From — de Wolff (unpublished)
Stutgardt le 4 Mars 1783
Monsieur

L’independence des Provinces Unies de L’Amerique, est un evenement si interessant pour l’humanité que tout homme dont le Coeur n’est pas avili par le despotisme a lieu de s’en rejouir. Votre Excellence excusera donc la liberté que je prens de Lui adresser mes complimens de felicitation sur la reussite de cet ouvrage, qui est duë en grande partie a Sa prudence et a ses soins patriotiques, et de lui declarer en meme tems le desir que jai de me compter au nombre des sujets de cet heureux empire. Implorant a cet effet la puissante protection de Votre Excellence, je suis obligé de l’instruire de ma situation. Je me trouve au service du Duc de Wurtemberg auquel je sers vingt deux années comme officier, jai tout lieu de me louer de ses graces, j’occupe la place de major d’un regiment de Grenadiers et depuis une année Son Altesse ma donné une preuve toute particuliere de Sa confiance, en m’accordant la seconde place dans l’Intendance de Son Academie Militaire. Cet etablissement qui a attiré l’attention d’une grande partie de l’Europe a eu avec raison beaucoup des admirateurs, mais il a aussi eu ses detracteurs, et apres les observations que jai eu occasion de faire, je suis obligé de convenir que Nous avons des defauts essentiels dans notre plan, auxquels il faudroit remedier.

J’ai cherché a en faire voir la necessité à l’Intendant Colonel de Seeger, qui a trop d’orgueil et trop peu de connaissance du coeur humain pour entrer dans mes vuës, il ne me reste donc d’autre parti que d’en parler au Duc, et c’est a quoi je ne puis me resoudre puisqu’on pourroit croire que le dessein de me mettre à sa place, et non l’amour de la verité m’avoit engagé à parler et le Duc mon Maitre qui par les eloges des vils flatteurs croit cet etablissement au point de perfection n’ecouteroit meme point mes remontrances puisque la jalousie de l’Intendant les feroit voir sous un autre point de vuë: et pourtant ma conscience et ma reputation ne me permettent pas de me taire. Je suis donc resolu de quitter mon poste et de chercher à me placer ailleurs, je declarerai au Duc les raisons qui m’ont engagé à ce pas, et j’espere que mes conseils auxquels on ne pourra plus donner de mauvaises interpretations seront suivis, et c’est ainsi qu’en quittant ma patrie il me restera encore la douce consolation de l’avoir servie.

Le Roi de Prusse qui avant dix années a eu la grace de m’offrir une compagnie dans ses services, me feroit vraisemblablement la grace de me placer dans le grade que je tiens ici, mais tous mes voeux sont pour servir Votre Republique, c’est la qu’un homme trouve ce puissant aiguillon à se distinguer par des grandes actions, l’amour de la Patrie, sentiment heroique qui ne se trouve jamais dans un etat despotique. L’on peut me reprocher que voulant jouir des avantages de la liberté de l’Amerique j’aurois du être parmi les premiers defenseurs de Sa liberté, malgré l’independance reconnue, l’on peut prevoir que l’accroissement de cet empire trouvera des jaloux et que les occasions de defendre sa patrie pourront bientot revenir, et ne m’etant pas borné aux Sciences militaires je me crois aussi en etat de rendre des services utiles en tems de paix.

Mon Pere qui etoit Lieutenant General dans ce pays et qui etoit connu du Marschall Duc de Broglio sous lequel il a commande un corps de dix mille hommes, a cherché de bon heure à me former au metier que j’ai embrassé, et je me suis applique à etudier la politique, et surtout l’oeconomie. Ennemi de tout luxe et ostentation, j’abandonne sans regret mes titres de Noblesse pour acquerir celui de citoyen utile de Votre republique, et voici sur quoi mes esperances d’etre utile sont fondées. L’agriculture est la base de la felicité de chacque Empire, il faut donc a L’Amerique des cultivateurs, ou les prendre? Parmi les transfuges des trouppes allemandes envoyés pour l’assujettir, cette ressource est trop faible, et puis peu de ces gens s’accouttumeront au travail, et encore moins à l’ordre et aux loix. Le Wurtemberg pays ou l’on cultive la vigne, et toutes les sortes de grains et de fruits, ou l’on connoit la coupe et le flottage du bois, ou l’on trouve les plus belles carrieres, est avec le Palatinat le pays le mieux cultivé de l’Allemagne, ses habitans qui ne craignent aucune fatigue ne cherchent que des terres a defricher, et ils n’en trouvent bientot plus. Les Wurtembergois ont de Beaux privileges, et entre autres celui d’oser quitter leur pays avec tout leur bien sans que le Prince puisse y mettre obstacle. Jai vu quitter l’anné passé plus de cinquante famille le pays pour aller s’etablir dans la Prusse Occidentale, il viendront pareillement en Amerique mais il leur faut un exemple et je me flatte que le mien seroit de quelque poid.

Militaire de Pere en fils jai peu de bien une femme deux enfans et 6000 francs sont toutes les facultés que je pourrai porter avec, et l’esperance d’heriter encore dans ces pays envirrons 30,000 francs. Pour me rendre plus utile je suis intentionné de faire encore un tour a Potsdam et d’y voir les evolutions les plus nouvelles de l’armée Prussienne. Si Votre Excellence trouve mes propositions digne de son attention j’attens les ordres qu’Elle voudra bien me donner. Pour faire mon premier Voyage en Amerique je ne demande encore point de Caractere et point d’appointemens, mais seulement la compensation des fraix de ce Voyage et un entretien mediocre avec l’assurance d’une pension pour ma famille en cas que je meure dans ce voyage. Esperant qu’etant une fois connu de Votre Excellence et du Congres je pourrois reparoitre dans ma patrie avec les assurances necessaires pour prouver a ceux qui viendroient avec moi quel sort les attend dans cette autre partie du Monde.

La Candeur et la magnanimité de Votre Excellence sont trop connu pour que je balance un moment de remettre mon Sort et celui de ma famille et de mes compatriotes que je chercherai d’amener avec moi a mon second voyage entierement entre ses mains, le Ciel qui connait la droiture de mes sentimens, dirigera Votre grande ame en Notre faveur si se projet peut contribuer quelque chose au bien de l’humanité. C’est en implorant la benediction divine que je fais partir cette lettre, et c’est avec Dieu que j’espere reussir a prouver a Votre Excellence qu’Elle na point accordé sa protection a un homme qui n’en etoit pas dinge. Agreez les assurance de la Soumission et du respect distingué avec lesquels je suis Monsieur Votre tres humble et tres soumis

De Wolff Major des Grenadiers
au Service du Duc de Wurtemberg
Endorsed: Wolff, Stuggarth 4 Mars 1784
639282 = 039-u086.html