From Jean-Baptiste Le Roy (unpublished)
Aux Galeries du Louvre ce 21 Juin

J’apprends dans le moment Mon Illustre docteur qu’il part incéssamment un pacquebot du Havre et Je me hâte d’en profiter.

Je suis charmé de savoir que votre Santé Se Soutient toujours très bien et M. Paine m’a fait Le plus grand plaisir en me parlant de votre Procession pour vous rendre à Lassemblée des Etats de Pennsylvanie où il me dit que vous aviez fait plus d’un mille à pied on ne peut pas mieux. Il est admirable de voir qu’au milieu de vos grandes occupations nationales vous trouviez encore le tems de bâtir des maisons. Mais Je pense qu’une des grandes qualités qui rende Les hommes expéditifs c’est La facilité de la pensée Comme vous l’avez: Et Cesar n’auroit Jamais fait tout ce qu’il a fait, qui étonnera à Jamais L’Univers; sans cette merveilleuse facilité, qui lui faisoit dicter tout à la fois à cinq ou Six secrétaires.

J’imagine que vous avez reçu La traduction de votre lettre à mon frère mais Je vais en faire faire une autre edition celle là ayant étè craquée comme nous disons par Les moyens qu’il a pris pour la faire imprimer.

Mais Mon Illustre Docteur, J’en viens à M. Paine je vous Suis vraiment très obligé de me l’avoir adressé de m’avoir procuré Sa connoissance. Son esprit repond parfaitement à Sa réputation et il me paroit avoir un excellent caractère qui le rend d’une Société trés agréable. Vous savez quel prix se met à vos recommandations mais il Suffit de Le connoitre pour être porté d’inclination à lui rendre tous les petits Services qu’un ancien parisien comme moi peut rendre à un étranger. Je le menai hier dîner chez M De Malesherbes précisément dans la même maison au bas de Mont-ma[rtre] où nous dinâmes il y a quelques années Lors du départ du Chr. de La Luzerne pour aller resider chez vous. Cet excellent homme, M De Malesherbes, l’a reçu comme il le mérite. Mais comme il est rentré dans Le Ministère il fut obligé de nous quitter aussitôt après le Diner pour aller a Versailles à un Conseil. Quand je dis que M. De Malesherbes est rentré dans le Conseil cela merite explication. Vous connoissez assez nos formes pour Savoir qu’un homme n’est fait Ministre d’Etat que par un Simple ordre que Le Roi lui fait donner de se rendre à ce Conseil. De façon que Lors qu’il ne reçoit plus cet ordre quoiqu’il conserve le titre de Ministre d’Etat, dans la réalité il ne l’est plus. Or M. De Malesherbes vient de recevoir cet Ordre et il a été nommé de plus un des membres du Conseil des finances que vous avez appris par les nouvelles qu’a été formé depuis L’assemblée des Notables. Vous imaginez bien que nous n’avons pas manquer de parler de vous et dans cette Occasion et quelque tems auparavant Lorsque Je m’acquittai auprès de lui de ce que vous m’aviez chargé de lui dire pour vous. Je n’ai pas manqué pareillement de dire à M. De Buffon que Son état vous faisoit dire comme Le Roi Alphonse que si vous aviez eu la disposition de ce monde ou la distribution du bien ou du mal vous n’auriez pas causé un Instant de douleur à ce grand homme. Je ne puis vous dire combien il a été Sensible à cette marque de votre Souvenir et à la forme flatteuse sous laquelle vous la lui avez donnée il m’a chargé de vous dire en revanche les choses les plus obligeantes et qui étoit une consolation pour lui dans Ses maux d’apprendre qu’une maladie qu’il avoit comme vous Vous traitoit assez favorablement pour vous laisser le tems et les moyens de vacquer aux grandes occupations par Lesquelles vous couronnez vos grandes destinées. Pour lui il est toujours bien Souffrant. Je Suis on ne peut pas plus fâché pour M. Paine que nous n’ayons plus de ballons car il meurt d’envie d’en voir mais un M. Bousboulon que vous avez pu voir ici et qui étoit à la tête de la manufacture de Javelle a fait banqueroute et les honnètes gens de cette manufacture qui S’en occupoient ont actuellement toutes autres [?] à faire il n’y a plus que Blanchard qui Soutienne L’honneur de cette belle Invention mais il [?] à ces gens qui voyageant sans connoissances et sans idées font cent fois le même chemin Sans rien rapporter de nouveau et doit faire dans quelque tems une expèrience à Nancy mais M. Paine trouve que c’est trop loin pour aller chercher Le Plaisir de voir [partir] un Ballon. Quant à ce que vous me demandez mon Illustre Docteur de Louvrage de M. Meusnier Son Ouvrage n’est qu’en Manuscrit et vraisemblablement ne sera pas sitôt imprimé parceque Les frais de L’impression et des gravure couteroient Un argent considèrable.

Votre observation de ce qui s’est passé sur le conducteur de votre maison m’a fait grand plaisir. Je compte sous peu de jours la rendre publique. Dans tout ce que vous avez fait et dans les conquêtes que vous avez su faire sur la nature pour nous reveler ses secrets vous avez ete commes charles Douze et d’autres conquérans qui ne s’emparent des Empires que pour les donner à d’autres. Comme La mode est Les flambeau qui nous guide, Les Paratonnerres Se multiplient ici beaucoup de toutes parts. Et une grande preuve qu’en m’exprimant ainsi je ne calomnie pas notre aimable mais frivole nation c’est tous les raisonnemens qu’on entend faire tous les jours sur ces Paratonnerres.

Le modele du Pont de M. Paine n’est pas encore arrivé. J’ai mené cet homme estimable chez M. Perronet car on vous avoit mal informé et nous en avons ri avec lui. Il nous dit qu’on l’avoit tué dans les Gazettes, à peu pres comme notre ancien et respectable ami M. Le Chr. Pringle le fut en 1769. Vous pouvez faire savoir mon Illustre Docteur à M. Manassés Cutler que je l’ai mis en relation avec Messr. Jussieu et Thouin L’un, Professeur de botanique au Jardin du Roi, et L’autre, Jardinier en chef de ce Jardin, et actuellement membre de notre Academie et votre confrère et le mien. Je répondrai a M. Cutler mais malheureusement dans ce moment cy cela ne m’est pas possible. Mon frere a reçu Le Diplôme de votre Illustre Société et a èté doublement flatté d’en être et à cause de cette Société et à cause de l’honneur que cela lui procure d’être votre confrère. Je n’ai pas manque de remettre à M. D’angiviller Le Sien qui a du vous ecrire pour vous en remercier.

Je compte vous envoyer par le premier pacquebot tout ce qui vous manque de l’Académie et en même tems un Mémoire de Mess Lavoisier Morveau Bertholet et Fourcroy contenant une nouvelle nomenclature chimique dont je vous ai parlé mais je crains que ces Mess n’ayent oublié Le Dictum de Bacon tâchons de nous moins presser pour aller plus vite. Adieu Mon Illustre confrère recevez les sincères assurrances de tous les sentimens d’attachement que Je vous ai voués pour la vie de tous les voeux pour votre conservation

Jean Baptiste Le Roy
de L’Acade. des Sciences
Mille et mille complimens a Messieurs vos petits fils.
Endorsed: M. Le Roy
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