From Baron Janus Zreny (unpublished)
Bude le 7 Juin 1780.
Monseigneur!

Je me prens cette liberté de Vous presenter quelques Reflexions militaires pour Vous faire connoitre mes sentiments et mes voeux, que j’ai fait depuis commencement de votre guerre, a l’avantage de vos entreprises. Comme vous combattez pour le bien très precieux, la liberté; il est juste de vous souhaiter tous les bons succès. Aiez donc la bonté d’envisager un peu mes pensées, et mon vrai dessein, que j’ai sans deguisement de vous rendre de fideles services en Amerique. Je parle plusieurs langues: François, Alemand, Latin, Italien, Polonois: l’Anglois j’aprendrai bientôt aiant deja quelque connoissence. Je m’estimerois heureux de pouvoir reussir aux choses, qui m’attachent a tous vos intêrets. Je Vous prie donc Monseigneur, si Vous me tenez capable d’un rang d’Officier, de me l’aviser au plus vite: je viendrai a Paris sans delai a mes frais, pour Vous donner les preuves de mon estime avec laquelle je suis de Votre Excellence tres humble serviteur

Baron Zrenÿ [Affia] Monseigneur faites moi la grace de vous addresser a mon ami savoir: A Monsieur l’Abbe Zinner Prefêt dans l’Academie Royale Theresienne â Bude en Hongrie p[er] Vienne en Autriche
Reflexions militaires sur la guerre de l’Amerique

I La guerre de l’Amerique Septentrionale est un phenomene le plus extraordinaire de notre siécle. Il y avait deja des revolutions en Europe tuchantes la souveraineté; mais alors l’Amerique fut tranquille sans s’emouvoir le moins contre ses maitres. Les Corses se sont battu avec les Genois d’une opiniatreté inouie; mais en vain: les Polonois avec ses confederations infinies ont fait dechirer les entrailles de leur patrie. La seule mort de l’Empereur Joseph I, et l’avenement de Charles VI, qui etoit Monarque d’un esprit posé, applanissoit bien a propos le contraste en Hongrie. C’est pourquoi tout le monde est curieux de savoir, si les Amerîquains viendront a leur but, ayant affaire avec un nation brave, et tres puissante. Ils reussiront, c’est mon avis. Car si on compare la superiorité de France avec celle de Corses, et celle d’Autriche, de Russie, du roi de Prusse, contre les Polonois, il faut avouer, que ce n’etoit pas possible pour eux de prendre autre partie que de battre chamade de bonne heure. Quant aux Ameriquains, ils en sont mieux cent fois, que ces deux nations ensemble. De ne rien dire de leurs resources, ils sont eloignés de leur ennemi quelques mille lieux, alliés par un contract avec deux puissences les plus grandes au monde. En suite ils n’en ont besoin, que d’un effort general, de se mettre en bon ordre, pour accabler les Anglois. Mais pour y devenir, il faut etre uni fort etroitement, qu’ils ne manquent de Subsistance, ni de bons Officiers, ni de bonnes trouppes. Demelons ça en detail. II

