To Madame Brillon
al: American Philosophical Society
ce 1e Octobre 81 [1781]

J'ai reçu votre petite chere Epitre, ma bonne fille, datté a Vil-leneuve le 27 passée. Vous parlez des bons Amis qui vous soignent bien, des belles Vues que vous avez par vos fenétres, &c. Tout cela me fait du plaisir à entendre; mais je pense con-tinuellement des Fatigues que vous devez souffrir dans une si longue voyage; des mauvaises Auberges, mauvaises lits, mau-vais Cuisines, &c. & je crains pour votre tendre & delicat Fa-brique: ces Idées me font de la peine. Je suis faché que je ne suis pas l'Ange Gabriel avec des grandes Ailes; car si cela étoit, je pouvois vous epargner tous ces Inconveniens, en vous prenant comme ma Chapeau-bras, & vous plaçant en une demi-heure doucement dans votre Apartement à Nice.

Voilà une grande Vide pour moi à Passy! Point de vous Ac-cueils amicales & riantes; point de votre Musique charmant; point de vos aimables Enfants courrants a m'embrasser! Vos bons Voisins tachent de remplir ce Vide autant qu'ils pouvoient, mais il s'en faut beaucoup.

Mon jeun homme est bien sensible a vos Souvenirs. Il a été malade depuis le jour de vôtre depart; d'une Jaunisse: mais il est mieux actuellement, & presente ses Respects.

La Duchesse de Polignac est allée; la Reine est allée; & ma chere Amie est allée. Voila Passy un Desert! Mais c'est de vous que je me plains principalement, qu'avec & comme le Soleil, vous allez durement nous quitter pendant l'Hyver, quand nous aurons plus de besoin de tous les deux.

Dites a tous le bon Compagnie que je les aime tous tendrement. Je ne dis pas que je vous aime: c'est une Expression, il me semble, trop foible pour marquer ce que je sens. Mes Re-merciments au bon Pere Pagin pour sa petite Ligne. Soignez vous bien les uns les autres, afin que vous serez tous restitués à moi en bon Santé, pour me faire heureux l'année prochaine.

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