From Abbé Martin Lefebvre de la Roche (unpublished)
Auteuil ce 27 Juillet 1787

Il faut donc, mon cher Papa, ne plus sentretenir avec vous que comme les Dévots le font avec les Substances celestes que l’on ne voit, ni n’entend, et que l’on n’espere rencontrer face à face, que quand nous existerons dans un ordre de choses où nous serons bien etrangers à tous ce qui se passe dans ce monde-ci. Nous nous y trouvions cependant si bien quand nous etions ensemble autour d’une bonne table à dejeuner; que nous parlions de morale, de politique et de philosophie; que nôtre Dame d’auteuil eveilloit vôtre coquetterie et que l’abbé Morellet nous disputoit la crême et mettoit ses argumens bien en forme pour nous prouver ce que nous ne croyions pas; alors nous eussions volontiers renoncé à l’autre Paradis pour conserver celui-ci, et vivre comme nous étions, toute une éternité. Mais un autre Paradis vous attendoit et vous appelloit en Amerique. Vous avez quitté celui d’Europe, pour achever ce que la Providence ne pouvoit faire sans vous dans un pays qu’elle veut rendre libre et heureux. Nous respectons trop ses desseins pour nous plaindre de ce qu’elle fait le bonheur des autres aux depens du nôtre. Elle nous en dedomage un peu, en nous laissant de vous un souvenir qui nous occupe souvent. Nous nous reposons sur vos Enfans, sur vos amis, sur vos bons Americains du soin de vous aimer, comme nous faisions; d’égayer vôtre viellesse et de vous payer de tout le bien que vous avez fait, et de tout celui que vous avez voulu faire à l’humanité et à vos compatriotes. Nous nous plaisons à imaginer que vous serez le seul bienfaiteur des hommes qui aurez échappé à leur ingratitude: ce qui sera contre les detracteurs des siècles modernes un argument sans replique de la perfectibilité de l’espéce humaine.

Nôtre dame d’auteuil a eû tout ce Printems une Santé un peu languissante. Elle se porte maintenant beaucoup mieux. Pour sa convalescence, nous lui avons donné une fête à laquelle tous ses amis, toutes les petites etoiles et près de quatre cens personnes out assistés. Les premiers acteurs de la Comedie française se sont empressés de lui jouer la Tragedie de Philoctéte traduite de Sophocle, et la premiere actrice de l’opera a joué la servante maitresse, opera mis en musique par le celebre Pergolése, le plus fameux compositeur Italien. Il ne manquoit que vous pour completer la fête, et la rendre la plus agréable qui aît jamais été donnée. C’étoit la fête de l’amitié qui rarement en reçoit de pareilles, quand la vanité ne s’en mêle pas.

Vous aprendrez sûrement par vos papiers publics les resultats de nôtre assemblée de notables. Vous sçaurez l’augmentation de nôtre dette nationale en tems de paix; le remède qu’on espère trouver dans l’établissement et la formation des assemblées provinciales que l’on établit de toutes parts dans le Royaume; le refus que nos Parlemens font d’enregistrer un Edit du Timbre qui a causé vôtre revolution; la fermentation des Esprits français sur les affaires politiques est général. Il est difficile de prévoir la tournure que tout cela va prendre. D’un côté le besoin d’argent, de l’autre la misère des Peuples et le refus de nouvelles contributions de la part des grands corps de l’Etat; voila une position inquiétante. La Guerre civile est en hollande, le trouble se repand dans les Provinces du Brabant le long de nos frontieres. Les flamands ne veuillent absolument pas admettre les nouvelles constitutions que l’Empereur veut établir chez eux. Tout est en fermentation. Il n’y a que le desordre des finances qui puisse nous sauver de la necessité d’une guerre qui nous menace.

Vôtre cri de liberté retentit dans toute l’Europe, jusque dans la Turquie même. Vôtre assemblée de notables doit? surement operé plus efficacement que la nôtre. Vôtre corps politique est un malade vigoureux dont vous n’avez qu’a consolider la convalescence, en lui prescrivant un bon regime; et ce sont des médecins habiles qui se proposent de la lui faire adopter. Nôtre ami L’archevêque de Bordeaux doit vous avoir repondu. Il etoit de l’assemblée des notables. Nous ne l’avons vû qu’à la fin, et nous avons employé une partie de la journée qu’il est venu passer avec nous, à lire vos Lettres que nous avions reçues, et à nous occuper de vôtre souvenir, des temoignages que vous nous en donnez, et du bonheur dont vous jouissez dans vôtre patrie et au milieu de vôtre famille. Parlez quelquefois de nous à Messieurs Temple et Benjamin, les seuls que nous ayions quelque esperance de revoir peut être dans ce pays-ci, les seuls qui nous rappelleront encore des souvenirs agréables. Nous vous embrassons à travers les mers qui nous separent, et suis en particulier et pour la vie, Mon très respectable ami, vôtre Devoué serviteur

Lefebvre de la Roche

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