From Anne-Louise Boivin d’Hardancourt Brillon de Jouy (unpublished)
ce 5 novembre a paris 1785

Nous sçavons enfin mon aimable papa que vous estes arrivée dans votre patrie, en bonne santé, que vous y avéz reçu tous les honneurs qu’on vous y devoit, que vous estes dans les bras de madame votre fille, entourés de vos petits enfans de vos amis, que vous éstes heureux enfin! Mon coeur vous a suivi dans votre voyage avec inquiétude, et sa tendrésse pour vous avoit besoin de vous sçavoir en repos, cela adoucit un peu la peine innéfaçable d’estre séparée de vous; mon ami est content, répété-je sans césse! Je devrois l’estre aussi; mais mon digne ami je suis si loin de votre philosophie je suis si peu sage en amitié que toujours toujours la distance qui nous sépare bléssera sensiblement mon coeur; au moins songés quelquefois a celle de vos amies qui vous aima le mieux, et traçés lui quelques lignes de ce que vous appellés votre mauvais françois, pour moi je vous rendrai compte d’une famille qui vous fut chére! Nous venons de marier notre fille cadétte avec un jeune homme de vingt sept ans trés bon sujet, doux et aimable, (il prendra la charge de Monsieur Brillon) et nous avons tout lieu d’éspérer qu’elle sera aussi heureuse que son aînée, elles me chargent toutes deux de les rappeller a votre souvenir, l’ainée est grosse d’un second enfant et sa petite que vous avés vuë devient de plus en plus jolie et intéréssante, la santé du bon papa Brillon est bonne et la miénne aussi nous vivons tous ensemble, notre maison devient insensiblement une tribu patriarchale, la paix et le bonheur nous entourent, nous sçavons le trouver chés nous, et le conçentrer dans les nostres; votre souvenir y apporte souvent des charmes, nous repassons avec plaisir et sensibilité tout ce que nous vous disions, ce que vous répondiés, nous nous reposons avec complaisance sur nos jouissances écoulées, les momens passés avec vous nous seront toujours bien chérs la trace en est profondément gravée dans nos ámes; le moment présent et l’avenir qu’oiqu’entraisnant avec eux des regréts, ont encore leurs douceurs parceque nous répétons il est heureux! Nous fummes heureux! D’avoir été, d’estre a jamais les amis de ce sage aimable qui sçut estre grand homme sans faste, sçavant sans ostentation, philosophe sans austérité, sensible sans foiblésse, oui, mon bon papa votre nom sera gravé au temple de mémoire, mais chacuns de nos coeurs est pour vous un temple a l’amitié.

Tous nos amis communs me chargent de les rappeller a votre souvenir, ne nous oubliés pas auprés de monsieur votre petit fils que nous aimerons aussi toujours, n’y auprés de Benjamin; si j’osois, je vous prierois de dire aussi quelques choses d’aimable a Madame votre fille, je sçais tout ce qu’elle vaut, et surement elle doit m’aimer un peu, de la tendrésse que j’ai pour vous.

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