From the Comte de Saint Léger (unpublished)
à Marseille le 1er décembre 1784
Monsieur

Mes titres pour réclamer vos bons offices seroient très foibles pour tout homme moins grand que vous; ils cessent de l’être s’ils intéressent un Gouvernement qui vous doit tout; pardonnez la distraction que je vous donne, et la priere que je vous fais.

J’ai eu l’honneur d’ecrire le 29 octobre à Monsieur Le Comte d’Estaing, j’ai eu celui de servir sous ses ordres, lorsqu’il étoit Colonel de Rouergue, il m’a toujours marqué une bienveillance consignée dans plusieurs de ses Lettres, sans doute elle n’est méritée que par mon ancien attachement. Ce Général connoit ma probité, seule qualité dont il soit permis de se décorer; mes faibles talents sont fort au dessous de ce que son amitié les a crû; je n’ai qu’une intelligence demi-bornée, un zèle étendu, une activité infatiguable, et quelque facilité dans le travail: voilà ce que je puis offrir aux Etats unis de l’amérique et sur quoi j’ai prié Monsieur Le Comte d’Estaing de pressentir votre Excellence. Le nouvel aréopage dont vous êtes l’ame universelle, n’a point ici, pour veiller aux intérets de son commerce et de sa Grandeur naissante d’agent, d’avoué, de délégué, de Commissaire, de représentant; un spéculateur habile s’en étonnoit, et me le dit; L’amérique fera d’assez grandes affaires avec Marseille, et les autres ports de la Provence pour Lui rendre nécessaire un homme connu qui veilleroit à ses liaisons, qui acceuilleroit ses habitans dans leurs voyages, qui leur seroit utile dans l’objet de leurs recherches, emplettes, cargaisons, échanges etc. ou les serviroit, sous vos auspices, près du Gouvernement français. Je me suis nommé à Mr. Le Comte d’Estaing pour l’engager à m’annoncer à Votre Excellence, à qui je ne demande rien; réussir est tout ce que je veux; j’ai employé ma vie à obliger des Européens sans succès, peut-être serai-je plus heureux avec un autre hemisphère; oui, Monsieur, avec l’aveu de mes Supérieurs si Mr D’Estaing vous parle de moi vous pourrez connoître ma conduite et mon Etat; M.M. les maréchaux de france de qui je suis Lieutenant depuis plus de 15 années, et comme tel juge du Point-d’honneur de la Noblesse, ne diront pas plus de mal de moi que les Chefs sous qui j’ai fait la guerre.

Cependant, malgré mon annonce, votre Excellence va retrouver l’Egoisme. J’ose vous demander, pour prix de mes Soins, de ma correspondance, de mon assiduité à vous instruire de ce qui peut vous être avantageux, ou à la Nation que vous avez crée, les marques de l’ordre de Cincinnatus, que plusieurs officiers de ma connoissance sont flattés de porter ici. Je n’ai rien fait encore pour le Congrès, je le sai, mais mon désintéressement ne peut-il être compensé, par une décoration militaire, et qui me convient à ce titre? De plus, presque tous les Consuls des Nations sont honorés des ordres établis par leurs souverains, donc je puis espérer.

Si ma proposition est accueillie, votre Excellence n’aura qu’à parler; s’il me vient des paquets américains écrits en Anglais, ou des sujets des Etats-Unis qui ne parlent que cette Langue, j’ai un très bon interprete, moi-meme je la saurois sous peu de tems, Si un mortel plus heureux a pris les devants, je vous prie Monsieur de ne trouver dans mon desir que celui d’être utile, et de me voir inscrit dans la societé respectable des Cincinnati.

Après vous avoir tracé mon objet, il faut vous demander pardon—de quoi?—d’un crime, celui d’avoir osé vous louer, ne pouvant résister aux sentiments qu’inspirent vos vertus. J’ai fait, en Mars dernier, un Eloge du Roi, pour un homme que j’aime depuis 20 ans et qui a dû le prononcer à Rome; j’ai lu ce morceau, trop faible pour un souverain adoré, chez Me Le Duc de Pilles devant une petite assemblée de choix; on saisit avec feu ce trait qu’il faut que vous ayez la complaisance de souffrir; si vous m’honorez de votre suffrage ma grace est accordée.