De l’Harmonie necessaire

Lorsque les braves Hollondois se sont proposé de combattre pour la liberté, ils ont mis devise suivante sur la monnai d’or: Concordia res parvae crescunt Hollandorum. C’est un moien excellent d’etre bien uni, concerté et affermi au dedans, pour repousser tous les assaults de la movaise fortune au dehors. Aux Ameriquains, après s’etant saisi des armes de meme objet, ne reste d’autre remede, que se servir de memes mesures. La concorde du Congrês est bien connue, comme aussi la fermeté inebranlable au milieu de tant des perils et tentations. Mais si la regence d’a present sera suffisante d’etablir la nouvelle Republique a jamais, cela me passe. Le President, et les Deputés des provinces unies sont bien capables de gouverner. C’est une forme simple, et desinteressée, ou le President n’a plus d’un suffrage comme les autres Senateurs, et son pouvoir borné de tout coté expire l’année finie. Telle loix est une bride d’airain pour l’ambition humaine dans un libre Etat. Brutus et Collatinus les deux hommes celebres, qui ont immortalisé leur nom, en renversant la tyrannie de Rome, etoient de meme avis. Mais ils en ont nourri un serpent dans le sein de la republique. Julius Cesar en assujettant par dix ans plusieurs peuples Gaulois au joug romain, s’accutumoit peu a peu a regner. Un an du consulat lui paroissoit trop court, il n’estimoit personne au prix de soi: enfin après avoir mis tout en confusion, bouleversa t il la liberté de Rome sous le nom de Dictateur perpetuel. Outre cela il se moqua de Sylla en souriant, que cet homme la etoit un idiote, lorsque il s’acquita de son pouvoir. Les Venitiens se sont bien rendu sages par malheur de Rome. Il n’y a point de danger qui menace un tel renversement. Ils ont un Doge par election libre et degagée, qui represente la majesté de la republique pendant sa vie. Ce n’est pas lui, qui domine, ce sont les loix les plus sages. Le Doge de Venise n’a rien ni d’affaires militaires ni de politiques sous sa direction absolue. C’est le Senat sans suffrage duquel le Doge n’a rien a dire. Meme les Venitiens son bien en veille de n’elire qu’un homme de grands merites avancé dans son age, afin que on puisse en faire honneur aux autres familles. Cette reflexion de la regence ne prescrit rien: elle va seulement recommender l’unité, et perpetuité d’un republique quelle qu’elle soit. Quant aux royalistes en Amerique c’est une autre question. Le Congrès aura encore bien de la peine a guerir tout a fait ce malheur intestin, et les Anglois s’efforceront toujours de garder ce venème dans les veines des provinciales: ils se serviront des prejugés, et de l’argent contre les Espagnols et les François, pour rompre l’alliance faite par Congrês avec ces deux puissances. Mais contre mauvaise fortune bonne mine. Il faut prendre des mesures justes pour empecher la trahison d’Etat. Ca ne se fait pas en brullant les maisons, et perdant toutes les familles des royalistes. A quoi bon ce moien terrible, si l’ennemi d’un coté et le Congrês d’autre mettent tout a feu et sang? Quelles resources y seront d’avantage pour pous[illegible] la guerre? Voila comment on y se peut comporter: chacun Etat, pour etre en repos doit s’assurer de ceux, qui vont le troubler tantot par trahison, tantot par forfait. Ce n’est pas le supplice toujours un remede efficace a toute sorte de maux: il y en a encore une autre methode d’empecher la trahison dans une guerre civile. Selon mon avis il faut enlever bon grè malgrè tous les Suspects, et les mettre dans les trouppes continentales sans les questioner, sans leur oter des possessions, qui peuvent demeurer dans les mains de leurs femmes. Posons le cas, qu’un tel deserte (d’ailleurs il se souviendra bien, avant que de faire cela) ainsi il devient traitre de lui meme; on a droit de l’exiler a jamais. Au contraire si il ne deserte pas, on a un guerrier, qui combat malgré soi pour la sureté commune. C’est pourquoi l’Arrêt du Congrês de date le 10 Octobre 1778 de mettre en prison tous les royalistes, et de ravager leurs biens ne me plait pas; puisqu’on detruit a cette maniere des familles entieres, ce qu’on devroit regarder comme la pepiniere d’Etat. Telle vengence n’a jamais reussi. III

