Jacques Barbeu-Dubourg: Prefaces to the Two Volumes of the Oeuvres (II)
“Préface” printed in Jacques Barbeu-Dubourg, ed., Oeuvres de M. Franklin... (2 vols., Paris, 1773), II, [i]-viii; AD (draft of “Préface”): American Philosophical Society
DISCOURS PRÉLIMINAIRE DU TRADUCTEUR

Ceux qui ne voyent qu’un Electricien dans M. Franklin, ne le connoissent pas à moitié. La multitude d’objets divers que comprend cette seconde Partie de ses Oeuvres montre l’étendue de ses connoissances et la fécondité de son génie.

Il commence par un morceau de physique générale dans un goût tout-à-fait neuf, à mon avis. L’explication qu’il y donne de divers météores, des vents alisés, des orages, des trombes, et autres grands phénomenes de la nature, est d’une simplicité, et en même-tems d’une force de dialectique qui enchante. N’ayant pu emprunter de l’expérience qu’un premier point d’appui assez mobile, il s’élance rapidement de-là dans les régions aëriennes jusqu’à une hauteur prodigieuse, sans qu’on perde un seul moment de vue la direction du fil à l’aide duquel il s’y est élevé. Trois ou quatre savans Américains, en lui rendant toute la justice qui lui étoit due, ont cru appercevoir quelques points défectueux dans cette brillante hypothese; mais un Dominicain, qui se croit obligé de s’éloigner en quelque chose des opinions du Docteur Angélique, ne le combat pas avec plus d’égards et de défiance de lui-même, que ces MM. n’en ont montré en attaquant M. Franklin. Quelques-uns cependant ramassent tant de forces, et les déployent avec tant d’art, que le commun des Lecteurs a de la peine à prévoir de quel côté penchera la victoire; mais notre Auteur paroît l’emporter enfin.

J’ai cru devoir placer ce morceau le premier, à raison de son étendue et de son importance; je serai désormais plus fidele à l’ordre des tems.

Le plus ancien des ouvrages imprimés de M. Franklin, qui fut publié à Philadelphie en 1745, nous rappelle à nos propres foyers, pour nous apprendre à nous chauffer mieux et avec plus d’oeconomie. Il a médité de nouveau sur la même matiere, et nous promet encore une nouvelle construction de cheminée.

De la physique, M. Franklin passe tout-à-coup à des réflexions politiques sur la population. Les Princes, qu’Homere appelloit les pasteurs des peuples, devroient faire leur plus sérieuse étude de cet objet, et ne sauroient en puiser la connoissance dans une source plus pure.

L’Inoculation de la petite vérole fournit la matiere des deux lettres suivantes; mais M. Franklin se contente de marquer l’intérêt qu’il y prend, en excitant ses correspondans à la traiter d’une maniere qui réponde à son importance.

Dans le morceau qui suit, il se réduit également à présenter au public les conjectures plausibles d’un de ses amis sur la lumiere que rend l’eau de la mer dans certaines circonstances.

Mais on retrouve bientôt M. Franklin tout entier dans ses résponses au Gouverneur de la Nouvelle Angleterre, au sujet des changemens qu’on se proposoit de faire dans l’administration des Colonies de l’Amerique. On y verra, sans doute, avec plaisir une prévoyance singuliere, et une annonce quasi prophétique des événemens futurs, fondée sur la plus profonde connoissance tant des vrais rapports des intérêts de l’un et de l’autre pays, que de la disposition des esprits, qui avoit été représentée sous un faux jour au Parlement d’Angleterre.

L’espece de bonhommie avec laquelle M. Franklin débite ensuite d’excellentes leçons oeconomiques, ne paroitra peut-être pas aussi agréable ici que dans sa patrie, où ce petit sermon a fait sur les esprits de tout un peuple une impression dont il y a peu d’exemples dans l’histoire ancienne.

Retournant de-là à la physique, à l’occasion des nouvelles expériences de quelques Chymistes sur le froid produit par l’évaporation des liqueurs, M. Franklin propose des conjectures très-ingénieuses, tendantes à établir une nouvelle théorie des conducteurs du feu ordinaire; et il en déduit immédiatement non-seulement l’explication peu commune de quantité de faits très-communs, mais encore une bonne observation de pratique sur le remede le plus approprié à la brûlure et aux douleurs inflammatoires.

Les réflexions sur les différentes couches de terre sont d’une belle ame: celles qui suivent sur la salure originaire de la mer montrent une heureuse sagacité d’esprit; et celles qui concernent l’utilité qu’on peut retirer des cheminées pendant l’été, font également honneur à l’esprit et au coeur de M. Franklin.

