From Benjamin Franklin: Eulogy for John Pringle (unpublished)
[1782]
Eloge de M. Pringle.

Jean Pringle Chevalier Baronnet Medecin du Roi et de la Reine d’Angleterre, Docteur en Medecine de l’Université de Leyde, Membre des Colleges de Medecine de Londres et d’Edimbourg, Président de la Societé Royale de Londres, associé étranger de l’Academie de Sciences, des Academies de Gottingue, de Harlem, de Naples et de Philadelphie, des Societés de Medecine de Paris et de Hanau et de la Societé des Antiquaires de Londres, naquit le 10. avril 1707 à Stitchel-house dans le Comté de Koxburg au Nord de La Grande Bretagne, de Jean Pringle d’Estichel Cher. Baronnet et de Madeleine Elliot de Stobs.

Le Jeune Pringle se destina de Bonne heure à la Medecine. En Angleterre l’Opinion permet à chaque Citoyen de choisir son Etat, non d’après celui qu’ont exercé ses Peres ou le degré d’orgueil que leurs titres peuvent inspirer, mais d’après son Goût et ses Talens. Cette Liberté doit produire d’heureux Effets, les Particuliers moins contraints sont plus heureux, moins d’hommes sont hors de leur veritable Place et la Nation en est mieux Servie.

Mr. Pringle ne borna point ses Etudes à la Médecine, aussi fut il jugé digne à l’âge de 25. Ans de remplir une Chaire de Methaphysique et de Morale dans l’universitè d’Edimbourg. Ces Sciences et la Medecine comme elles, devroient ne se fonder que sur des observations, le goût des Systemes, l’habitude de se payer de mots, et la routine des écoles ont été les plus grands obstacles aux progrés de la Methaphysique, ainsi qu’aux progrès de l’art de guerir, et dans ces deux Sciences l’Importance dont les objets qu’elles traitent sont pour les hommes, leur liaison avec nos intérêts les plus chers, sont encore également une des causes qui ont rendu plus puissante que dans les Sciences purement speculatives, l’influence des passions et des prejugés populaires.

Milord Stairs général des troupes Angloises dans la guerre de 1741. crut que M. Pringle seroit plus utile à son Pays à la tête des hopitaux de l’armée que dans une école de Methaphysique et le fit nommer medecin de l’Armée de Flandres. M. Pringle fit avec le même général la Campagne de 1743 sur le Mein. Né avec ce Sentiment d’Humanité premier principe et seule base solide de toutes les Vertus; il avoit vivement senti qu’elles devoient être les angoisses des blessés ou des mourans lors qu’une mouvement de l’armee forçait ou de les transporter à la Hâte ou de les abandonner à la discretion du Soldat ennemi. Pour éviter ce malheur on étoit souvent obligé de placer les hopitaux loin de l’armée et de préferer dans le choix de leur emplacement la sureté à la Salubrité. M. Pringle engagea Milord Stairs et le Marechal de Noailles à convenir que ces Aziles de Malheur seroient reciproquement respectés. Son zéle obtint la Recompense qui pouvoit le plus le toucher, puisque ses compatriotes furent les premiers qui profiterent de cette convention. Après la bataille d’Etingue un hopital anglois se trouva dans le terrein occupé par l’armée Françoise, et le premier Soin du Marechal de Noyailles fut de rassurer les Soldats qui y étoient deposés, en leur annonçant que les Troupes Françoises avoient ordre de ne pas les inquiéter, et que ceux qui les servaient auroient une Liberté entiere de remplir leurs fonctions.

On peut compter parmi les progrès que le Genre humain a fait dans notre Siecle ces actions de bienfaisance ou de Justice exercées au milieu des horreurs de la Guerre, avec une Simplicité et une noblesse inconnues dans les Siecles précedans et sur tout dans ces tems antiques que l’ignorance ou l’envie s’efforcent d’admirer. Les Militaires sont peut être la Classe de la Societé où les Progrès de ce Sentiment d’humanité ont été le plus sensibles. Si l’on veut trouver des hommes qui aient conservé toute la barbarie antique au milieu de l’adoucissement des meurs de leur Siecle et de leurs concitoyens, ce n’est pas dans les Camps qu’il faut les chercher, ce n’est point parmi les guerriers qui n’attaquent la vie des autres qu’en prodiguant la leur, c’est parmi ceux qui frappent leurs Victimes de sang froid et sans danger et qui exercent des Rigueurs auxquelles ils se croient surs de n’être jamais exposés.