De la Subsistance

La Subsistance est un vrai moien de conduire la guerre heureusement. Soixante mille hommes pourvus de tout sont capables de detruire une armée de cent mille hommes, qui manquent de provision. Les Hollandois n’auroient jamais reussi contre les Espagnols, si ils n’avoient pas paie l’argent contant aux trouppes auxiliares. Sous le nom de Subsistance je regarde tout, ce qui peut mettre l’armée en bon etat, savoir: de l’argent, des vivres, des armes, du vetement. Desque la monai est devenue en usage, on en a besoin au plus dans la guerre. Ca est bien sur, qu’on ne paie jamais trop aux Soldats; mais il faut les paier de bonne foi. C’est un remede souverain de conserver les trouppes toujours en bonne humeur. Cependant quel parti faut il prendre, quand un Etat depourvu des metaux en veut a un royaume le plus riche au monde? C’est a dire les Ameriquains aux Anglois? Cette nation politique etoit depuis Guillaume le III bien en veille de depouiller l’Amerique de l’argent, et d’y mettre des millions de billet de Banque. Moi j’en suis d’accord, que cette espece de monnai est un marque de foi publique, comme celle de metaux. On s’en serve en Europe par tout: mais quand on en a une quantité innombrable, on commence a mepriser un morceau de carte signée sans valeur interieure, comme les grenuilles leur roi. C’etoit la maxime tres fine d’Angletterre pour etouffer la source de revolution. C’est cette heure le plus grand fardeau pour les Ameriquains, dont ils sont accablés; parsqu’ils se servent de meme moien ils multiplient infiniment les Billet de Banque et presque tout le monde en est mecontent. Qu’ils veillent suivre l’exemple des Romains, la monai desquels se trouve ça et la dans les masures des chataux ruinés. Quoique puissants et riches qu’ils fussent, leur petite monai etoit pourtant de bronze ou de cuivre. Ne peut on faire de meme en Amerique? Il y en a assez. Si au commencement de guerre presente les heroines Ameriquaines ont envoyé, comme on debite, leur ornement, leur joiaux, leur bijoux, a Philadelphie, pour fournir le Congrês des depenses; on se tireroit a bon marché d’affaire, en y fondant les cloches ou des choses moins necessaires pour en faire la monai, ou des canons. La necessité n’a point de loix. Gustav Adolphe le roi de Suede fit fondre le siecle passé douze Apotres d’argent emportés en Westphalie, et ordona d’en battre des ecus avec inscription: Ite in mundum universum. Les Autrichiens assiègés l’an 1757 par le roi de Prusse a Prague firent battre la monai d’etain pour contenter les trouppes, c’est ce que j’ai vu moi meme. Les Soldats Ameriquains aimeroient mieux peut etre recevoir une monai durable, quelle qu’elle soit, qu’une piece de carte, pour qui il faut prendre garde sans cesse au milieu de leurs fatigues, que l’on ne dechire, que l’on ne mouille, que l’on ne detruit pas. D’ailleurs on peut s’accommoder a l’exemple des Romains. Au commencement de leur liberté personne n’a reçu un sous jusque a l’an 347 de Rome fondée: il n’y avoit point de paiement; alors ils se servirent de la farine et des biscuits. Ne faut il donc faire comme ça pour secouer le joug d’Angleterre? Outre cela l’an 538 de Rome fondée, quand la Republique etoit epuisée de ses forces par la guerre sanglante contre Annibal, aucun capitain ou Officier ne servit a gage, l’on meprisoit, et appelloit mercenaire celui, qui se fit paier. Je vois, qu’il y a aussi en Amerique une quantité de fideles, qui sont de meme avis.

Quant aux vivres, je ne doute point, que l’Amerique Septentrionale favorisée du ciel n’en a superflus de quoi sutenir ses habitans. Mais tant que la guerre emporte peu a peu les laboureurs, tant que l’ennemi ravage de tout coté les Colonies, on y peut atirer dans peu de tems la cherté et la famine extreme. C’est pourquoi la façon de faire la guerre a la prussienne aux depens de ses ennemis merite toute approbation. Pour l’imiter ce n’est pas necessaire de porter la guerre en Angleterre, c’est seulement fort avantageux de mettre en sureté ses magazins, et d’une grande importance de couper les memes aux Anglois. Le premier objet d’inviter les Canadiens et les Floridiens dans l’interêt des Etats Unis, s’est evanui après la malheureuse expedition de Ruebek. Au contraire les Canadiens sont entrés dans les services du General Carleton et Bourgoyne pour accomplir leur dessein cruel. Il faut donc les paier de meme et les traiter en ennemi. Mais c’est un rocher, contre lequel on s’est deja brisé la tete. Cependant la conquete de Canada, c’est un jeu pour a present, qui ne vaut pas la chandele. Pour moi j’aimeroit meiux Florida pour y detourner le theatre de guerre. A ce conte la on menageroit les provinces, et en meme tems on s’approcheroit de ses amis les Espagnols et François sur la cote du Golfo de Mexico.

