From ———: Memoir on Education (unpublished)
Education &a. Supplément à L’éducation.

Nous nous proposons d’étendre l’éducation en y faisant entrer les arts méchaniques, Jusqu’ici trop dédaignés des gens du monde, et trop méconnus des Philosophes. nous destinons cet écrit à montrer l’estime qui est due à ces arts, La nécéssité de les connoître, et les avantages qui résulteront de cette connoissance, tant pour les arts en eux mêmes, que pour les hommes en général. nous regardons ce nouveau plan d’étude comme un Supplément utile et nécessaire à L’éducation.

L’objet de l’éducation est d’élever un homme au niveau du siecle où il naît; et c’est peut-être en suivant cette idée, qu’on se sert du mot élever quand on parle des soins donnés à l’enfance de l’homme. il est Sûr que, relativement à l’esprit, l’éducation n’est que le dénombrement des connoissances humaines.

on pourroit dire à l’homme naissant, comme au nouveau propriétaire des terres: voilà les possessions de vos Peres, parcourez-les, portez-y l’oeil du Maître; c’est à vous d’étendre ce Domaine. pour que l’éducation fut complette il faudroit donc qu’elle rassemlât toutes les connoissances; elle seroit alors infiniment plus utile, 1o. parceque L’hommme de génie, abandonné à L’instinct du talent qui le détermine, seroit dans le cas de faire un choix plus prompt et plus facile; 2o. parceque les connoissances générales perfectionnent les connoissances particulieres, et qu’un homme dont la tête seroit assez forte pour recueillir toute les idées acquises, seroit seul dans le cas de se rendre compte des points où les sciences se réunissent, où les arts se touchent, des secours que les unes et les autres se prêtent, et des progrès qu’ils peuvent faire. nous ne prétendons pas exiger de l’homme de génie de tout embrasser, et de décrire, pour ainsi dire, l’arbre de la Nature, avant de suivre une de ses branches.

L’universalité des connoissances n’a été réservée, dans tous les siecles, qu’à quelques hommes privilégiés; mais nous disons que ce qui ne peut pas être le but de toutes les études particulieres, doit être l’objet de L’instruction générale. il faut que L’éducation publique Soit le dépôt des connoissances universelles; c’est une source où tous les hommes viennent puiser, il faut qu’on y trouve tout ce qui appartient aux hommes; il faut qu’elle serve également de dégré à l’homme supérieur, destiné à reculer les bornes des sciences, au Philosophe qui veut embrasser la Nature et La comparer partout avec elle même et à L’homme du monde qui veut tout connoître sans rien approfondir. l’homme du monde, que L’on taxe d’être superficiel, et qui l’est en effet, n’est pas aussi inutile qu’on le pense aux progrès des connoissances; il contribue à les répandre; il porte dans la Société la teinture legere qu’il en a prise, et il en rend, peu à peu, les expressions et les idées familieres. c’est au sommet des montagnes que s’amassent les eaux qui doivent fertiliser la terre, mais c’est la pente qui les fait descendre pour en abreuver les plaines.

L’Education publique s’est étendue à mesure que Les différentes branches des sciences ont été cultivées: elle a été longtemps bornée à L’étude des langues grecque et Latine, parce qu’en éffet ces langues étoient alors la clef de toutes les sciences; nous n’avions point d’autres connoissances que celles des anciens, et le premier pas à faire, pour s’instruire, étoit de les entendre: on enseignoit encore la Théologie, le droit la Médecine, la Grammaire, la dialectique et la Philosophie du temps; le corps qui dirigeoit ces études S’est appelé L’université, et il tient ce nom de l’opinion que toutes les connoissances y étoient réunies, ou du moins Les connoissances essentieles; on ajouta, depuis, la Logique, la Rhétorique et la Métaphysique; nous n’examinerons point ici, si l’étude des langues Mortes doit avoir l’étendue qu’on lui donne au jourd’hui dans les collèges, Si La Logique et la Rhétorique, qu’on y enseigne, peuvent conduire à la raison et à L’Eloquence, Si La Métaphysique est propre à L’Enfance, Si enfin la Philosophie des Collèges est digne de notre siecle; cette discussion n’est pas de notre Sujet; nous nous proposons d’étendre, et non de réformer l’éducation ; nous dirons seulement que ce n’est pas la faute des instituteurs si les connoissances qu’on y donne, Sont à deux ou trois Siecles du siecle où nous vivons et nous renverrons, sur ces abus, à L’excellent article de M D’Alembert au mot collège dans l’Encyclopédie.