En 1745. Mr. Pringle fut nommé Medecin en chef des armées Britanniques et repassa en Angleterre pour remplir ses fonctions auprès des troupes destinées à combattre le Prince Edouard. Elles resterent en campagne pendant le mois de decembre, et cependant elle soufrirent peu. Une Societé de Quakers leur avoit fait distribuer des gillets. Depuis environ un Siecle et demi il n’y a pas eu dans l’histoire d’Angleterre un évenement important où ces hommes pacifiques n’aient donné quelque exemple éclatant de bienfaisance ou de générosité, et parmi tant de Sectes qui ont desolé la terre, en desohonorant la Raison humaine celle des Quakers a été la seule jusqu’ici où le fanatisme ait rendu les hommes meilleurs ou plus humains.

La Place qu’occupoit Mr. Pringle est peut être la plus pènible et en même tems la plus brillante qu’un Medecin puisse remplir. Au milieu de la devastation et du Carnage lui seul exerce un Ministere consolateur. Citoyens, ennemis tous également confiés à ses Soins ne sont pour lui que des freres. Entouré d’une multitude immense occupée à executer des projets destructeurs, il peut se livrer au Sentimens de son coeur, et ceder à toutes les impressions de la Vertu. Les loix terribles de la Guerre sont muettes pour lui, c’est à lui seul qu’il est permis d’ecouter la voix de la nature. Il paroit au milieu des hommes qui l’environnent un être d’une espece superieure ou plustôt lui seul est veritablement homme et en a pu conserver sans atteinte le caractere et la dignité.

En remplissant les fonctions de cette Place M. Pringle s’apperçut, combien l’art de la Medecine employé avec Sagesse pouvoit diminuer le nombre des victimes de la Guerre. Il eut occasion d’observer en grand sur une multitude d’hommes obligés aux mêmes travaux, respirant le même air, aïant la même nourriture, le même habillement, le même logement, les mêmes vices et les mêmes habitudes quels pouvoient ètre les effets des differentes constitutions de l’air, des Saisons, de la temperature, des logemens humides ou resserrés, des diverses sortes d’aliment et des differens regimes, ceux enfin de la négligence et de la Mal propreté. Il peut examiner qu’elles maladies ces causes ou separées ou reunies produisent parmi les Soldats, les caracteres qui distinguent les épidemies des armées, de épidemies ordinaires, et les maladies qui sont vraiment épidemiques de celles que l’on confond avec les premieres, parce qu’elles attaquent en même tems et dans un même lieu un grand nombre d’individus. Il en avoit étudié la Marche et les Symptomes, les differentes methodes que l’art peut employer, les avantages ou les dangers de ces Methodes, les éffets des remedes qui paroissent indiqués par la Maladie et de ceux que l’esprit de Systême ou la routine ont introduits.

Ces Observations servirent de base à son ouvrage sur le Maladies des Armées. Ce traité reimprimé un gramd nombre de fois traduit dans presque toutes les langues, a été regardé dans l’Europe comme un de ces livres fondamentaux si rares dans les Sciences. Ce n’est point seulement un ouvrage destiné à instruire les Medecins; tous les hommes y peuvent puiser des Leçons utiles, et ceux qui sont chargés ou de l’administration d’un Pays ou de gouverner un grand nombre d’hommes, peuvent y apprendre à connoitre les précautions necessaires pour la conservation de ceux qui leur sont confiés et s’éclairer sur des soin importants qui sont une de leurs premieres obligations.

M. Pringle fait voir combien le defaut de Propreté, l’humidité de Vetemens ou des habitations, les lieux ou l’air ne circule point, où les hommes sont entassés, les terrains inondés, l’air infecté d’exhalaisons marecageuses produisent des maladies, et font perir des Victimes. Ce n’est point ici un de ces amis de l’humanité qu’on accuse de se plaire à en exagerer les maux, c’est un Physicien exact qui ne parle que de ce qu’il a vû, dont les observations repetées faites sur des corps nombreux ne peuvent permettre le doute si commode pour les hommes puissans lors qu’ils sont indifferens ou corrompus. M. Pringle eut le plaisir de voir un de ses confreres à la Societé royale, le Général Melvil gouverneur des Isles de l’Amerique mettre ses preceptes en pratique et en plaçant ses hopitaux sur les lieux hauts et aërés, en fixant le Sejour de ses troupes dans des terreins secs et superieurs aux exhalaisons humides, conserver les Soldats confiés à ses Soins.