Le troisieme article regarde les armes. Desque la poudre est decouverte, on a changé des armes, et la guerre est devenue pernicieuse. L’Artillerie, des fusils, des Canons, sont des instruments neuf au monde, qui peuvent detruire de loin la plus nombreuse, et la plus courageuse armée. A cette heure la vertu militaire est toujours en echec contre une petite balle de plomb. La Tactique moderne ne ressemble presque point, a celle des anciennes. Est ce donc le sujet de s’abaisser? Aucunement. Ce n’est pas artillerie prodigieuse, ou des fusils, qui font la victoire complette, c’est la armée bien exercée, les manoevres, et les dispositions exactes d’un chef habile et sage. Alexandre le grand n’avoit pas des armes d’or dans son expeditions contre Darius, et il a pourtant defait des Persiens innombrable avec ses trent quatre mille hommes. Les frondeurs romains n’attaquoient jamais l’ennemi que les pierres a la main. La cavalerie romaine avec une epée montoit les chevaux, sans se servir de selle. On ne brilla pas alors, mais on fut invincible par courage. Pareillement l’infanterie Ameriquaine seroit bien armée bajonette au fusil: les armes de cavalerie, qu’il soit un sabre bien tranchant, un pistolet a travers, et une lance a la Bosniak. Un train de soixante canons bien servis, et bien placés, fait suffisment respecter une armée de quarante mille homme. Sur tout la meilleure cuirasse est le courage de trouppes fideles, resolues et bien manoevrantes.

L’article du sentiment militaire est d’un grand poid dans la guerre. Un homme habille en soldat, est un homme singulier, et distingué de l’autre sorte d’hommes. J’ai vu fort souvent avec etonement que les paÿsants tirés de leur forêt, sans apparance sans mine, après s’etant revetu d’habit de guerrier, ayent pris de l’esprit martial, et de l’ambition autrefois inconnue. Pour les Ameriquains, il faut faire les bas selon les jambes. Ca est sur, qu’il y a des divers climats en Amerique, ils en peuvent profiter. L’armée meridionale sous le trentieme degré, qu’elle ait l’habit leger du linge, et celle du Septentrion de laine, un manteau court, a la Autrichienne, pour s’en revetir de jour, et pour s’en servir de couverture de nuit. Autrement un casque a la tete, seroit aussi une distinction suffisante, ce me semble. Quand les Croates se sont comparé de Baviere, et aprés quand ils sont passé le Rhin, dans la guerre de succession, l’an 1741. 1742. 1743. 1744. alors ils n’avoient, que ses habits ordinaires, point de souliers, si non de peau preparée et accommodée de leurs propres mains. Ils ont pourtant fait sous le commendement du General Frenk de merveilles. Les Ameriquains attendris de l’amour de leur patrie, n’ont besoin de briller d’or et d’argent pour faire volte face honnetement aux Anglois. IV

