From Christine Marguerite Häberlin (unpublished)
Francfort sur le Mein ce 4. Dec. 1784.
Monsieur

Je ne doute aucunement que Vous ne vous resouveniez d’un honnête homme qui, du tems de sa vie, vous comptoit son intime ami. C’est mon pere, le feu Conseiller Henri Ehrenfried Luther, qui, sans le flatter, passa toujours dans toute cette contrée pour un homme vertueux et bon Chretien, et mourut comme tel.

Vous même, Monsieur, en avez eû en quelque façon la plus vive persuasion, eû egard au nombres d’années, qu’il a eû l’honneur de correspondre avec Vous, et encore plus lorsqu’n 1765. ou 1766. si je ne me trompe, Vous le visitatez personellement, accompagné du medecin roïal de la cour de Londres Mr. Zimmermann d’Hannovre. Des ce tems là j’avois deja quitté ma maison paternelle et j’etois mariée depuis quelques années au Conseiller Aulique et Resident du Prince d’Anspac, nommé Häberlin à Mannheim accredité à la Cour Electorale Palatine; Je n’appris donc cette visite interessante que par la bouche de mon pere et de mon frere cadet, qui en etoit present alors. Cette entrevûe sans doute n’aura que resseré les noeuds de l’amitié, et encore mon frère, qui depuis est mort aussi, m’assura, que Vous, Monsieur, eutez la bonté, de promettre à feu mon pere, de soigner tant des ses pretentions, touchant les deux Provinces de Pensilvanie et de Massasuchet, que des recompences qu’il a merité au sujet des susdites Provinces par le nombre infini de colons, qu’il y envoïat, et pour d’autres grands Services importants, qu’il leur rendit.

Personne ne connoit comme Vous aussi reellement les peines, qu’eut feu mon pere, pour procurer tant d’homes à ces païs alors encore steriles et deserts, par le travail et diligence desquels ils sont monté à l’état le plus florissant.

Il vous fit souvent part dans ses lettres des frais enormes qu’il eut, tant au pasage de colons içi, qu’avec leurs Commissaires, qui pour la plupart logèrent chez lui, depences dont il n’eut jamais le moindre remboursement. Mr. Crell en fût temoin oculaire, ce que peuvent encore attester plus d’un Allemand habitant de Philadelphie et de la nouvelle Germantown.

Je dirai même, sans exagerer, que ce fût cette multitude innombrable d’hommes, que mon pere envoïa en Amerique, qui mirent le fondement du bonheur actuel de ses provinces libres.

Vous savez tres bien aussi, Monsieur, combien des promesses de reconnoissance qu’il reçut de Messieurs les Gouverneurs de ces Provinces et même encore en particulier de quelques uns de leurs membres.

Or comme tout cela s’est passé moïenant votre amitié, et que vous savez, que mon pere l’avoit tres bien merité tout ce qu’on lui promit, pour recompenser sa fidelité et ses travaux inouies, dont cependant il n’a jouit aucunement ni pendant sa vie, ni ses enfans après sa mort.

Certainement vous resouviendrez vous, que la Province de Massasuchet adiugeois à feu mon pere 16 m. arpents de bois ou terre, qui resta en friche, pendant plusieurs années, et etoit connûe sous le nom de terre de Luther, mais on pretendit qu’un de fils de mon pere se transportat en Amerique, pour occuper lui même les susdites terres, après s’etre arrangé avec ses autres freres et soeures. Or comme aucun de mes freres n’étoit en état de remplir cette condition, mon pere supplia de nouveau la Province de lui permettre de vendre cette terre. Cette affaire étoit deja fort avancée, et seroit sans doute venû au point d’obtenir sa demande, lorsque la guerre entre la France et l’Angleterre s’etendit du coté de Massasuchet oû probablement les affaires des particuliers cederent à celles d’état, et depuis la paix, moi et mes frères ont tenté par plusieurs voïes, de rapeller tant nos pretensions iustes au suiet des nos grands deboursés, que par raport à la gratification promise à feu mon pere. Mais à peine la chose etoit elle en train, qu’eclata la derniere guerre, qui prit un si glorieuse fin pour le Treize Provinces unies.

Or comme la paix et l’union regnent, je prens la liberté, de reclamer unianimement avec mes frères et soeures votre bienveillance; nous flattant, que vous honorerez encore de la même amitié les cendres de feu mon pere, dont il iouissoit de son vivant, en la continuant à ses enfans.

Je vous prie donc, Monsieur, de me faire savoir au plutôt possible à quoi nous devons nous en tenir, pour obtenir les pretensions et gratifications si iustes, que nous laissa feu notre pere. Nous esperons que vous ne nous refuserez certainement point votre protection, pour laquelle nous avons l’honneur de vous supplier ici respectueusement, mais que vous nous en ferez plainement jouir à votre magnanimité si connue, parce que cest la base et le fondement principal sur lequel nous appuïons nos droits, vûque depuis le long intervalle, que parurent les requetes, portant nos pretensions et droits, beaucoup des personnes alors emploïées dans le Gouvernement et dans les affaires d’Etat, auxquelles les travaux ainsi que les deboursés de mon pere etoient connûs, sont mortes.

Je vous prie, Monsieur, d’adresser la reponce, dont il vous plaira m’honnorer, à mon mari, Directeur de la Chancellerie de cette ville, qui pour lors continuera la correspondence avec vous, et agira avec pleine pouvoir pour les interets de mes freres et soeures, dont deux sont encore en vie.

Je me recommande, ainsi que mes iustes pretensions, à votre bienveillance et suis avec le plus profond respect Monsieur votre tres humble et tres obeissante servante

M.C. Häberlin née Luther

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