Mais cette utilité des vues de M. Pringle n’a presque été sentie que par les guerriers. Eux seuls semblent regarder la conservation des hommes comme un des devoirs du Commandant. L’Europe est encore couverte de marais dont les exhalaisons, ou écartent les hommes de terreins fertiles qu’elles infectent, ou les conduisent à une Mort plus prompte par une vie languissante ou douloureuse. Les générations que les terreins rendus à la culture auroient nourries sont étouiffées dans leur germe. Dans la durée d’un Siecle plus d’un million d’hommes qui perissent en Europe par cette seule cause semblent accuser ou le peu de lumieres ou l’indiference de ceux qui negligent de les preserver de ce fleau. L’on est contraint même d’avouer avec douleur que ce n’est pas à la nature seule qu’on doit l’imputer. Une Partie du mal et la plus grande partie peut être, est l’ouvrage des hommes, c’est à l’avidité du Riche que la Santé, que la Vie du pauvre est immolée, et tandis que l’utilité du Commerce a fait delivrer les grandes rivieres des obstacles qui en genoient la navigation; Ces digues, ces travaux qui ne nuisent qu’à la vie du peuple sont encore respectées.

Parmi les maladies que M. Pringle a decrites et qu’il apprend à guerir et surtout à prevenir, on doit remarquer la fievre de Prison, maladie terrible que produit la reunion des hommes renfermés dans un espace trop petit, surtout lors que la Misere et la malpropreté augmentent les effets toujours dangereux de cette réunion. Cette maladie s’étend quelques fois au delà des murs où elle a pris naissance. Deux fois en Angleterre les Prisonniers apporterent au milieu de leurs juges la contagion et la Mort, triste Vengeance qu’ils sembloient tirer de ceux qui avoient ajouté à la Misere de ces malheureuses Victimes des Loix, des maux que les loix n’avoient point ordonnés. Les hopitaux, les Prisons militaires sont exposés aux mêmes maladies. Ceux qui y exercent l’autorité ne sont point à l’abbri du fleau, et s’ils manquent aux devoirs de l’humanité que la Nature leur a imposés, elle a preparé leur supplice.

Mr. Pringle a observé que Londres est très peu sujet aux épidemies, on a fait la même observation sur Paris. Mais ces capitales ne sont plus entourées de Marais, Si l’humanité n’avoit pu se faire entendre, l’intérèt seul les eut dessechès. La Vie, les occupations des hommes y sont moins uniformes, leur nourriture plus variée, la Concurrence, la Richesse rassemblent de loin les alimens necessaires à un peuple nombreux, le Vice que l’intemperie peut faire contracter à ceux d’un petit canton, nourriture necessaire de ses habitants ne peut infecter qu’une tres petite partie des vivres d’une Capitale. Si l’aire y est moins sain, ses variations y sont moins sensibles. Aucune des causes qui produisent les épidemies ne peuvent agir, ni avec assèz de durée, ni sur un assèz grand nombre d’hommes à la fois, et c’est du moins un fleau qui leur a été épargné.

Les Travaux de M. Pringle sur la putrefacton des matieres animales, doivent être regardés comme une Suite de son Traité sur les maladies des armées, puisque son Objet étoit de chercher par ces experiences à mieux connoitre les maladies putrides et les effets des remedes dans ces maladies. Il examiné soigneusement toutes les Circonstances qui accelerent ou retardent les Progrès de la Fermentation putride de toutes les Substances animales, soit seules, soit melées avec les differentes humeurs, l’effet que les Sels acides, alcalis ou neutres, les astringens, les amers produisent dans ces Phénomenes. Il prouve que presque tous les Sels, les Alcalis même malgré une opinion presque générale contribuent à retarder la fermentation, que les absorbans terreux l’accelerent, que les Sels qui, employés à grande dose, la retardent, la facilitent lors qu’ils sont en dose très petite; mais que les émanations putrides en sont le ferment le plus prompt et le plus sur. Il tire de ces experiénces les consequences pratiques ou elles conduisent. Il n’imaginait pas sans doute que ces Sels, ces Medicamens produisissent sur un corps vivant les mêmes effets que sur les Substances mortes, mais il croyoit que des Medicamens qui accelerent ou arrêtent la fermentation dans les Substances animales privées de la Vie, ont un effet analogue sur les Visceres, sur les humeurs d’un corps vivant, quoique cet effet doive ètre modifié par les forces organiques qui s’y exercent, par les operations qui produisent la digestion ou les diverses Secretions des humeurs. Il croïait enfin que si dans ces effets combinés la proprieté anticeptique des Médicaments n’est pas conservée tout entiere, elle n’est pas non plus absolument detruite.