Du Devoir des Officiers

La bonne nature, fertile en toutes sortes, va fort lentement produire un heros. Ils passe demi siecle et d’avantage, avant que de voir un Tourenne, ou un Eugene. La plus part n’est pas destinée, que pour etre des Colonelles, des Majors, des Capitains, a jamais. C’est un genie superieur tout seul qui favorisé du ciel ramasse heureusement des lauriers dans toutes ses entreprises. Je ne blame, je ne flate personne. Selon mon avis un heros est celui, qui d’un coup d’oeil apronfondissant parfaitement les affaires, en prent des mesures les plus justes, pour atteindre a son but. Cependant pour y devenir, il faut avoir de la sagesse, du courage, de resolution, et de resources inepuisable sur le champ, meme dans la necessité extreme: en un mot, qu’il ressemble au roi de Prusse. Le grand Frederic, Monarque, General, et Ministre ensemble instruit quelqu’un de ses generaux ainsi le 9. Mars 1758: ["]Ne vous precipitez point. Il faut plus de suite dans le commendement, plus de fermeté il ne faut pas changer des dispositions du matin, au soir.” Quant aux autres Officiers, chacun d’eux doit plus regarder l’interêt publique, que son propre. Quand leurs trouppes bien manoevrent, c’est leur vraie honneur. On connoit un habile Officier bientôt. Autant, qu’il a de la presence d’esprit, autant vaut il son merite. Dans le danger, qu’il ne s’abaisse point, que il ne soit jamais embarassé au jour de bataille: qu’il retient par son courage les soldats en bonne humeur, ne se plaignant jamais de la movaise fortune, qu’il se fasse aimer par condescendance de tout le monde; mais en meme tems qu’on le respecte a cause de sa conduite irreprochable. La science militaire n’a point de certitude evidente, comme celle de mathematique: au contraire elle fait entrer trop d’eventuelle dans ses principes. C’est, pourquoi un bon Tacticien ne se met jamais aveuglement au hasard, afinqu’il n’arrive pas a lui la mechante excuse: Moi, je n’y pensoit pas. La lacheté honteuse, et l’yvrognerie loin de lui. Bacchus et Venus epuisent a fond les forces du corps, et l’empeche de pousser les plus beaux projects en effet. Annibal en a donné un illustre exemple a Capua après la bataille de Cannas. Il faut aussi porter toute son attention au caracteure des nations combattantes. Il y a des gens trop braves, mais moins durables, moins propres a supporter les travaux et les fatigues de guerre: il y en a, qui se font piquer d’honneur, ce sont les François, qui sous un chef d’esprit posé savoir un Tourenne, un Comte de Saxe, ont fait toujours de merveille. Il y en a, qui font aussi leur devoir; mais etant piqué de battons, c’est la nation Salovonne (?). Un Officier clairvoyant en sauroit toujours profiter. C’est le devoir des Officiers en general: en particulier, c’est une grande difference parmi les Officiers de Cavalerie, et l’Infanterie. On se sert de Cavalerie, pour reconnoitre l’ennemi, pour empecher de loin les trouppes legeres, pour flanquer les ailes, pour faire l’avantgarde, pour couvrir, ou pour masquer la route de l’armée. Ce ne sont pas des bagatelles, de faire mille fois la tete aux ennemis en les harcelant par des frequentes attaques, et par escarmouches. On n’y se rapporte plus, qu’au courage et au hardiesse des Officiers, qui conduisent les Escadrons. Enfin, le plus entreprenant est celui, qui attaque les plus de succês on se peut promettre a l’avenir. La cavalerie toute seule, est capable de braver l’ennemi dans ses meilleurs progrês, et en le combattant par detail, le peut forcer de prendre parti de la defense. Je mettroit donc l’elite des Officiers la, qui possedent du talent d’executer a vu d’oeil le projet du Chef d’armée, sur tout, qui connoissent fort bien la manière d’agir par embuscade. La premiere qualité des Officiers de l’Infanterie, est la Geometrie. Un siege, une attaque du forêt, et des contrées difficiles, sont des affaires des fusiliers. On a beau exercer les trouppes a charger, a tirer, a marcher, si on manque de science tactique, laquelle est tout a fait fondée sur la geometrie. A peu près un Chef d’armée detacheroit quelqu’un ignorant pour s’emparer de certaine montagne. Un tel conduira ses trouppes aveuglement, comme Andabatte, parceque il n’entend la direction de canons, ni la hauteur du retrenchement; il sacrifira temerairement aux cartouches le meilleur soldat. Un assault, ou une attaque dans le retrenchement est un choc extreme, capable de defaire l’armée entiere. Avant, que d’entreprendre un tel manoevre, on a du loisir d’y penser, on peut s’y bien attendre de ne hazarder pas un coup, qui a tant de sequelles movaises. La defense est aussi bien affaire des fusiliers comme un assault. Jamais un sage Officier se rendra a la discretion de son adversiare, tandis qu’il sauroit se soutenir a son poste. Un Archimedes dans ce cas vaut plus qua la demie armée. Par consequence si on en a plus, on mettra tôt, ou tard, en deroute l’ennemi le plus fort. Les Officiers de telle race, courageux, vigilants, iunstruits, tantôt par theorie, tantôt par experience, et fideles, font trembler l’empire le plus puissant meme de Jupiter Clari giganteo triumpho, cuncta supercilio moventis. V