Quand les Sciences et les beaux arts vinrent à refleurir en Europe, nos Rois, en partant du principe que L’Education doit embrasser toutes les Sciences et les arts cultivés, fonderent des chaires de Géométrie élementaire et transcendante de Chirurgie, de chymie, de Botanique, des chaires pour les langues orientales; on ouvrit des Ecoles pour les arts libéraux, les arts méchaniques seuls furent oubliés; on les a rejettés de l’Education publique, et on les a abandonnés à la classe du peuple destiné à les pratiquer. Les a-t-on regardés comme avilis par que le pauvre les cultive? les a-t-on crus indignes de la curiosité humaine, parce que leur pratique ne demande que des bras? ces manoeuvres simples sont d’autant plus admirables que souvent le plus stupide des hommes suffit pour les exécuter. Voilà le phénomene qui mérite l’attention du Philosophe. on n’est pas étonné de voir un homme intelligent se servir avec adresse de ses bras de ses mains, pour exécuter l’idée qu’il a conçue. on doit l’être en voyant un ouvrier achever un ouvrage difficile et très composé, au moyen de la routine qui lui est dictée par sa machine. là le bras est guidé par l’intelligence, ici le guide est la machine même, et c’est cette machine qui fait l’esprit de l’ouvrier. l’inventeur du métier à faire des bas n’est-il pas plus utile, est-il moins respectable que L’inventeur du calcul différentiel? Newton et Leibnitz se survivent à eux mêmes, et il n’y a point de géomètre qui, en entrant dans la carriere des Mathématiques, ne se dise, c’est ici que Leibnitz et Newton m’ont conduit; mais L’inventeur de cette machine utile se survit également à lui-même, puisque son esprit dirige aujourd’hui les mouvemens de l’ouvrier, et que l’on pourroit peut-être dire que les bas que nous portons sont encore son ouvrage. nous ne craignons point qu’on soit blessé de la comparaison que nous faisons de cet inventeur avec Newton et Leibnitz: Les inventions peuvent toujours se comparer; ils se ressemblent par ce caractere: ils different ensuite par L’utilité ou par la hauteur de leurs idées. c’est à ces deux titres que S’accorda L’estime publique dans les sciences. le passage d’une vérité à une autre ne demandoit souvent qu’un pas; mais si la vérité nouvelle est utile, si ces applications Sont [heu?]reuses, c’est une grande découverte. là tous les pas sont difficiles à faire, et ce sont toujours des pas de géant. quelque fois la Vérité découverte est dans la chaîne fort éloignée des vérités connues, il faut une vue extraordinaire pour l’atteindre, et c’est là où se montre toute la force de l’esprit humain. dans les arts ce ne sont pas des vérités à découvrir, ce Sont des applications à faire; l’un et l’autre est également difficile. ces applications dépendent d’une connoissance plus ou moins étendue de la nature et du génie qui rapproche de nos besoins Les moyens qu’elle offre pour les satisfaire. tout art est une imitation de la Nature, mais de quelle partie de ce grand tout dépend la perfection d’un art, voilà ce que le génie seul peut voir. il fait, pour ainsi dire, appliquer la copie sur le modele, et, par la connoissance des points où ils Se touchent, deviner ceux où ils peuvent Se toucher encore. quelques