité qui gagnent si justement la confiance et l’admiration du Public./.

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