De l’arrangement des trouppes

Annibal le plus grand hero au monde prononçoit une vraie sentence en faveur des soldats: Par tout, dit il on trouve des soldats, ou se trouvant les hommes. J’en conviens, mais j’ajoute aussi, qu’il faille etre un Annibal pour en reussir. Chacune nation a du courage, après avoir eté dressée selon les regles militaires: comme au contraire l’esprit belliqueux change tout d’un coup, quand l’on permet peu a peu ensevelir dans un sommeil profond. Les Greques ont defait par sa valeur un armée la plus nombreuse des Perses. Les Macedoniens se sont emparé sous Alexandre le Grand presque de toute Asie: mais desque la lachete honteuse s’est saisi de leurs coeurs, la vertu militaire s’est evanui, et les braves Spartiates, avec les fiers Macedoniens ont reçu le joug vilain de Rome. Les Romains memes un peuple invincible, l’autre jour a tant changé de moeurs, qu’il n’y a aujourd’hui d’autres armes, que des chapelets et des breviaires. Quant aux Ameriquains, on y trouve des hommes, et des hommes vaillants, courageux, comme dans notre hemisphere, par consequence selon le dire d’Annibal, on en sauroit former des soldats. Les Anglois meprisoit les Ameriquains, comme la derniere race du genre humain, [d’ailliers] ils auroient pris au commencement de la guerre des mesures plus justes, pour etouffer la revolution presente. Ils trompoient de meme les Hessiens et toutes leurs trouppes auxiliares. Ce n’etoit pourtant qu’un piege malheureusment tendu a eux memes. L’Auteur Anonyme des Recherches Philosophiques commet, dans son livre imprimé a Cleve l’an 1772 pareille folie. La nature, dit il, aiant tout oté a un hemisphere de ce globe, pour le donner a l’autre, n’avoit placé en Amerique que des enfants, dont on n’a pas encore pu faire des hommes. Quand les Europeens arriverent aux Indes occidentales, dans le quinzieme siecle, il n’y avoit pas un Ameriquain, qui sût lire ou ecrire, il n’y a pas encore de nos jours un Amerîquain qui sache penser ...... Il resulte des experiences faites sur les Creoles, qu’ils donnent dans leur tendre jeunesse, ainsi, que les enfants ameriquains, quelques marques de penetration, qui s’eteind au sortir de l’adolescence: ils deviennent alors non chalants, inapliqués, hebetés, et n’ateignent a la perfection d’aucune science, et d’aucun art: aussi dit on par forme de proverbe, qu’ils sont deja aveugles, lorsque les autres hommes commencent a voir .... c’est donc a un vice reel, et a une alteration physique sous un climat ingrat et contraire a l’espece humaine qu’il faut rapporter le peu de succês, qu’ont eu les Creoles, envoyes par leurs parents, dans les differents colleges du nouveau monde. Il en est venu quelques uns etudier en Europe, dont les noms sont restés aussi inconnus, que si ils avoient fait leur course de Philosophie a Mexico, ou a Lima. Ils n’ont jamais donné aucun ouvrage sur les animaux, les insectes, les plantes, les mineraux, le climat, les singularités, et les phenomenes de l’Amerique. Un autre Ecrivain dans lhistoire naturelle et politique de la Pensilvanie p 233 imprimée a Paris l’an 1768 est de meme avis: ["]Dans l’Amerique Septentrionale, dit il, les Europeens degenerent sensiblement, et leur constitution s’altere a mesure, que les generations se multiplient: on a remarqué dans la derniere guerre, que les hommes nés en Amerique ne pouvoient pas supporter aussi long tems, que ceux, qui etoient venues de l’Europe, les travaux des sieges, et la fatigue de voyage de mer, ils mouroient en grand nombre.” Voila quel prejugé par qui on decide hardiment d’une affaire entierment inconnue. Wassington, Franklin, Adams, Hankok, Gates