soient les inventions dans les sciences et dans les arts, soit qu’elles consistent dans des idées tout à fait nouvelles, soit qu’elles rassemblent plusieurs idées connues pour leur donner, en les unissant, de nouveaux usages plus étendus, plus simples, ou plus faciles, elles méritent toujours notre admiration. les machines les plus simples Sont celles qui ont démandé le plus de génie. les moyens difficiles Sont les premiers qui se prèsentent à l’esprit, et, en tout genre, il faut que l’homme passe par le composé avant que d’arriver au Simple. le Vulgaire ne le voit que comme simple, et il le méprise, le Philosophe l’admire parcequ’il voit le chemin qu’il a fallu faire pour L’atteindre. de plus, si dans les pratiques des arts méchaniques, il y en a de simples, il y en a aussi de très compliquées. plusieurs des machines, dont les métiers font usage, ont demandé une force de tête prodigieuse, et une combinaison d’idées qui prouvent aussi bien que les inventions mathématiques, l’étendue et la force de l’esprit humain. en éffet, si l’on veut apprécier ses ressources, c’est dans la géométrie et dans les art méchaniques qu’il faut apprendre à Le connoître. cette vérité n’a pas besoin d’être prouvée à L’égard de la Géométrie prise ici dans le sens le plus ètendu, elle peut L’être à l’ègard des arts méchaniques par les faits et même par le raisonnement. qui a produit l’industrie, si ce n’est la nécessité? qui a forcé l’homme à étendre l’usage de sa raison, à suppléer, par l’esprit d’invention, aux choses que la Nature ne lui a pas données, à créer, pour ainsi dire, en Soi le génie, si ce n’est le besoin qui le presse, les maux qui L’assiegent, Les périls qui Le menacent? il Seroit Singulier que le génie l’eut conduit dans Les recherches dont L’utilité est éloignée, et que le mème génie ne Se montrât pas dans les inventions dont L’utilité est universelle, dont La nécessité est pressante et journaliere. partout où les difficultés ont été grandes, L’esprit humain a fait des éfforts proportionnés, et L’intérêt, dont la voix se fait entendre sans cesse, a certainement entraîné plus d’hommes de génie vers Les choses utiles que vers les choses curieuses. mais la nécessité de ces inventions utiles s’est fait sentir dans les temps de barbarie; les inventeurs des arts n’ont travaillé que pour des contemporains stupides qui ont joui de leur travail sans admiration et sans reconnoissance, et les ombres de l’ignorance ont couvert des noms qui devoient être à jamais célèbres. il y avoit alors peu d’écrivains, ou, du moins, il n’y en avoit que pour l’ambition et la gloire des armes. tous les yeux étoient fixés sur des vices éclatans et l’on ne pensoit seulement pas que les inventions utiles pussent être dignes de L’attention de la postérité. ces noms ont donc péri, parce qu’il ne s’est pas trouvé d’historien digne de nous les transmettre; Les inventions ont été méconnues, méprisées même, parceque les hommes étoient aveugles, et que le génie n’avoit alors d’autre appréciateur que lui-même. ce mépris des arts méchaniques a subsisté presque Jusqu’aujourd’hui; L’aveuglement et L’erreur se reproduisent mutuellement: L’ignorance a fondé le préjugé, et Le préjugé a entretenu l’ignorance.