“Ce fut alors qu’un Peuple transporté des bords de L’Europe sur ceux de L’Amérique remplit les deux hemisphères de ses justes plaintes contre l’oppression anglaise: fidele à sa Mere-Patrie, malgré sa sévérité, il tenta vainement d’obtenir une modification à sa rigueur. La force crut devoir mépriser la faiblesse, et la Cour de Londres ne vit dans les Anglo-Américains que des sujets rébelles qu’il falloit ou punir ou détruire: mais si le pere de L’Epopée française a dit dans un vers heureux, que La Cour de Louis est l’azyle des Rois, il a vu, avant de descendre au tombeau, qu’elle est le refuge des nations opprimées.

Avant la révolution qui forme une Epoque unique dans l’histoire, quel politique eût soupçonné que des rives de la Délavare il partiroit pour celles de la Seine un Philosophe qui se chargeroit, malgré une immensité d’obstacles, de la Liberté de son Pays? C’étoit peu que francklin enchainât le feu élémentaire, il manquoit à sa gloire d’enchainer les esprits, et de prouver que l’homme de Génie ne connoit point de difficultés: infatigable pour le bien, jamais il ne suspend ses travaux; adroit dans ses liaisons, promettant à propos, cédant de même, toujours vrai, toujours exact, sachant consacrer ses jours et ses veilles, il arrive au succès; Labor improbus omnia vincit.

La voix de l’Orateur américain est bientôt entendue; il parle le langage du Coeur, il plaide la cause de la Liberté; que de titres pour s’assurer la bienveillance de Louis! Ce jeune Monarque voit la double occasion de rendre au Commerce son premier crédit et l’empire des mers à tous les peuples navigateurs, il la saisit; mais loin d’imiter ses ennemis, qui souvent ont commencé des hostilités sans se déclarer, il fit proposer tous les moyens possibles de conciliation, et démontra dans un manifeste sage la nécessité de prendre les armes, et le désinteressement de ses vues.

Le Congrès, assuré de la protection du Roi, fit les efforts les plus redoublés pour la mériter: il gouvernoit des Provinces habitées par de braves soldats, mais sans expérience, il falloit pour les commander un Général qui eût le talent, si rare, d’éviter des combats trop fréquents, pour n’en livrer que d’utiles, et qui leur inspirât sa valeur; les sages de ce nouveau sénat nomment Wasingthon, et ce héros patriote mérite l’estime des deux mondes.

Louis, que l’amérique appelle son puissant allié, ordonna à ses flottes de couvrir l’océan, et fait passer des troupes choisies au secours des Etats naissants. Alors s’ouvre le théatre d’actions à-jamais mémorables; ô Brave Du Coudray que votre ombre soit revérée de tout marin français! votre courage a sans doute excité l’audace de ceux qui ont combattu depuis vous; jaloux de laisser un souvenir éternel de leur intrepidité ils ont choisi votre exemple; vous avez prouvé qu’il est doux de mourir pour la patrie, surtout sous le Règne d’un Prince qui regrette, avec douleur, la perte de ses défenseurs. Gardons-nous de répandre sur votre tombe, sacrée pour tout guerrier, des fleurs inodores; que les parfums les plus exquis, arrosés de nos Larmes, s’élevent jusques à vous; jurons sur le marbre glacé qui vous couvre de périr en défendant les Lys, dulce pro patria mori.

La hardiesse des équipages français en impose à ceux d’angleterre;   évite Dorvilliers; se retire sous la protection de ses batteries, s’enfonce dans la manche et regagne ses ports.

Les Combats particuliers sont à notre avantage, les engagemens généraux à notre gloire. D’Estaing, né du sang des héros, de qui les ayeux ont orné les jours de nos Rois, en sacrifiant les leurs, attaque-t-il Byron, il le force à céder à sa valeur; son courage, à la grenade, étonne les plus audacieux. Général et soldat, il expose, comme signe de la victoire, le Cordon des ordres sur une veste blanche, ainsi que henri Le Grand montroit son panache, et la mort, avide de Victimes, n’osant approcher, frappe les ennemis, pour assouvir sa rage toujours renaissante.

Le Monarque français, sans cesse occupé de pacifier l’univers, malgré le succès de ses armes, ne néglige rien pour hâter le moment desiré. Le choix des Généraux est le plus sûr moyen de vaincre: Rochambeau conduit aux champs de la victoire les colonnes françaises, et La fayette, jeune héros qui préfere un noble Laurier aux myrthes séducteurs, consacre son bras et son épée a la liberté de l’amérique. Etc. Etc. Etc.”

Je répette mes excuses à Votre Excellence, votre célébrité vous a valu plus d’un importun de mon genre. J’ai l’honneur d’être avec autant de Vénération que de respect Monsieur Votre très humble et très obéissant serviteur

Le Comte de Saint Léger
Lieutenant des Maréchaux de france
641789 = 042-u465.html