From Jean-François Mutel de Boucheville (unpublished)
A Bernay en normandie ce 10 octobre 1780
Monsieur,

J’ay un fils a qui la Nature semble avoir donné touttes les dispositions morales et phisiques pour faire un bon militaire: il attend avec une impatience extrême que des personnes de consideration qui ont des bontés pour moy L’aïent placé. Ces jours derniers il a entendu faire l’eloge de Mr Le marquis de la Fayette De Mr de Rochambault et de plusieurs autres seigneurs français qui ont merité la confiance d’un peuple estimable qui deffend sa liberté. Depuis ce tems il m’a beaucoup entretenu du desir qu’il auroit d’aller essaïer son Genie(?) au service de vos dignes compatriotes, et c’est luy qui a imaginé de s’adresser a vous directement pour vous prier de luy obtenir de l’enploy dans un des regimens qui sont passés aux isles. Je n’ay pu me refuser a ses sollicitations reiterées et j’ose, Monsieur, vous suplier de jetter un regard favorable sur un jeune homme plein de zêle et d’ardeur qui choisit cet etat par goût. Il vous sera facile de luy obtenir un grade de sous lieutenant dans tel regiment qu’il vous plaira et je me flatte que par sa conduitte il meritera les bontés de son illustre protecteur. Je serois infiniment flatté que ce fut l’homme du monde que je respecte le plus et dont j’admire tous les jours les ouvrages qui luy ouvrit la carriere de l’honneur; en y entrant sous de si heureux auspices je ne pourois concevoir que des esperances flatteuses pour un pere sensible. Mon fils se nomme le chevalier Mutel, son nom de babtême est charles pierre. Daprèz vos ordres, Monsieur, je vous adresserois son extrait baptistaire et le certificat de noblesse.

D’un instinct passager les rapides transports

n’agitent point chez luy de fragiles ressorts.

Pour les traveaux de Mars paitri par la Nature

il prefere des camps le bruit et les dangers

aux douceurs d’une vie obscure,

Le panache flotant sur le front des querriers,

au bonet de Themis, a sa longue cöeffure;

Le hausse col d’airain que porte l’officier,

au colet empesé d’un abbé casanier;

L’uniforme sans plis a la pourpre de Rome,

et le maigre bidet d’un cadet gentilhomme

au char voluptueux d’un grais financier.

Dans les fastes francais il suit d’un oeil avide,

aux campagnes d’ivry ce heros intrepide,

Conquerant de la France et son pere et son roy;

a Norlingue a Fribourg le vainqueur de Rocroy,

Turenne sur ses pas enchainant la victoire,

et Vilars a denain, et saxe a fontenoy.

De nos jours parcourant l’histoire

Il voit un peuple altier conduit par Waginston

secouant l’affreux joug de la vaine Albion,

Aux rives du couchant meriter que la gloire

inscrive ses exploits au temple de memoire.

Il te fixe surtout avec emotion,

o! fier republicain, o! viellard venerable

Des Etats réunis organe redoutable

Le Nestor de Boston respecté par le temps

A la cour de Louis Franklin en cheveux blancs

toy qui sous le manteau de la Philosophie

cache le politique et le savant auteur,

Le Ministre eclairé, L’appuy de sa patrie

Du droit des Nations L’illustre protecteur.

De ton esprit semblable au fluide electrique

jusqu’aux Glaces du Nord le feu se communique

A l’oreille des Rois avec habileté

Tu scais faire gouter le mot de liberté.

Sur des bords étrangers a ta voix reverée

pour dresser ses autels l’europe est conjurée.

Ainsi dans mes foyers las d’un repos honteux

sur les debris de la fiere Angleterre

Mon fils impatient voit gronder le tonnerre

et contemple a regret tant de jeunes guerriers

qui receuillent sans luy des moissons de lauriers.

J’ay l’honneur d’estre avec un profond Respect, Monsieur, Votre

tres humble et tres obeissant serviteur

Mutel de Boucheville
Conseiller de la cour des comptes de
normandie. de present a Bernay en normandie
Mon fils a fait ses etudes, scait dessiner a apris les livres de Mr Bezou; est instruit de la géographie. Si vous le jugiez a propos, Monsieur, j’aurois L’honneur de vous le presenter. Il a 16 ans accomplis.
635199 = 033-399a002.html