Bacon, cet homme supérieur et extraordinaire, qui rangea devant lui toutes les sciences, et qui en montrant de loin toutes les routes, sembla prédire à La postérité les découvertes qu’elle devoit faire, Bacon, regardoit L’histoire des arts méchaniques comme la branche la plus importante de la vraie philosophie. il n’avoit donc garde d’en mépriser La pratique; il étoit digne du courage et des lumieres des éditeurs, de L’Encyclopédie, de S’élever contre ce préjugé barbare. ils ont porté dans les ateliers un oeil philosophique, et, dans cet ouvrage immortel, qui fait, pour ainsi dire, la description de l’esprit humain, par le dénombrement de Ses connoissances, ils ont dû montrer que toute découverte a couté des éfforts, a exigé du génie, et que, L’estime des hommes n’a pas toujours été mesurée Sur le mérite des choses.

Nous transcrirons ici quelques unes de leurs réflexions Sur cet objet important, et Si ces morceaux renferment quelques idées que nous ayons déja employées dans cet écrit, nous nous applaudirons de cette conformité, honorable pour nous; ce n’est pas nous répéter, c’est appuyer et fortifier nos preuves.

Discours préliminaire de L’Encyclopédie.

“Le mépris qu’on a pour les arts méchaniques, semble avoir influé, Jusqu’à un certain point, sur leurs inventeurs mêmes. les noms des bienfaiteurs du genre humain sont presqu’inconnus, tandis que l’histoire de leurs destructeurs, c’est à dire des conquérans, n’est ignorée de personne. cependant c’est peut-être chez les artisans qu’il faut aller chercher les preuves les plus admirables de la sagacité de L’esprit, de sa patience; et de ses ressources. J’avoue que la plûpart des arts n’ont été inventés que peu à peu; et qu’il a fallu une assez longue suitte de siecles pour porter les montres, par exemple, au point de perfection où nous les voyons. mais n’en est-il pas de même des sciences? combien de découvertes, qui ont immortalisé leurs auteurs, avoient été préparées par les travaux des siecles précédens, souvent même amenées à leur maturité au point de ne demander le plus qu’un pas à faire? et, pour ne point sortir de L’horlogerie, pourquoi ceux à qui nous devons la fusée des montres, L’échappement et la répétition, ne sont-ils pas aussi estimé que ceux qui ont travaillé successivement à perfectionner l’algebre? d’ailleurs, si J’en crois quelques philosophes que le mépris de la multitude pour les arts n’a point empêché de les étudier, il est certaines machines si compliquées et dont toutes les parties dependent tellement L’une de L’autre, qu’il est difficile que l’invention en Soit due à plus d’un seul homme. ce génie rare dont le nom est enseveli dans L’oubli n’eut il pas été

arts de L’encyclopédie.

bien digne d’être placé à côté du petit nombre d’esprits créateurs qui nous ont ouvert, dans les sciences, des routes nouvelles? mettez dans un des côtés de la balance les avantages réels des sciences les plus sublimes, et des arts les plus honorés, et dans L’autre côté ceux des arts méchaniques, et vous trouverez que l’estime qu’on a faite des uns et celle qu’on a faite des autres, n’ont pas été distribuées dans un Juste rapport de ces avantages, et qu’on a bien plus loué les hommes occupés à faire croire que nous étions heureux, que les hommes occupés à faire que nous le fussions en effet,…dans quel systême de Physique, ou de métaphysique remarque-t-on, plus d’intelligence, de sagacité, de conséquence que dans les machines à filer de L’or, faire des bas, et dans Le métiers de Passementiers, de gaziers, de drapiers, ou d’ouvriers en Soye? quelle démonstration de Mathématiques est plus compliquée que le Méchanisme de Certaines horloges, ou que les différentes opérations par lesquelles on Sait passer ou L’écorce du chanvre, ou la coque du ver, avant que d’obtenir un fil qu’on puisse employer à L’ouvrage. quelle projection plus belle, plus délicate et plus singuliere que celle d’un dessin Sur les cordes d’un sample, et les cordes du Sample sur les fils d’une chaine? qu’a-t-on imaginé, en quelque genre que ce Soit, qui montre plus de Subtilité que le chiner des Velours? Je n’aurois Jamais fait si Je m’imposois la tâche de parcourir toutes les merveilles qui frapperont, dans les manufactures, ceux qui n’y porteront pas des yeux prévenues ou des yeux stupides.

N’est-il pas honteux à des hommes d’ignorer comment se fait la montre et Le papier dont ils se servent, L’étoffe qui les couvre, et jusqu’au pain qui les nourrit?…

encyclopédie. au mot métier.

C’est des Métiers que nous tenons toutes les choses nécessaires à La vie. celui qui se donnera la peine de parcourir les atteliers, y verra partout l’utilité jointe aux plus grandes preuves de la sagacité. L’antiquité fit des Dieux de ceux qui inventerent des Métiers; Les siecles suivans ont jetté dans la fange ceux qui les ont perfectionnés. je Laisse à ceux qui ont quelque principe d’équité, si c’est raison ou préjugé qui nous fait regarder d’un oeil dédaigneux des hommes Si essentiels ce Poëte, le Philosophe, L’orateur, Le ministre, le guerrier, le héros, seroient tout nuds et manqueroient de pain sans cet artisan, l’objet de son mépris cruel.”

C’est ainsi qu’ont parlé des arts méchaniques deux écrivains Philosophes. l’un est en même temps un Géomètre du premier ordre. son autorité est d’un grand poids dans cette décision. personne n’est plus en état d’apprécier ce que la Géométrie a couté d’éfforts à l’esprit humain; et quand il associe aux inventeurs de ce genre les inventeurs dans les arts méchaniques, il regle l’estime qui leur est due. l’autre est L’homme de génie le plus éclairé sur les arts, et L’admiration qu’ils lui ont inspirée doit au moins engager à les connoître. voilà nos garants, voilà ce que la raison peut dire au préjugé, et Si le préjugé résiste encore, nous lui montrerons nos manufactures où Sont nos dernieres preuves.