et la suite des Ameriquains dont les noms sont celebres aujourd’hui, font entendre tout contraire. Franklin né a Boston un genie superieur, au dessus de mes expressions, n’a dans les sciences philosophiques et politiques, qui peut lui disputer le rang. Wassington Virginien, soutient son poste en Chef d’armée il y cinque ans contre toute la force Angloise. Il y faut donc plus, que de sagesse ordinaire. Adams renomés par son ouvrage, The common sens, donne aussi une epreuve de la capacité Ameriquaine, qu’ils soient en etat de composer des livres dans le gout de ce siecle. Hankok le President celebre, qui par sa prudence a derangé tous les conseils Anglois fut alors bien clairvoyant, lorsque les Anglois sont devenus aveugles. Gates, le vainqueur de Bourgoyne, avoient certainement plus de penetration près de Saratoga, que Lord Germain a Londres, qui a tracé ce beau plan. Enfin les mesures, qu’on a prises en Amerique, pour y former un nouvelle Etat, sont de vraies marques du genie Ameriquain au moins abouti, et meme eclairé, que celui de Lord North, Lord Bute, Lord Mansfield. Quant aux travaux, aux fatigues, et aux voyages, que, selon le dire, les Ameriquains ne peuvent pas supporter long tems, c’est une calomnie evidente et refutée par la campagne de Montgomery au mois Decembre, l’an 1775 en Canada, et pareille de Wassington, près de Boston le meme hiver, et près de Philadelphie l’an 1777: comme aussi la defaite terrible de Bourgoyne causée par valeur des Ameriquains. Un officier Brunsvicien de la suite de Bourgoyne nous fait une meilleure description du genie Ameriquain, dans sa lettre de 15 Novembre, l’an 1777 de Cambridge a Monsieur Schlötzer Professeur de Göttingen “Après avoir mis les armes bas, dit il, nous sommes aller voir l’ennemi, savoir, l’armée Ameriquaine sous le commandement de Gates. Aucune regiment n’etoit bien habillé: les Soldats avoient pourtant un air militaire: c’etoit un vrai plaisir de les regarder si bien tailles, et rangés en ordre. Ils nous attendirent avec une modestie singuliere, personne ne se moque de nous. Il n’y avoit presque personne de petits, tous qu’ils etoient, avoient une grandeur merveilleuse a cinque pieds, et a sept, huit, meme a dix pouces a la prussienne. De vous ecrire la verité, les gens de l’Amerique surpassent en croissance ceux de l’Europe et tout le monde a des talents naturelles pour la guerre.” Le grand ministre Anglois Lord Chatam confirmoit a haute voix la verité; mais les ministres d’aujourd’hui a sa propre honte, ne le vouloient jamais entendre jusqu’a ce que le General Howe etoit accusé de n’avoir pas fait son devoir. Alors il parle haut et clair, il ouvrit les yeux au Parlament Anglois, et fit comprendre, que les Ameriquains ne sont pas meprisables comme on pensoit ci devant. Après il fut absout a pur et plein le 18 Mai 1779 avec cette clause remarquable “Nous sommes tout a fait persuadés, que les Ameriquains n’aient pas pu etre vaincu a cette maniere, et que ceux aient tort, qui nous ont fait acroire, que la guerre de l’Amerique soit très facile a conduire”. Quoiqu’il en soit, c’est pourtant bien etonnant, que les Ameriquains avec tous ses efforts n’aient pas encore la superiorité sur les Anglois. Moi je ne veux y entrer: mon dessein va seulement de faire un projèt d’un arrangement necessaire parmi les trouppes Ameriquains, pour en reussir de bonne heure. Premierment je tiens tous les habitans de l’Amerique pour Soldats, qui combattent pour le bien precieux de la liberté. Je les rangeroit en trois parties: 1o Ceux de l’age de dix sept ans, jusqu’a vingt cinque, je mettroit aux trouppes legeres, savoir Battaillons