From — Tonon (unpublished)
Paris le 25. juillet 1783.
Monsieur

A qui doit avoir recours, avec plus de confiance, le patriote le plus malheureux, qu’au patriote le plus illustre et le plus estimé de l’univers? Tout atteste que je n’ay jamais cherché que le bien de ma patrie. J’y travaille depuis longtems sans aucune pretention particuliere, et aux aplaudissements les plus unanimes a succédé la persecution la plus declarée.

Sans fatiguer votre excelence par un detail qui seroit trop long je me borne, Monsieur, a vous assurer que cella n’est pas capable de me faire rennoncer a mes principes: j’ay toujours cru n’etre pas né pour moy meme, quoy que disgratié je voudrois encore etre utile et il me semble que je pourrois létre en amerique. Mon grand gout et mon principal talent est l’agriculture: je l’ay toujours regardée comme la Source du bonheur de l’humanité et l’ame du commerce; je m’y suis apliqué de preference a toute autre profession; après dix ans d’observations j’ay fait un traité qui a pour titre Detail des usages, indication des abus, et idées de reforme pour l’agriculture. Voila Monsieur ce a quoy aprés vingt ans d’experience j’ambitionnerois de me livrer encore. Depuis quatre ans qu’on m’a fait abandonner cette occupation, j’ay parcouru bien du pays, j’en ay vû de très anciennement cultivé, ou, malgré cella, on est bien eloigné des avantages qu’on doit en attendre. A plus forte raison l’amerique auroit elle besoin, en ce genre, quelqu’un qui reunissant la pratique et le raisonnement etablit les principes le plus solides du bien etre et de la prosperité.

Si vous le trouviés bon, Monsieur, j’y irois pour cella, et je suis assuré qu’on mettroit ce bienfait au rang des premiers parmi le nombre infini dont on vous a l’obligation. On y verroit fleurir en peu de tems toute les especes de culture, et l’economie rurale portée rapidement a un degré de perfection inconnu, par des moyens simples et infaillibles dont j’auray l’honneur de vous faire part si votre excellence l’aprouve. Il est vray qu’etant bon francais je ne me crois permis de m’engager a rien, par cette proposition, que je n’en aie obtenu l’agrement du gouvernement: ce que je ne regarde que comme une simple formalité, vû la liaison intime des deux puissances. Ce que je vous prie Monsieur c’est de ne pas croire que je cours apres la fortune; je feray toujours plus de cas d’un bien etre honnete et d’une consideration meritée. Je ne puis plus vivre ou on me la refuse. Je ne persiste pas moins dans mes bons desseins pour ma patrie, il est probable que j’en viendray mieux a bout en paroissant y rennoncer, et je vay travailler genereusement a en attribuer l’honneur et l’avantage a un autre. M’estimant heureux, quelque chose que j’aye souffert, si je trouve la satisfaction d’etre utile de deux manieres, tandis que, sans ce trouble, je ne l’aurois eté que d’une seule.

Je ne me crois permis, Monsieur, d’entrer dans le detail que ce sujet exige que quand vous m’aurés donné a connoitre que cella vous est agreable. J’ay l’honneur d’etre avec le plus profond respect de votre excelence Monsieur votre trés humble et trés obeissant serviteur

Tonon
Deputé de la Societé Patriotique de Bearn
a l’hotel d’hollande rüe du Bouloy a Paris
Endorsed: Tonon 25 Juillet 1783.
640018 = 040-u107.html