Après avoir établi l’estime qui est due aux arts méchaniques, il reste à montrer l’utilité de les connoître. Cette utilité est pour les arts qui ont besoin de nouvelles idées pour se perfectionner, ou pour les hommes qui acquierent de nouvelles idées en observant les arts.

L’utilité de cette étude pour les arts mêmes.

Un art qui n’auroit pas besoin d’être connu seroit celui qui auroit atteint le terme de la perfection. il n’y auroit plus d’applications à faire, plus de regles à prescrire, et L’artiste suivroit constament dans son attelier les mêmes pratiques. la curiosité seule entreroit dans cet attelier; L’humanité entiere pourroit y passer sans que l’art fit aucun progrès; mais cet art n’existe point. tous les arts sont nés des besoins des hommes, et les hommes ont appliqué la connoissance de la Nature à prévenir ou à satisfaire ces besoins; à mesure que cette connoissance S’est étendue, les arts se sont perfectionnés, et les arts pourront toujours se perfectionner parce que la Nature est inépuisable: aujourd’hui même, qui osera dire qu’on ait appliqué aux arts tous les principes des sciences? chacun peut voir que ces applications ouvrent un champ très vaste à celui qui voudroit les entreprendre, et personne ne doute que les arts ne dussent beaucoup à ces applications; mais Les arts Sont ignorés de l’homme éclairé qui en seroit capable; il faudroit les connoître pour sentir la nécessité de l’entreprise, et il faudroit que cette nécessité eut frappé les esprits pour qu’on cherchât à Les connoître. C’est ainsi que tout reste au même terme, ou du moins que les progrès dépendent du hazard et Se font avec lenteur. l’art est abandonné aux artistes, et S’il en est qui perfectionnent leur art, le grand nombre, renfermé dans une sphère étroite ignore tout ce qui est au delá des bornes de cette sphere. L’exemple de leurs prédecesseurs fait loi; les générations se Succedent; mais on peut dire que c’est toujours le même homme et Le même esprit. les progrès des arts méchaniques demanderoient une intelligence bien plus étendue; il faudroit un homme de génie qui connût tous les faits de la Nature; qui eut embrassé toutes les sciences, et qui donnant à ces idées dans sa tête l’ordre que les choses ont dans l’univers, vit d’un coup d’oeil les rapports nombreux des arts aux sciences, et les applications qu’on peut faire des principes des unes à La pratique des autres; cet homme universel est sans doute très rare, mais les connoissances que je viens de réünir en lui, je les retrouve dans la société où les hommes se les Sont partagées: c’est donc dans la société, en corps, qu’il convient de faire paroître les arts méchaniques; Là se trouveront, d’un côté, les imperfections, et de L’autre, les ressources. celui qui aura l’esprit d’une science, verra ce que cette science peut donner; celui qui sera doüé de l’esprit d’invention, à La vue d’une machine, concevra l’idée d’une machine plus parfaite; celui qui aura l’esprit plus vaste comparera plusieurs arts ensemble, et découvrira les secours qu’ils peuvent se prêter. Voilà les avantages de l’étude des arts méchaniques relativement aux arts méchaniques mêmes.

utilité de cette étude pour les hommes.

