From Louis-Guillaume Le Veillard (unpublished)
Passy 30 8bre 1785

Je vous remercie, mon cher amy, d’avoir pris la peine de m’écrire au moment ou vous estiez environné de tant d’objets intéréssants; ce que votre petit fils m’écrit sur votre reception a Philadelphie cause a tous nos amis et surtout a moy la joye la plus vive; je me suis figuré le pere eternel ayant tenu ses assises au purgatoire et reçu a son retour dans le paradis par les âmes qu’il y avoit envoyées d’avance; quel glorieux moment pour vous que celuy ou vous estes, après neuf ans d’absence, rentré dans votre patrie devenue libre par vostre intelligence et vos soins, d’y recevoir de l’universalité de vos concitoyens les temoignages les plus purs de tous les sentiments qui peuvent flater une grande âme! Et qu’il s’en faut que les prétendus triomphes de ces anciens brigands de Rome fussent aussi complets que le vostre! O mon amy! La belle vie que la providence vous a donnée!

Mais allez vous remplir vos promesses? Vous estes vous occupé en route a la rediger? La recevraije bientost? Songez que c’est un des plus grands moyens d’adoucir la peine que nostre separation me causera toute ma vie, et que si vous ne vous aquittez pas 20 originaux écriront des volumes sans nombre de contes absurdes intitulés vie du Dr. franklin; le mercure de france depuis vostre départ a deja donné un avis pour détromper ceux qui croyent vostre famille originaire de Pontoise a 7 lieues de Paris, il pretend que vostre pere étoit ne a Boston, qu’il étoit imprimeur, etc. etc.

Si vous avez été faché tous les jours que je ne vous aye pas accompagné, croyez que j’ay eu les mêmes regrets et si j’avois pu penser deux mois plutost que je ne vous serois pas a charge j’aurois fait en sorte de ne vous pas quitter meme quand Dieu m’auroit confié sa gazete (?) du 23 aoust.

Mais vous avez de grands reproches a vous faire, vous aviez ici deux bonnes amies qui vivoient assez d’accord parcequelles ne se voyoient présque jamais et que vous assuriez chacune en particulier que c’étoit elle que vous aimiez le mieux; mais vous écrivez a l’une et gardez le silence avéc l’autre? La premiere ne manque pas de se vanter et de montrer sa lettre partout; que voulez-vous que devienne l’autre? Voila deux femmes a couteaux tirés, leurs amis prennent parti, la guerre devient générale, voila pourtant ce que vous avez fait! Vous mettez avec un simple papier le feu a la moitié du monde qui vous a si bien aidé a pacifier l’autre! Et quel embarras vous nous donnez a nous autres pour arreter les suites d’une pareille animosité! Ah si vous reveniez vous ne seriez pas reçu ici comme chez vous. Heureusement cependant que me. Brillon au moment ou vos lettres sont arrivées s’occupoit a marier sa fille, elle a épousé le 20 de ce mois Mr. Vialal de Malachelle conseiller de la cour des aides, il doit quitter cette charge pour remplir celle de Mr. Brillon, il est riche, fils unique et nous esperons qu’il rendra sa femme heureuse; cette affaire a rendu moins sensible a me. Brillon vostre ingratitude, mais ensuite gare sa colere, ses nerfs, sa vengeance!

Point de nouvelles ici la cour chasse et voit des comedies a fontainebleau, le procès du cardinal de Rohan dont je vous ai mandé le sujet ne finira qua la rentrée du parlement.

Tous les miens vous aiment et vous aimeront toujours, ils pleurent et sourient quand on parle de vous, ils vous embrassent de tous leurs bras. Madame de Chaumont va revenir ici, tous mes voisins, nos amis communs surtout la famille du duc de la Rochefoucault me chargent d’amitiés de respects et de félicitations pour vous, adieu, mon cher amy, je suis a vous pour ma vie

LeVeillard

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