From ——— (unpublished)

Monsieur,

Celui qui ose aujourdhui venir vous importuner, et vous supplier de lui accorder audiance, est un jeune françis, natif de Paris, qui réclame votre secours, et vous conjure de vouloir bien lire ces lignes, dont il n’auroit peut-être pas le courage de vous dire le contenu de vive voix.

Je naquis le 1er janvier 1761 de pere et mere vertueux et d’un état honnête. Mon pere est artiste et membre de l’Academie Royale de Peinture et de Sculpture. Je perdis ma mere environ dix huit mois après ma naissance. Mon pere m’en donna une nouvelle par le second mariage qu’il contracta par la suitte. Ma belle mere m’a toujours aimé, comme son propre fils. Elle en eût un de son mariage avec mon pere, qui est maintenant agé de treize ans, et apprend le dessein, pour lequel il a bien du goût, et d’excellentes dispositions. Vers l’âge de neuf ans je fus mis en pension près de Paris. C’est pendant mon absence que mourut ma belle mere. En 1774 je revins à Paris. On voulut me faire apprendre le dessein. Mon jeune frere était demeuré à la pension d’où je sortois; je me trouvai seul chez mon Pere devant le dessein que l’on me donnoit à copier; outre cela peu de dispositions, je n’avançois pas; au bout d’un an on prit le parti de me faire continuer mes études dans un college. Comme je ne savais pas asséz le latin pour entrer en Réthorique, on me mit en Philosophie. Mon pere avoit dans ce tems là en pension avec lui, et a encore maintenant un Avocat homme d’esprit et de bon sens. On parloit de me mettre dans les affaires, je m’y prétois volontiers; ce qui fait qu’au commencement de 1777, lorsque j’étois dans ma seconde année de philosophie, un procureur qui m’est parent par son épouse, dit à mon pere, que son clerc sortait de chéz lui, et qu’il voulait bien me prendre sans pension. Mon pere l’accepta volontiers, et moi un peu à contrecoeur. On me faisait quitter la Physique partie si interessante du cours de Philosophie. Quand j’eus été quelque tems chéz ce procureur, je vis que les affaires ne me plaisaient point du tout; je ne m’en cachai pas; j’avais quelque talent pour la déclamation, je parlois d’être acteur. Ma famille me fit là dessus des reproches asséz vifs, qui, joints à des reflexions plus mûres, m’ont fait avec raison abbandonner ce projet.

Celui que j’ai maintenant, et dont je prie Dieu de m’accorder la réüssite, m’est venu dans l’esprit, il y a je crois neuf mois. Ce seroit d’entrer dans l’état militaire. Mais la fortune de mon pere ne me permet pas d’aspirer à être volontaire, ni officier. Elle suffit pour lui; mais un de mes oncles, frere de ma mere, s’était chargé de mon entretien, et j’étais nourri chèz le procureur où je travaillais. Mon pere était de cette façon débarassé de moi. Cet oncle m’avoit donné au commencement de l’été dernier l’habit que j’ai maintenant sur moi; je crus que l’unique moyen d’entrer dans le militaire, était de risquer quelqu’argent à la Loterie; je n’en avais pas, je vendis ma rodingotte d’hyver, que je croyais bientôt changer en un uniforme. Mes esperances furent trompées, je perdis et l’argent et la rodingotte. Vint l’assomption; j’avais des fêtes à souhaiter, encore point d’argent; je vendis mon habit d’hyver. Ce fut vers ce tems là, que, comme je disais toujours que je voulois être militaire, et que je ne ferais jamais rien dans la pratique, je sortis de chéz ce procureur, après y avoir été plus de dix huit mois: je retournai chéz mon pere, qui ensuitte me fit entrer externe chéz un autre procureur. J’ai tout lieu de croire que quand ce seroit un autre état que les armes, que je voudrais embrasser, il s’y opposerait toujours.

D’ailleurs j’ai une grande ardeur de servir; j’ai pensé quelquefois à m’engager. Mais ma famille m’abbandonnera, il n’y a pas de guerre, il est maintenant plus difficile qu’autrefois de parvenir, et la maniere dont sont composées les troupes, ne m’y attire ni pour le coeur, ni pour l’esprit. Tous les soldats sont sans éducation et sans moeurs.

Votre patrie, Monsieur, est maintenant le véritable champ de l’honneur. Aussi est-ce vers elle que tendent tous mes désirs. Puissé-je pret à y partir aller embrasser mon Pere et toute ma famille, au commencement de l’année, aller leur faire de tendres adieux; leur repeter mille fois votre nom, le nom de mon auguste protecteur, de mon genereux bienfaiteur. Sous de si heureux auspices, je ne puis, avec le secours du ciel, manquer de réüssir. Mon coeur m’en répond; il n’est point ingrat, il ne le sera point. Vos bontés pour mon peu de merite, m’exciteront à tâcher de m’en rendre digne. Alors plus que jamais je ferai des voeux pour les jours d’un homme l’honneur de sa patrie, et le plaisir de la notre.

Courageux défenseur de la liberté, je vous prie par ce que vous avéz de plus cher, par votre patrie, par le Congrès, par vous-même de daigner prendre sous votre protection ce jeune français qui vient réclamer vos bontés: sa famille ou ne peut, ou ne veut pas consentir à ses demandes. Soyéz son nouveau pere, dans le chemin de la gloire; qu’il puisse s’honorer de votre nom, de ce nom respectable, qui s’est fait craindre de l’Anglettere, et aimer et estimer de la france.

Endorsed: Un jeune homme demandant du service en Amerique.
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