Cette dissertation sur les Substances Septiques ou anticeptiques, obtint en 1752 la medaille destinée par la fondation du Chevalier Cowlei au memoire fait pendant l’année, qui au Jugement des Commissaires de la Societé Royale, renferme les expériences les plus utiles, fondation qu’il seroit à desirer que l’on vît se multiplier non peut être par des Institutions perpetuelles (il est probable qu’elles deviendroient un Jour inutiles) mais par des établissemens qui assurés seulement pour un certain nombre d’années se revouvellent s’ils sont utiles, et ne peuvent jamais finir comme tant de fondations anciennes pour devenir d’une éternelle inutilité.

M. Pringle servit encore dans les armées d’Allemagne pendant les trois premieres Campagnes de la Guerre de 1755. A la fin de 1758 il quitta des fonctions devenues trop pénibles et fixa son Sejour à Londres, partageant son tems entre la pratique de la Medecine et la Societé royale. Il en étoit membre depuis 1745 et elle le nomma son Président en 1772. Cette dignité purement élective a été illustrée par Newton qui la conserva longtems. Trop modeste pour croire qu’on eut couronné en lui, comme en Newton, la Superiorité du Genie, M. Pringle malgré tant de titres à l’estime des Savans, se crut obligé de se montrer digne de sa place par le zéle avec lequel il en remplirait les devoirs. Il s’occupa surtout d’introduire dans les élections une forme plus rigoureuse et d’exiger davantage des concurrens convaincu que si la reputation d’une academie n’est due qu’aux Noms illustres qui ornent sa liste, sa consideration depend de sa Severité dans ses choix. Comme Président il étoit chargé d’annoncer à qui la Societé royale donnoit chaque année le prix des expériences les plus utiles, que lui même avoit remporté. Non seulement il exposoit dans une assemblée générale, à l’exemple de ses predecesseurs le detail des travaux qui avoient decidé le choix de la Societé, mais ces discours imprimés sur le champ, distribués dans tous les pays, apprenaint à l’Europe quelle nouvelle obligation les Sciences et l’humanité avoient eu à la Nation angloise. La décision de la Societé royale étoit soumise au Jugement des Savans de toutes les Nations, et les juges pour leur propre honneur et pour celui de leur pays, si cher à tous les Anglois, n’auroient osé couronner des decouvertes ou incertaines ou trop peu importantes ou dont la proprieté put être contestée.

Ces discours de M. Pringle prouvent une Universalité de connoissances très rare et ce qui l’est au moins autant, une Philosophie forte sans être exagérée et moderée sans être timide. Ses Succès dans la pratique de la medecine lui avoient merité la Confiance de la famille royale, du public de Londres et des étrangers. Il étoit ennemi des methodes fondées sur la theorie qu’il regardoit comme trop vague et trop peu avancée. Il paroissoit regarder l’empirisme, c’est à dire la pratique appuïée sur la seule observation, comme la meilleure methode. Il faut du moins que cet empirisme soit raisonné, lui disoit un de ses Confreres, le moins qu’il se pourra, repondit M. Pringle, c’est en raisonnant que nous avons tout gâté.

En 1778 il quitta la presidence de la Societé royale, une chute qu’il regarda comme l’effet d’une attaque de Paralysie lui parut un avertissement de ne plus songer qu’au repos, d’ailleurs une discussion élevée dans le Sein de la Societé l’avoit vivement affligé. L’usage des conducteurs électriques et des conducteurs construits suivant les Principes de M. Franklin avoit été avidement adopté en Angleterre dans le tems où M. Franklin étoit Anglois. Il avoit cessé de l’être, il étoit devenue un des Chefs d’une revolution plus humiliante peut être pour l’orgueil Britannique que contraire aux veritables intérêts de la nation; on parut se repentir d’avoir accueilli la decouverte d’un ennemi. Une question sur la forme des conducteurs électriques devint une affaire de parti entre les ennemis de l’amerique et les nombreux partisans qu’elle avoit conservé en Angleterre. Ami de M. Franklin plus ami de la Verité M. Pringle soutint avec courage leur cause commune et il l’emporta. Mais il vit avec douleur la Societé royale se partager et l’esprit des factions politiques profaner le Sanctuaire des Sciences.

Après sa retraite M. Pringle resolut de quitter Londres et de terminer ses Jours à Edimbourg où il avoit passés sa Jeunesse et où le rappellaient des souvenirs que le tems n’efface Jamais. Mais après un essai infructueux la rigueur du climat le força de revenir à Londres. Avant de partir, il laissa au College des Medecins d’Edimbourg trois volumes in folio de manuscrits avec la Condition singuliere qu’ils ne seroient jamais imprimés, soit qu’il redoutât pour sa memoire le zéle indiscret de ses disciples ou de ses amis, soit plustôt qu’il crut ses travaux trop imparfaits, pour être utiles à ceux qui n’auroient pas assèz approfondi la Medecine et qu’il craignait de les égarer.