Si L’on cherche maintenant l’utilité de cette étude relativement aux hommes, ce Sont les mêmes avantages, présentés sous un point de vue différent. premierement, Les arts ne peuvent se perfectionner qu’il n’en résulte de grands avantages pour les hommes en général, soit à L’égard de leurs besoins, de leur luxe ou de leurs plaisirs. Secondement l’objet de l’éducation est de donner des Idées; la meilleure est donc celle qui en fournit le plus. L’esprit, considéré ici comme raison, n’est exactement que la faculté de comparer les idées; cette comparaison prouve aussi son étendue quand elle s’exerce sur un grand nombre d’idées et d’idées de différents genres. mais cette comparaison a pour fondement nécessaire le nombre des idées acquises: voilà pourquoi les voyages mûrissent et étendent l’esprit; voilà pourquoi l’étude des sciences, qui est une espece particuliere de voyage, produit le même effet, en fournissant à l’esprit des Vérités et des idées Sur lesquelles il peut s’exercer. nous osons croire que l’étude des arts méchaniques ne sera pas moins utile que celle des sciences; elle est également dans le cas de faire penser; elle ne produira pas des recherches sublimes. mais ce qui se borne aux usages de la vie est il moins digne de L’attention des hommes? c’est de l’union de ces deux études que Naìtra l’instruction complette, car l’éducation générale doit embrasser ces matériaux dune Encyclopédie. Le Philosophe y verra le Spectacle de la nature asservie à l’homme et à ses besoins; le Sçavant y trouvera des objets de recherches et des vues nouvelles; l’homme du monde, un Supplément à l’éducation; tous enfin la connoissance des choses qu’il est honteux d’ignorer: ces choses ne nous Sont pas étrangeres, et nous vivons au milieu d’elles Sans Les connoìtres! Les hommes faits y prendront une idée de la fabrication des étoffes, du papier, des éffets des machine hydrauliques, et des machines à feu &a. et ces connoissances Sont precieuses dans tous les temps de la vie; quelque soit le préjugé, il n’est pas un homme sensé qui ne sente qu’il a gagné en aequérant ces idées, et qui ne s’en estime d’avantage. une considération que nous ne devons pas oublier, c’est que celui, qui sera instruit de la pratique des arts, jugera mieux le travail des ouvriers, et sera moins dans le cas d’être trompé. ce nouveau genre d’instruction fournira un essai pour le Talent des jeunes gens; les arts qui dépendent de la chymie et les machines de tous les arts appelleront à La chymie, à La méchanique à La géométrie, même ceux que la Nature y a destinés. ce spectacle peut encore développer l’esprit d’invention; le génie ne restera point muet á la vue de tant d’inventions multipliées: celui qui doit être un jour un grand homme se fera reconnoître par l’émulation, et Les Pascal seront moins rares. les femmes, cette partie intéressante de la société qui a tant de pouvoir sur L’autre, et qui influe tant sur ses opinions, y trouveront un amusement utile. on ajoutera des connoissances solides à leur éducation si négligée à cet egard. elles verront Sur combien d’inventions sont fondées les commodités dont elles usent; elles estimeront d’avantage Les hommes qui cherchent à les multiplier. il en est parmi elles qui aiment sérieusement à s’occuper, et nous nous croyons Sûrs du suffrage de celles-là. elles n’ont pas dédaigné les cours de Physique expérimentale, et Les Nôtres ne seront ni moins agréablement variés, ni moins utiles. quant à celles qui n’y viendront que pour s’amuser, si elles perséverent á les suivre, nous doutons qu’elles n’en tirent quelqu’utilité: elles auront du moins évité l’ennui pendant quelques heures, ce qui est un avantage. il ne faut pas croire que les enfans ne puissent être admis à cette étude; c’est l’étude des yeux et par conséquent celle qui convient le mieux à leur age: J’ajouterai même que c’est celle qui laisse les traces les plus profondes dans la mémoire des hommes. il est mille fois plus facile de concevoir à dix ans le jeu d’une machine que l’on a sous les yeux que de comprendre à quinze Les Notions Métaphysiques qu’on donne dans les collèges, et Le jargon inintelligible qui les accompagne.

art: college dans L’Encyclopédie.

“les Enfans, dit le Géomètre philosophe déja cité, sont plus capables d’application et d’intelligence qu’on ne le croit communément; J’en appelle à L’expérience, et si, par exemple on leur apprenoit de bonne heure la géométrie, je ne doute point que les prodiges et les talens précoces en ce genre ne fussent beaucoup plus fréquens.”

nous oserons ajouter à la pensée de cet homme célèbre que si l’on faisoit étudier la géométrie dans les collèges à tous les enfans, la société y gagneroit d’avoir un plus grand nombre d’esprits justes. il est essentiel de s’exercer de bonne heure à bien voir: la maniere même de juger devient habitude chez les hommes, et c’est de la justesse de L’esprit que dépend la conduite de la vie, la paix des familles, et tout ce qui fait le bonheur de l’humanité sur la terre. ces avantages sont assez importans pour qu’on s’éfforce de se les assurer par la culture. des sciences qui y conduisent. je reviens aux arts méchaniques. L’utilité des nouvelles connoissances que nous proposons à nos concitoyens avoit été reconnue par un magistrat éclairé qui a fait un discours éloquent sur l’éducation nationale. après avoir décrit les différentes occupations des enfans dans le second age, il dit

voyez éssai d’éducation rationale ou plan d’etude pour la jeunesse.