On sera peut-être étonné de se trouver redevable d’un nouvel instrument de musique à notre Philosophe. Cet instrument ne paroît pas fait pour produire beaucoup d’effet dans un orchestre, mais on assure qu’il porte au coeur des accens si touchans qu’il semble étonnant que les virtuoses dont Paris abonde, ne lui ayent pas fait jusqu’ici plus d’accueil. D’un autre côté, je crains que nos Musiciens ne soient pas contens de la façon dont il parle des compositions de la musique moderne, quoique sa critique paroisse assaisonnée d’un véritable sel attique.

Dans la lettre sur la propagation du son, M. Franklin est conduit à des vues neuves par des observations fines. Dans la suivante, il proteste ingénuement de son ignorance sur la cause de certaines ondulations qu’il a peut-être observées le premier, quoiqu’une infinité de gens en ayent habituellement de semblables sous leurs yeux.

Ses remarques sur la profondeur des canaux navigables, et ses petites expériences à ce sujet, peuvent servir à mettre quelques Physiciens sur la voie pour déterminer avec précision le juste point de leur excavation.

M. Franklin donne ensuite de bons avis à un ami, en l’exhortant à apprendre à nager, et raconte avec grace comment il traversa un vaste étang en nageant à voile.

Mais que dirai-je de ses quarrés et cercles magiques? Je crains que beaucoup de personnes ne s’en amusent point du tout, et que d’autres ne s’en amusent trop.

A l’égard de sa correspondance avec Mlle. Stevenson, je suis persuadé que beaucoup de peres de familles desireroient un semblable Mentor à leurs filles. Sans avoir l’honneur de connoître personnellement cette petit Philosophe, j’ai par devers moi des preuves non équivoques des progrès qu’elle a faits sous un si grand Maître. Mais il suffit de lire les dissertations que M. Franklin lui adresse, soit au sujet des marées remarquables dans certaines rivieres, soit au sujet des moyens de se désaltérer avec l’eau de la mer, soit au sujet de l’évaporation de l’eau de quelques rivieres qui ne portent pas leur tribut à l’océan, comme on l’imagine communément, soit enfin sur la différence des couleurs par rapport à la chaleur, sans compter ce qu’il lui promet encore pour déterminer exactement la véritable cause des rhumes; pour juger de l’intelligence et du goût qui lui attiroient de telles lettres.

Ce que M. Franklin a daigné m’adresser au sujet de son bain d’air, et de l’abondante transpiration des corps nuds, ne peut que faire beaucoup regretter la perte du jeune Médecin qu’il avoit engagé à entreprendre une suite d’expériences à ce sujet, qui auroient pû devenir infiniment intéressantes. Il n’est pas douteux que MM. Pringle et Huck ne fussent très en état d’y suppléer, s’ils vouloient en prendre la peine, et on seroit fondé à l’espérer de leur zele pour le bien de l’humanité, si l’on ne connoissoit en même-tems la grandeur et l’importance de leurs occupations.

J’avoue que, dans ce que dit M. Franklin des qualités tant corporelles que spirituelles des peuples de l’Amérique, il n’y a presque rien qui n’eût déjà été dit; mais comment, et par qui, et dans combien de contes absurdes ce peu de faits vraiment intéressants n’étoient-ils pas en quelque sorte noyés?

Quelques Lecteurs trouveront peut-être un peu forte la maniere dont s’exprime M. Franklin par rapport au Parlement d’Angleterre, au sujet des dissentions qui se sont élevées entre la Métropole et les Colonies; mais il est à considérer qu’il est le Ministre accrédité de ces Colonies pour défendre leurs droits à la Cour Britannique; et l’on a vu ici, il y a environ trois ans, dans les Ephémérides du Citoyen, puis dans un brochure séparée, la traduction des réponses pleines de vigueur qu’il avoit faites un jour dans le Parlement, et qui avoient été imprimées immédiatement à Londres.

Si je n’avois pas craint qu’on ne pût m’imputer d’engager quelques personnes dans un double emploi, et de grossir inutilement ce volume, j’aurois été tenté d’y insérer, 1º. ces mêmes réponses au Parlement; 2º. un certain extrait du London-Chronikle, qui est écrit du ton le plus fin et le plus agréable, et dont on a déja la traduction à la suite des Lettres d’un Fermier de Pensylvanie; 3º. enfin un petit préambule exquis, fourni par notre Auteur, pour mettre à la tête du beau projet du Colonel d’Alrimple, inséré dans un des Journaux d’Agriculture de l’année derniere. On auroit eu ainsi le recueil de toutes les Oeuvres connues de M. Franklin.

Mais il n’est pas tems de songer à former un corps complet des oeuvres d’un auteur vivant, sain de corps et d’esprit, et travaillant journellement, peut-être avec plus d’ardeur que jamais. M. Franklin est dans son automne, et c’est la saison des fruits.

Sa Patrie le rappelle; elle a des droits sur lui, mais ce ne sont pas des droits exclusifs; toute la terre est la patrie du vrai Philosophe, et il y eut peut-être moins de vraie philosophie dans l’ancien portique d’Athenes, que dans le nouveau portique de Philadelphie.

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