To Madame Brillon: Letter and Printed Bagatelle (“The Whistle”)
al: The Rosenbach Museum & Library; al (draft) American Philosophical Society
à Passy, ce 10 Nov. 1779

Je reçus les deux Lettres de ma chere Amie, l’une pour Mercredi, l’autre pour Samedi. C’est aujourd’hui encore un autre Mercredi. Je ne merite pas d’avoir une pour ce jour, parceque je n’ai pas fait reponse aux precedentes. Mais, indolent comme je suis, et averse à ecrire, la Crainte de n’avoir plus de vos charmantes Epitres, si je ne contribue pas ma part pour soutenir la Correspondence, me force de prendre ma plume. Et comme Mr. b. ma mandé si obligeamment qu’il part demain matin pour vous voir, moi, au lieu de passer ce mercredi au soir, comme j’ai fait si longtems de ses predecesseurs du même nom, en vôtre douce Société, je me mis à mon ecritoire, pour le passer en pensant de vous, en écrivant à vous, et en lisant et relisant ce que vous m’avez si delicieusement écrite.

Je suis charmé de votre Description du Paradis, et de vôtre Plan pour y vivre. J’approve fortement la Conclusion que vous faites, qu’en “en attendant il faut tirer de ce bas monde tout le bien qu’on peut en tirer.” A mon avis, c’est trés possible pour nous d’en tirer beaucoup plus de bien que nous n’en tirions et d’en souffrir moins de mal, si nous voulussions seulement prendre garde de ne pas donner trop pour nos Sifflets. Car il me semble que la plupart des Malheureux qu’on trouve dans le monde, sont devenue tels par leur negligence de cette precaution.

Vous demandez ce que je veux dire?— Vous aimez les Contes, et vous m’excuserez si je vous en donne une qui regarde moi-même. Quand j’etois enfant de 5 ou 6 ans, mes amis, un jour de Féte, remplirent ma petite Poche de Sous. J’allai tout de suite à une Boutique ou on vendoit des Babioles, mais étant charmé du Son d’un Sifflet, que je rencontrois en chemin dans le mains d’un autre petit garçon, je volontiers lui offris et donnai pour cela tout mon argent. Revenu chez moi, sifflant par toute la Maison, fort content de mon Achât, mais fatiguant les oreilles de toute la Famille, mes freres, mes Soeurs, mes Cousines, entendant que j’avoir donné tant pour ce mauvais Bruit, me dirent que c’étoit dix fois plus que la valeur; alors ils me faisoient penser du nombre des bonnes choses, que je pouvois acheter avec le reste de ma Monnoie, si j’avois été plus prudent; et ils me ridiculisoient tant de ma Folie, que je pleurois de Vexation; et la Reflexion me donnoit plus de Chagrin, que le Sifflet pouvoit me donner du Plaisir.

Ce, cependant, étoit dans la suite, de quelque utilité pour moi, l’Impression restant sur mon Ame, tant que quand j’étois tenté d’acheter quelque chose qui me n’étoit pas necessaire, je disois à moi-même, Ne donnons pas trop pour le Sifflet. Et J’epargnois mon Argent.

Quand j’ai vû quelqu’un qui, ambitieux du Faveur de la Cour, sacrifioit son tems en les Assiduités aux Levées; son Repos, sa Liberté, sa Vertu, et peut-être ses vrais Amis, pour obtenir quelque petite Distinction, J’ai dis à moi-même, Cet homme donne trop pour son Sifflet. Quand j’ai vû un autre, entété de se rendre populaire, et pour cela s’occupant toujours de Contestations publiques, negligeant ses Affaires particulieres, et les ruinant par cette Negligence, Il paye, ai-je dis, trop pour son Sifflet. Si j’ai connu un Avare, qui renonçoit à toute maniere de vivre commodement, à toute le Plaisir de faire le bien aux autres, à toute l’Estime de ses Compatriotes, et à tous les joyes de l’Amitié, pour avoir un monceau de Metal jaune, Pauvre homme, je disois, vous donnez trop pour vôtre Sifflet. Quand j’ai rencontré un homme de Plaisir, sacrifiant toute louable Perfectionnement de son Ame, et toute Amelioration de son Etat, aux Gratifications du Sense purement corporelles, et détruisant sa Santé dans leur poursuite, Homme trompé, ai-je dis, vous vous procurez des Peines au lieu des Plaisirs; vous payes trop pour vôtre Sifflet. Si je vois un autre entété de beaux Habiliments, belles Maisons, belles Fournitures, beaux Equipages, toutes audessus de sa Fortune, et pour avoir desquelles il fait des Dettes, et finit sa Carriére dans un Prison; Helas, dis-je, Il a payé trop pour son Sifflet. Quand j’ai vû une trés belle fille, d’une naturel bonne et douce, épousé à un homme feroce et brutal, qui la maltraite continuellement, C’est grande Pitié, ai-je dis, qu’elle a payé tant pour un Sifflet. Enfin, j’ai conçeu, que la plus grande Partie des Malheurs de l’Espéce humaine se derivent des Estimations fausses qu’on fait de la Valeur des choses, au moyen de quoi on est persuadé de donner trop pour les Sifflets!

Neantmoins je sens que je dois avoir de la Charité pour ces Gens malheureux, quand je considere, qu’avec toute cette Sagesse dont je me vante, il-y-a certaines Choses dans “ce bas monde,” si tentantes; par exemple les Pommes du Roy Jean, lesquelles heureusement ne sont pas à acheter, car s’ils etoient mises à l’enchere, je peux être très facilement mené à me ruiner par l’Achât, et trouver que j’avois encore une fois donné trop pour le Sifflet.

Adieu, ma trés chere Amie, et me croiez toujours le vôtre bien sincèrement, et avec une Affection indiminuable.

p.s. J’ai perdu vos voisines et les miennes; & quand je pense de vous je chante J’ai perdu mon Euridice, rien etc. Voilà une grande Exercice pour vos Corrections.
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