“c’est alors qu’on doit commencer à étudier la nature sur la nature même, les arts, les manufactures dans les atteliers; qu’il faut joindre aux faits historiques, appris dans l’enfance, L’histoire genérale des nations, et, ce qui n’est pas moins utile, celle des sciences, et surtout des arts qui ont le plus de rapport à nos besoins.

“Pour initier les jeunes gens dans la connoissance de ces arts précieux, il suffiroit de leur montrer les machines les plus simples qu’ils se forment un plaisir de démonter et de remonter. je suis persuadé qu’en allant par dégré on parviendroit à faire assembler à un enfant de douze ans tous les mouvemens d’une horloge, ou les ressorts de toute autre machine, et par conséquent de lui en faire comprendre le méchanisme. la plûpart ne demandent que des yeux et du dessin avec quelque connoissance de géométrie. il seroit à souhaiter que des habiles académiciens voulussent se charger de faire les livres élémentaires qui seroient nécessaires, et je réponds que des enfans de douze à quatorze ans, préparés par des récréations de Mathématiques et de Physique, les entendront plus aisément que des rudimens qu’on leur enseigne; car ce sont des vérités sensibles.”

Les Notions que le Magistrat regardoit comme nécessaires, cette instruction qu’il proposoit de donner aux enfans, nous les proposons non seulement aux Enfans, mais aux hommes. L’homme et L’enfant Sont au même terme sur ce qu’il ne connoissent pas; ils se ressemblent par leur ignorance; mais leurs avantages ne Sont pas les mêmes; L’un apporte à l’étude une raison cultivée, L’autre une mémoire neuve, et L’on comprendra plus facilement ce que l’autre retiendra mieux. on nous dira que les auteurs de L’Encyclopédie ont rempli l’objet que nous proposons; on trouve dans cet immense recueil la description de tous les arts. l’académie des sciences publie successivement la description des mêmes arts, et on ne peut rien ajouter sans doute à cette collection précieuse, due à un corps éclairé et respectable. L’Encyclopédie a pour objet L’enchaînement et le denombrement des connoissances humaines; les arts méchaniques doivent y entrer nécessairement. la description des arts de l’académie est un dépôt pour la postérité; dans le cas où la barbarie feroit perdre un jour les traces de l’industrie, un seul de ces exemplaires conservé rendroit aux hommes ce qu’ils auroient perdu. les Vues de l’académie sont encore de recueillir les pratiques des artistes les plus habiles, et de les communiquer à la foule des artistes qui voudra les y chercher. ces dépôts sont ouverts pour tout le monde; chacun peut y puiser sans doute, mais il faut le vouloir; il faut même le pouvoir. ces recueils sont très chers; ils ne sont pas à la portée de tous les citoyens qui ont également besoin d’être instruits. il y aura donc un grand nombre de citoyens a qui la fortune ne permettra pas cette instruction mais ceux même qui auroient en leur disposition L’Encyclopédie ou la description des arts de L’académie, en profiteront-ils?

Premierement, pour bien connoître il faut voir et toucher. dans tous les arts il faut se faire une idée des outils, des Machines, de leurs différentes pieces, de la maniere de manoeuvrer. chaque chose, pour etre décrite exactement exige un certain nombre de mots; il faut les réunir dans Sa tête pour S’en former une idée. cette opération de l’esprit demande du temps, de L’application, et même une Sorte d’imagination pour dessiner par la pensée, l’objet d’après la description. tous les esprits ne Sont pas capables de cette application, et ne Sont pas doués de cette imagination.

Quand les objets sont présents, L’oeil voit la forme, en même temps que l’oreille entend le nom de la chose, l’esprit conçoit une idée nette, et établit une telle connexion entre le nom et la forme que l’un rappelle nécessairement l’autre. les descriptions ne Sont bonnes que pour les choses que les circonstances rendent inaccessibles. les figures même ne Suppléent qu’imparfaitement à la Vue. elles ne font pas voir l’objet par toutes ses faces, et il faut toujours que l’imagination supplée à ce qui est derriere le dessin. ceci n’ôte rien à l’Encyclopédie de son utilité. indépendament des autres connoissances qui y Sont renfermées, ce recueil sera toujours précieux relativement aux seuls arts méchaniques. C’est à l’Encyclopédie que le plan que nous proposons doit son existence, et on peut le regarder comme l’Encyclopédie mise en action.