francs, Chasseurs, Hussards. Les deserteurs anglois ou d’autre nation y appartiennent aussi: mais toujours avec cette precaution necessaire, qu’on ne fie a personne de telle race, un cheval. On en menage trop, et les maraudeurs, les vagabonds, deviennent a cette maniere des membres utiles d’Etat. D’ailleurs on peut traiter un deserteur en ami, en lui donnant des terres et en l’attachant a une femme, qui se peut saisir de l’Oeconomie,tant que son mari combat pour la sureté commune. Mariage est une vaillante liaison du genre humain. On en a d’autre avantage, les jeunes Ameriquains aprennent en memes tems des deserteurs la maniere de guerre, et deviennent des recrues biens exercées et bien manoevrantes pour les legions. 2do Les hommes de vingt cinque ans tirés de trouppes legeres, jusqu’a quarant cinque peuvent former les Legions a la romaine, les Grenadiers, les Cuirassiers et des Gardes. Parmi les fantassins je mettroit les prisonniers de guerre, a l’exception des Officiers. Car si on les laisse oisives, a quoi bon? A charge de l’Etat? L’autre jour les prisonnier de guerre sont devenus des esclaves a jamais. Pourquoi n’ose t’on s’en servir mieux, jusqu’a ce qu’ils sont mis en rançon, ou en cartel. Parcqu’après avoir perdu la liberté, ils sont obligés de servier bongré malgré aux vainqueurs. C’est la coutume presque ordinaire en Europe. L’an 1644 la plus part du regiment Mazarmi etoient des Espagnols faits prisonniers a Lerida: le meme regiment après avoir eté surpris par General Merci en Allemagne, fut melé parmi les trouppes imperiales. L’an 1756 l’armée Saxonne prise par le roi de Prusse près de Pirna avoit meme malheur de changer son maitre, et d’entrer dans les trouppes Prussiennes. Quelle quantité n’y a til en Amerique de prisonniers, de deserteurs, meme de traitres provinciales, qui veillent mieux perdre sa patrie, et la liberté a l’egard du roi d’Angletterre! Ne vaut il pas mieux d’en faire des soldats continentals? Alors ils ne peuvent pas trahir si aisement ses freres, etant sous les yeux d’un Officier vigilant comme si on les laisse en repos. Ca va aussi de tous les prisonniers de guerre. Autant qu’on arrache de l’armée angloise, autant s’acroit celle de l’Amerique. Les promesses des terres, faites aux prisonniers, et les appas des femmes font souvent un changement heureux dans l’esprit du soldat le plus ferme. 3o Les Soldats de quarante cinque ans jusqu’a soixante peuvent servir en garrison, pour garder les magazins, les prisonniers d’Etat, pour lever les recrues. L’Artillerie et les Ingenieurs soient l’elite de toute armée. Les Quacquers, et tout le monde, qui defendu par prejugé religieux, ne traite pas les armes, sont fort bons pour en faire des matelots ou pioniers. Il y en a encore bien a dire; mais pour a present je suis content de pouvoir donner cette foible epreuve de ma capacité, et de mon attachement a des affaires Ameriquaines. C’est a Vous Monseigneur de juger, et decider a mes Souhaits, si Vous me trouvez digne de vos Services. Je viens de finir d’autre Reflexions de la Tactique moderne en Europe, ce que je presenterez et soumettrez sincerement a Votre jugement, quand j’aurai l’honneur de presenterez moi meme a Paris et de Vous faire mon respect avec un entier devouement.

Addressed: ad Nrum 20rd (?) Acror(?) ez Cabinero equissor(?). / A son Excellence Monseigneur de / Franklin Ambassadeur des Etats Unis / de l’Amerique Septentrionale a la cour / de France / â / Paris En cas, que Son Excellence ne soit presente, on prie tres humblement de donner cette lettre a l’Ambassadeur d’a present des Etats Unis Ameriquains, qui la sauroit ouvrir.
634566 = 032-493a001.html