From Horace-Bénédict de Saussure (unpublished)
Genéve ce 17e. Xbre. 1786
Monsieur,

J’ai pris la liberté de charger Mr. Van. Neck et Ce. de Londres de vous faire parvenir en Amérique le 11d. Volume de mes voyages dans les Alpes. Je desire bien vivement que cet ouvrage mérite votre approbation et que du-moins vous ne trouviès pas que ce n’ètoit pas la peine de l’envoyer à une si grande distance. Quoiqu’il y ait peu de branches des connoissances humaines qui vous soyent étrangéres et dans les quelles vous n’ayès même donné des preuves de votre gènie; ce qui tient à la Physique et en particulier l’èlectricitè et la mètèorologie ont paru vous intèresser plus particulièrement. Vous trouverès dans ce volume d’assez grands chapitres relatifs à ces deuz objets. Quoique la structure des montagnes fût le but principal de mes voyages j’ai cru devoir saisir l’occasion d’ètudier la constitution de l’atmosphère à des hauteurs où l’on a rarement occasion de s’èlever; et j’ai imaginè pour cela un èlectrometre très commode et très sensible que vous verrès dècrit dans ce même volume et avec lequel j’ai fait des expériences assez curieuses sur l’électricité de l’air en tems serein. J’ai trouvè cette èlectricité d’autant plus forte que les lieux où je l’observois ètoient plus èlevès et plus isolès. Je desire bien vivement d’aller faire cette expérience sur la cime du Mont-Blanc, qui est comme vous le savès, Monsieur, la montagne la plus èlevée de l’ancien Continent. Je desesperois presque de pouvoir y parvenir lorsque j’achevois le Volume que j’ai l’honneur de vous envoyer, vous y verrés les tentatives impetueuses que j’avois faites; mais depuis lors j’en ai pour ainsi dire la certitude, si du moins je suis vivant et bien portant au mois de Juin de l’année prochaine. Six paysans de Chamoni ont fait encore une tentative au commencement de l’été dernier; ils allèrent très haut, mais sans pouvoir atteindre la cime; l’un d’eux qui demeura ègaré en cherchant des    fut obligé de passer la nuit dans les neiges à une très grande hauteur, il essuya une grèle terrible, les autres le crurent perdu, cependant il n’eut aucun mal; le lendemain le tems fut très beau, et comme il se trouvoit là de très grand matin il eut le tems d’examiner avec soin les différentes approches de la cime et il conçut alors l’idée de la route qu’il falloit tenir pour y parvenir. De retour à Chamoni, il ne dit rien à ses camarades, mais il communiqua ses vus à un jeune mèdecin nommè Jaccard qui avoit aussi plusieurs fois inutilemen tenté d’escalader le Mont Blanc; ils allèrent    au haut des rochers à l’entrée des neiges et en partant de là le lendemain à la pointe du jour le 8e. d’Aoust ils parvinrent à la cime entre 6 et 7 heures du soir. On les vit là avec des lunettes depuis Chamoni, le Baron de      même avec un bon Télescope et dessina leur route. Ils [rentrerent] le même jour, ou plustot dans la nuit avec une fatigue et à travers des dangers inouis, le visage brulé, enflé et mème saignant, et presqu’   par la    des neiges; en effet ils n’avoient pris aucune prècaution quelconque. Dès que je sçus le succès de leur entreprise, j’envoyai un nombre de paysans me construire un gite au milieu des neiges dans des rochers isolès qui se trouvent à moitié chemin de la partie neigèe de la montagne mon but ètoit de coucher là et de partager ainsi la terrible journèe que mes devanciers avoient èté obligès de faire. Je partis pour Chamoni, j’allai   me coucher à l’  des glaces, mais il survint dans la nuit un tems    et une quantité de neige qui a rendu la montagne inaccessible pour le reste de la saison. Mais ma cabane subsiste et j’espère accomplir mon projet l’étè prochain. Il faudroit votre génie, Monsieur, pour tirer de cette situation tout le parti dont elle est susceptible. Je suis avec la considèration la plus respectueuse, Monsieur, V. T. H. et T. O. S.

de Saussure

Addressed: Dr. Benjamin Francklin / Philadelphia.
Notation: M. de Saussure Dec. 17. 86
643431 = 044-u445.html