From — Mallet de la Brossière (unpublished)
27 janvier 1784 à st. malo en Bretagne
Monsieur,

Soufrés Mr qu’un francais malheureux qui ne vous connait que par vos ouvrages et le caractere dont vous etes revêtu dans sa patrie, s’adresse à vous pour vous prier de s’interesser à ses peines et d’en adoucir l’amertume. Il espère qu’elles feront sur une ame pleine d’humanité l’impression qu’il a lieu d’en attendre: la démarche qu’il fait auprés de vous, vous prouvera qu’il ne se plaint point à tort et peut être lui procurera t’elle le moyen de sortir de la situation terrible ou il se trouve plongé.

Il y a treize ans, Monsieur, que je suis au service du Roi, et je n’en ai retiré d’autre fruit que de me trouver à peu près sans ressource. J’ai servi dans la marine à Brest en qualité de médecin: envoyé par notre cour auprés du Bei de tunis pour y traiter son gendre d’une maladie grave, cette mission a été pour moi totalement stérile, et un souverain musulman m’a éxactement traitè de turc a more. On me plaça en 1776 à juda ou la france a un établissement. J’y ai passé toute la guerre abandonné, ainsi que les autres serviteurs du Roi, par le gouvernement, et réduit aux vivres du pays. Ma santé s’est altérée dans ce climat dangereux, et j’ai trop vu que la perspective de fortune qu’on m’avait prèsenté n’était qu’une chimère.

J’avais cru Monsieur à mon retour qu’on me dédommagerait de tous mes travaux. Je comptais su moins sur une pension. J’ai Beaucoup à me plaindre, mais je dois ménager encore ceux qui ont rendu ma cariere si pénible et qui laissent sans récompense treize années de service. J’ai consommé le peu de bien que j’avais dans les différentes missions dont j’ai été chargé et je n’ai pour toute ressource qu’une somme chétive que je rapporte après tant de peines.

Vous connaissés sans doute Monsieur, m. poissonier inspecteur de nos hopitaux de marine. Il est votre confrere à l’academie des sciences: il sera mon répondant dans tous les cas, il peut vous attester et l’honnêteté de ma famille, la mienne propre et les connaissances que j’ai acquises dans ma profession. Puisque ma patrie semble me repousser, pourquoi ne chercherais je pas a m’en créer une autre? Je demande donc Monsieur et j’attends de votre humanité que vous me procurerés des ressources auprès des états unis de l’amérique. Je serais charmé d’être employé dans cet heureux continent, et de voir par mes yeux la liberté réunie aux moeurs. Je demanderais d’être chargé d’un hopital pour les troupes ainsi que j’en ai eu en france, et des appointements médiocres me Suffiront. J’ai quarante un ans, et je consacrerais de bon coeur le reste de ma cariere a l’heureuse nation qui me procurerait ce que je cherche en vain en france. Voyez Monsieur s’il est possible de me trouver ce que je vous demande je partirais sur une simple récommandation de vous et de m. poissonier, et je n’éxigerais dans ce cas que mon passage gratuit afin de ménager mon pécule actuel. Il ne serait pas impossible de m’obtenir un Brevet de médecin honoraire tel que j’avais en partant pour tunis.

Je ne vous parle pas de Religion, parce que vous admettés tous les cultes dans votre patrie. Je suis médecin quoique catholique Romain, et c’est un engagement pour suivre la tolérance malgré les déclamations du clergé francais. Je me crois donc Monsieur les qualités propres a vivre parmi les peuples des états unis, et m. Poissonier vous assurera qu’on ne fera pas dans moi une mauvaise acquisition, si vous daignés me procurer le poste qui fait toute mon ambition.

Je me recommande donc à votre humanité et j’en attends avec confiance les effets.

J’ai l’honneur d’être avec le respect que je dois à vos vertus et à votre caractere Monsieur Votre très humble et très obéissant serviteur

Mallet de la Brossiere
Med. de la faculté de Montpellier
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