From — Dalzan de la Pierre (unpublished)
De Florac en languedoc diocese de mende le 25e avril 1784
Monsieur,

Il y a deja long Temps que je conserve le desir de me transplanter parmi les habitants des contrées qu’on appelle aujourdhui les Etatsunis de l’amerique septentrionale. Ce desir a eté encore augmenté par celui d’observer la conduitte et les moeurs de ce peuple, depuis qu’il s’est acquis l’independance, evenement dont toute l’europe Retentit. Je voudrais considerer de près quels seront les procedés d’un peuple nouvellement formé, elevé dans des habitudes paisibles, qui n’avait guere eté occupé que du soin de pourvoir aux choses necessaires a son Etablissement et a sa subsistance par la culture du sol ou il se trouve placé. J’aimerais surtout a voir comment la nation usera de l’Etat ou l’a mise cette independance que les vicissitudes du sort lui ont decerné, si la Trame de cet evenement aura eté ourdie pour l’avantage du peuple qui fait la Base de l’etat, ou si elle ne servira qu’a l’ambition des grands et des gens qui auront la disposition du pouvoir dans leurs mains. Ce qui me fait encore desirer davantage d’aller vivre chez votre nation, c’est l’amour de la liberté non seulement dans l’Etat civil, mais encore en fait f’opinions, en matiere de culte, de Religion, et de philosophie, enfin, la liberté de penser qui ne soit pas tirannisée par un Empire despotique quon pretend injustement, et forcément, sur l’esprit, sur les coeurs, et sur les consciences. Cette liberté civille dont je suis si fortement epris par la nature de mon caractere est assez contrariée dans le Royaume ou nous sommes surtout a l’egard de ceux qui en fait de Religion professent une autre secte que la catholique, j’en ai vu assez d’exemples, et je l’ai eprouvé par moi meme. Les protextants n’ont point ici d’etat assuré, ils sont exclus de participer aux charges publiques, ils ne peuvent pas meme prendre part a ce qui les interesse en occupant les places dans lesquelles on dirige l’administration municipale des villes et communautés ou ils ont des possessions foncieres: ce sont eux cependant qui dans la personne d’henri IV, ce modelle des Bons Rois, ont placé la famille Regnante sur le Trône. S’il en est quelqu’un pourvu d’un office public, il a fallu pour s’y faire installer qu’il eut Recours a la pratique de la subornation, a induire autrui a violer la Religion du serment par un faux Temoignage, ce qui ne peut qu’operer des effets de corruption et de depravation. L’avanture de calas que j’ai vu expirer a Toulouze sur un echafaud, est un exemple effrayant d’iniquité et de Barbarie.

Je suis persuadé que dans le dessein dont je vous fait part, je ne sçaurais aussi bien m’adresser qu’a vous, Monsieur, qui par la force d’un genie superieur avez fait Briller le flambeau des Sciences aux yeux de votre patrie etonnée, et qui l’avez eclairée dans la Routte difficile de la legislation, de l’administration, et de la politique. Mon emigration en amerique ne serait pas, je puis le dire, celle d’un avanturier qui par légéreté, ou par inconstance quitterait sa Terre natale, mais elle serait le fruit d’une longue et mure Reflexion de la part d’in individu agé de Trente cinq ans qui par motif de sagesse et pour son Bien-Etre, tend a jouir du plus Bel avantage de l’homme, la liberté civile, politique, et Religieuse, de la Tolerance que la saine Raison prescrit, et des douceurs d’un gouvernement moderé. D’après cella permettez je vous supplie, Monsieur, de me departir vos avis, de me donner vos conseils pour me faire connaaitre ce que je puis esperer en me transportant en amerique, et quelles Ressources il me faudrait avoir pour y vivre avec aisance, enfin quel serait le sort que pourrait y avoir un honnette homme qui aurait quelque Esprit, quelque genie (?) et certaines connaissances, outre celles de la profession d’avocat a laquelle je me suis adonné, qui chercherait a goutter les douceurs d’une vie paisible, des moeurs simples, et d’un gouvernement moderé, qui voudrait s’occuper de l’agriculture, et qui arriverait dans ces contrées avec des attestations authentiques de sa probité, et de la droiture de son caractere. Mr. le comte de Nozieres lieutenant general des armées du Roy, ancien gouverneur general des isles françaises de l’amerique qui vous faira Remettre ma lettre, pourrait rendre de moi quelque Temoignage. Mon intention serait d’aller m’etablir dans la Caroline sur la riviere de Pédée vers le 35e degré de latitude nord. Ayez encore la bonté, je vous prie, de me dire votre sentiment sur le choix de cette position pour un etablissement.

Permettez je vous prie, Monsieur, que je me felicitte ici de vous offrir en Tribut l’homage qui vous est si legitimement du comme a un homme dont le merite est justement celebré dans Toute l’europe, ou il est consacré par l’extime publique qu’il excitte, ainsi que dans votre patrie. La veritable gloire n’est pas pour le guerrier qui fait des conquettes dont l’humanité soufre, mais pour l’homme doué d’une ame elevée, qui fait du Bien a son pays, a l’humanité, c’est par la que vous l’avez acquise, celle la ne doit point perir. J’ai l’honneur d’etre avec un profond Respect Monsieur Votre Trës humble et Trés obeissant serviteur

Dalzan Delagrierre
avocat
Endorsed: Dalzan de la Pierre 25 avl. 1784.
641139 = 041-u544.html