Peu de mois après son retour à Londres il sentit ses forces s’affoiblir, sa Memoire l’abandonner et le 14 Janvier 1782 il fut frappé d’une attaque de Paralysie à laquelle il succomba quatre Jours après. Le Roi d’angleterre lui avoit donné le titre de Baronnet qui étoit déjà hereditaire dans la Branche ainée de sa famille.

Les Chevaliers Baronnets sont les seuls qu’en Angleterre on puisse regarder comme formant un corps de noblesse hereditaire, car la Pairie est plustôt une Magistrature ou une dignité aristocratique qu’un titre d’honneur. Celui de Baronnet à la verité ne donne aucun Privilege utile, institué en faveur de la vanité, on a Sagement établi qu’il ne pourroit flatter aucune autre passion.

Il avoit été nommé en 1778 à la place d’associé étranger de cette academie, vacante par la mort de M. de Linné, avec lequel il avoit une conformité bien glorieuse. Leur reputation, leur âge, leurs places, les avoient mis chacun à la tête des Savans de leur Pays, un zéle égal pour le progrès des Sciences les animoit; et après la perte toujours si douloureuse d’un homme célèbre par ses travaux, leurs concitoyens ont eu encore à regretter celle d’un veritable ami des Sciences, occupé de former des Savans, d’encourager les talens, d’inspirer l’amour de l’Etude, d’animer l’émulation et de seconder les decouvertes.

Toute la conduite de M. Pringle annonçait une de ces ames formées pour l’exercice des vertus douces et paisibles. La premiere partie de sa Vie avoit été employée dans les hopitaux militaires à prodiguer les consolations et les soins de l’humanité, plus encore que les secours de la Medecine aux infortunés qui les habitoient. Il consacra plusieurs années à donner des moyens de prevenir les maux dont le Spectacle cruel lui avoit fait une impression profonde. Le reste fut partagé entre les Soins de sa profession, l’étude et l’amitié.

Il avoit embrassé à la fois presque toutes les Sciences Physiques, la philosophie Speculative, l’érudition, la théologie même: Il amoit à rassember autour de lui les savans d’angleterre les plus célèbres, les étrangers, tous ceux en un mot de qui il esperoit apprendre quelque chose ou qui pouvoient profiter de ses lumieres, mais excepté les Jours destinés à ces assemblées, sa societé se bornoit à quelques amis, on retrouvoit dans ses discours, dans ses procedés cette candeur qu’il avoit montrée dans ses ouvrages et dans ces opinions. L’amour de la verité, le plaisir de faire le bien étoient ses deux passions les plus cheres et même les seules qu’il ait jamais connues.

Il étoit très pieux, c’est à dire qu’il rendoit à un Dieu pere commun de tous les hommes un hommage libre et pur, mais sa religion étoit celle qu’il s’étoit formée d’après ses Reflexions ou par la lecture de la bible, et il n’adoptoit en entier la croyance d’aucune des communions Chretiennes. Suivant lui les peines destinées au méchants après la mort n’étoient point éternelles, il croioit que Dieu donne à la Vertu les mêmes recompenses de quelque religion qu’aient été ceux qui l’ont pratiquée. Ces deux points de sa croiance, surtout le premier étoient les seuls qu’il soutint avec chaleur et qu’il parut vouloir presuader aux autres. Il avoit adopté comme Newton l’opinion des Unitaires rigides. on a imprimé une Lettre de lui sur le Sens des propheties de Daniel et c’est encore une conformité qu’il a eue avec ce grand homme.

On lui destine un Mausolée à Westminster à côté du celebre Hales son ami dont la vie a été consacrée comme la Sienne à des études utiles, qui toutes avoient pour but la conservation des hommes. Si dans ce temple consacré à la memoire des hommes illustres ceux qu’anime l’enthousiasme des Sciences s’empressent à chercher de plus grands noms et portent leur hommage à des genies d’un ordre superieur, du moins les amis de l’humanité s’arreteront avec attendrissement au pied de la tombe de deux Savants modestes, vertueux, bienfaiteurs éclairés de leurs semblables.

Ainsi dans les triomphes de Rome ancienne, tandis qu’une Jeunesse ambitieuse contemploit avec avidité ces couronnes d’or, ces laurieurs dont se paroient les conquerans des villes et les Vainqueurs des chefs ennemis; les meres, les épouses arrêtaient leurs yeux mouillés de larmes sur ces guerriers plus modestes qu’une simple couronne de chêne annonçoit à la patrie comme les conservateurs ou les liberateurs des Citoyens./.

638897 = 038-u482.html