Secondement les descriptions des arts sont chargées des détails parcequ’ils sont destinés à instruire ceux qui doivent opérer, et non ceux qui veulent Jetter un coup d’oeil général. Il faut donc marcher à travers ces détails pour en extraire les principes et se fixer aux pratiques essentieles de l’art. Ce travail doit être répété sur chaque art en particulier. Le nombre de ces arts est infini, et il faut les suivre tous, car qui dira à celui qui n’est pas instruit, tel et tel art dépendent de tel autre, et la connoissance de celui-ci embrasse la connoissance de ceux-là. pour tout cela il faut se faire le plan d’une étude qui ne peut être que très longue, et le suivre constament. C’est ne pas connoître la paresse et l’inconstance de l’esprit humain que de croire les hommes capables d’achever cette pénible entreprise au milieu des distractions causées par les affaires ou par les plaisirs, tandis qu’ils seront rebutés tantôt par des détails minutieux, qui ne sont pas faits pour eux, tantôt par l’obscurité inséparable de quelques explications compliquées où l’on essaye de donner à l’esprit une idée de ce que les yeux devoient Voir. Voilà pour les uns qui n’acheveront pas, tandis que les autres n’auront pas commencé L’entreprise dont leur paresse est effrayée. Nous mettons en fait que Sur deux mille personnes qui ont L’Encyclopédie ou la description des arts, il n’y en a peutêtre pas deux qui aient eu le courage et la constance nécessaire.

Nous ferons la même réponse à ceux qui nous diroient qu’on peut s’instruire des arts méchaniques dans les atteliers et dans les manufactures. on le peut, Sans doute, mais qui voudra en prendre la peine? quel est même le Citoyen chargé d’un certain nombre de devoirs qui aura assez de loisir pour consacrer à cette étude le temps qu’elle demande? indépendament du temps nécessaire pour parcourir tous les atteliers, il faudra prendre le temps de l’ouvrier: certaines opérations ne se font qu’à certaines époques; si l’on écheoit à un ouvrier qui s’explique mal, il en faudra chercher un qui S’explique mieux. combien de Jours perdus pour un Jour employé!

Nous nous proposons d’ouvrir un cours complet des Arts Méchaniques dans lequel on démontrera les machines les matieres employées; et les opérations relatives à chacun de ces arts. Nous réunirons, pour ainsi dire, dans le même Lieu tous les atteliers et toutes Les Manufactures, et les Leçons offriront successivement le spectacle de leurs différentes manoeuvres. L’ouvrier le plus intelligent sera choisi pour les faire et pour les expliquer mais on lui donnera un adjoint qui sera en état de se faire mieux entendre. cet homme instruit Suppléra aux explications de l’ouvrier qui est plus fait pour agir que pour parler. il est aisé de sentir combien cette étude sera supérieure à celle qu’on peut faire dans les descriptions imprimées. on occupera trois Sens à la fois, et ces trois sensations réunies laisseront des traces plus profondes.

Le Cours que nous nous proposons est Semblable, dans son genre aux cours de Physique expérimentale et d’histoire Naturelle qui ont été ouverts depuis pluisieurs années. Nous avons obtenu seulement un privilege exclusif pour cet établissement.

Ce cours Sera de deux heures tous les Jours; nous proposons ce cours par voye de Souscription, et comme cet établissement demande des fraix assez considérables, nous ne commencerons nos leçons que lorsque nous aurons le nombre de souscripteurs suffisant. chaque cours sera de quarante personnes, et de trois mois; il y en aura deux le matin, et un après diner pour la commodité des Souscripteurs. on fera le choix en Souscrivant

Tarif.
En souscrivant.............................12 l.t.
En commençant le cours...................60
72 l.t.

On suivra èxactement l’ordre d’ancienneté pour lesdits cours; les Précepteurs, gouverneurs et gouvernantes pourront accompagner leurs éleves.

Nous sentons l’utilité de cette institution pour L’éducation de la Jeunesse; puissent les éffets répondre à nos espérances! ./.

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