To Anne-Catherine de Ligniville Helvétius: First Edition of “The Elysian Fields”
Printed by Benjamin Franklin, Passy [1780], Yale University Library; al and copy: American Philosophical Society; copy: Yale University Library
[c. January 1, 1780]
M. F——n a Madame H——s.

Chagriné de votre Resolution barbare, prononcée si positivement hier au soir, de rester seule pendant la vie en l’honneur de votre cher mari, je me retirois chez moi, tombois sur mon lit me croyant mort, & je me trouvois dans les Champs Elisées.

On m’a demandé si j’avois l’envie de voir quelques Personages particuliers. Menez-moi chez les Philosophes. —Il y en a deux qui demeurent ici près dans ce Jardin: Ils sont de très-bons voisins, & très-Amis l’un de l’autre. —Qui sont ils? — Socrate & H****. —Je les estime prodigieusement tous les deux; mais faitez moi voir premierement H****, parce que j’entends un peu de François & pas un mot de Grecque. —Il m’a reçu avec beaucoup de courtoisie, m’ayant connu, disoit-il, de reputation il y a quelque temps. Il m’a demandé mille choses sur la Guerre, & sur l’état présent de la Religion, de la Liberté, & du Gouvernement en France. —Vous ne demandez rien donc de votre chere Amie Madame H*****; & cependant elle vous aime encore excessivement, & il n’y a qu’une heure que j’étois chez elle. Ah! dit il, vous me faites ressouvenir de mon ancienne Félicité. —Mais il faut l’oublier pour être heureux ici. Pendant plusieurs des premieres années, je n’ai pensé qu’à elle. Enfin je suis consolé. J’ai pris une autre Femme. — La plus semblable à elle que je pouvois trouver. Elle n’est pas, c’est vrai, tout-a-fait si belle, mais elle a autant de bon sens, un peu plus d’esprit, & elle m’aime infiniment. Son étude continuelle est de me plaire; & elle est sortie actuellement chercher le meilleur Nectar & Ambrosie pour me regaler ce soir; Restez avec moi & vous la verrez. J’apperçois, disois-je, que votre ancienne Amie est plus fidelle que vous: Car plusieurs bons Partis lui ont été offerts qu’elle a refusés tous. Je vous confesse que je l’ai aimée, moi, à la folie; mais elle étoit dure à mon egard, & m’a rejeté absolument pour l’amour de vous. Je vous plains, dit-il, de votre malheur; car vraiment c’est une bonne & belle femme & bien aimable. Mais, l’Abbé de la R****, & l’Abbé M****, ne sont ils pas encore quelquefois chez elle? Oui, assurement; car elle n’a pas perdu un seul de vos Amis. —Si vous aviez gagné l’Abbé M**** (avec le Caffé à la Crême) de parler pour vous, peutêtre vous auriez reussi; car il est Raisoneur subtil comme Duns Scotus ou St. Thomas; il met ses Arguments en si bon Ordre qu’ils deviennent presque irrésistibles. Aussi si l’Abbé de la R**** a été gagné (par quelque belle Edition d’un vieux Classique) à parler contre vous, cela auroit été mieux: car j’ai toujours observé, que quand il conseille quelque chose, elle a un penchant très-fort à faire le revers. —A ces mots entroit la nouvelle Madame H**** avec le Nectar: A l’instant je l’ai reconue être Madame F****, mon ancienne Amie Americaine. Je l’ai reclamée. Mais elle me disoit froidement, J’ai été votre bonne Femme quarante-neuf années & quatre Mois, presqu’un demi siecle; soyez content de cela. J’ai formé ici une nouvelle Connection, qui durera à l’Eternité.

Déplu de ce Refus de mon Euridice, je prenois tout de suite la Resolution de quitter ces Ombres ingrates, de revenir en ce bon Monde, revoir le Soleil & vous. Me voici! Vengeons nous.

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