From Lucas Despeintreaux (unpublished)
Paris 9 Jer. 1784
Monseigneur

j’usqu’a Present je Passais mes jours dans mon Païs en Comptant Bien les y finir. Je Souffrais Plustôt les inconvenients que Sa Constitution Entraine aprés elle que de Songer a Les Eviter en Emigrant, L’exemple de mes Peres et de mes Concytoyens qui y ont vecu avant moy fortifiait L’instinct qui me Portait naturellement a aimer le Païs qui m’avait vu naitre et ne Laissait dans mon âme de Place a aucun desir d’Emigration. Pour me faire ouvrir efficacement les yeux Sur mon etat et me donner la force de vouloir obtenir les avantages que je desirais deja il a fallu la Revolution que vos Braves Concytoyens ont operéé Sur votre Patrie et que votre zêlé Patriotisme aidé de votre Politique Eclairéé a Sçu mener a une Si heureuse fin; oui Monseigneur C’a été Sur le Recit de vos actions et de Celles de vos Compatriotes dans Cette Revolution, de l’austerité de vos moeurs même de la Simplicité de votre vie Privéé que j’ai osé Porter mon jugement Sur vous et Sur eux et que j’ai desiré ardemment Pouvoir vivre avec de Pareils hommes. La forme Constitutionelle de votre Gouvernement Republicain qui n’a Point eu d’Enfance m’a Paruë devoir être Stable, Propre a assurer le Sort de vos Concytoyens et Soutenir leur ames au Point de Grandeur ou elles Se Sont élevéés. j’ai Cru voire de même que la Douceur du Climât Sous lequel Sont les etats qui Composent votre Republique, le rapport que Ce même Climât a avec Celuy Sous lequel je Suis né la fertilité des terres de Cette République leur étenduë Comparéé au nombre d’hommes qui les habitent Pouvait justifier le desir que j’ai d’en augmenter le nombre et me faire Esperer d’en Partager effectivement les avantages, en un mot j’ai vu les Choses si bien disposéés dans votre Patrie Pour le Bonheur et La Prosperité des Bons Cytoyens et Particulierement pour me mettre a Portéé d’y mener le Genre de vie auquel j’aspire depuis Si longtemps que j’ai Pris Reellement La Resolution de m’y aller Etablir incessament Si la Petite fortune que je Possede Peut me Suffire pour l’execution d’un tel Projet. Malgré L’importance de votre mission en Cette Cour et des affaires que vous avez a y traiter j’ai Esperé que votre humanité vous ferait trouver dans un de vos moments de delassement une espèce de Satisfaction a vouloir Bien descendre avec moy dans le detail des instructions dont j’ai Besoin Pour Savoir Si l’execution de Ce Projet m’est Possible et avantageuse. et Pour acceler l’instant de L’audience que j’ose vous Prier de m’accorder je me Suis Permis de vous donner d’avance une idéé de mes Pretentions et de vous faire Connaitre Par leur Simplicité que ny l’ambition ny la Cupidité n’y figurent en rien. je m’appelle jean Baptiste Charles lucas je Suis français agé de vingt cinq ans né a Ponteaudemer ville de normandie ou je demeure Encore actuellement je remplis l’état d’avocat au Bailliage Royal qui y est dans le quel mon Pere a rempli la Charge de Premier Conseiller Pendant Plus de trente ans, je Suis lié de Parenté avec la majeure Partie des Bourgeois nottables et Pourvus de Charges dans ma ville. je tiens Par les mêmes liens a nombre de Gentils hommes tant de la même ville que des environs Par mon Pere, et ma mere qui etait de Condition noble avant Son mariage. mon Pere est mort il y a Prés d’un an ma mere qui vit Encore a Pris Ses droits Sur La Succession et a Repris une terre assez Coonsiderable Procedante de Son Chef le Reste de la Succession a été Partagé Egallement entre moy quatre freres et une Soeur que j’ai; La Part qui m est revenuë S’est montéé a environ quatorze ou quinze mille francs de Capital. C’est avec Cette modique Somme que je voudrais Bien aller Chercher dans votre Patrie les jouissances inappreciables d’une vie libre et aiséé en un mot naturelle. je Crains deja que Par votre Reponse vous ne m’apprenniez quelle est insuffisante Pour l’execution d’un tel Projet. mais Cependant j’ose vous Prevenir que Si la Somme vous Parait Bien Bornéé mes desirs ne Sont Pas Bien étendus. j’ai Entendu dire qu’il y a Encore Beaucoups de terres incultes dans votre Païs dont on Peut obtenir du Gouvernement Partie a la Charge de les Defricher. eh bien Monseigneur Si Cela est, Pourvu qu’avec la Somme dont j’ai eu l’honneur de vous Parler je Puisse fournir aux frais que je Serai obligé de faire Pour mon emigration me former dans votre Païs un Petit etablissement de la maniere la Plus oeconomique y exploiter assez de terre Pour me nourir frugallement moy aidant de mon travail aux esclaves ou Domestiques qu’il me faudra. Pour Cela tous mes desirs Seront remplis. je Crains autant de Rencontrer la misere que je Recherche Peu l’opulence. mon But est de tenir le milieu. Cet etat me conservera dans une Certaine activité qui n’aura Rien de la molesse du Riche ny de l’abbattement du miserable. Peut Etre mon Projet vous Paraitrat’il L’ouvrage d’un Cervau Echauffé Par L’illusion qu’offrent les Descriptions Romanesques ou Par la manie Philosophique dont quelques têtes de notre Siecle Sont travailléés. Mais je vous atteste Monseigneur que je ne Suis ny dans L’un ny dans L’autre Cas. j’ai été aportéé de Connaitre la vie Champêtre autrement que Par Speculation. Depuis mes Plus tendres ans j’ai Passé jusqu’a Ce jour a la Campagne Plus de Six mois Chaque annéé et m’y Suis trouvé dans les Saisons les Plus Rigoureuses. Si jeune que j’aye été, j’en ai toujours voulu au Sort de ne m’avoir Pas fait naitre fils d’un Laboureur tant les occupations de la Campagne et la vie qu’on y mene a toujours été de mon Gout. jamais je ne m’y Suis Ennuyé un instant. j’apprehendais Celuy ou l’etat de mon Pere et le Besoin d’Etudier me Rappellait a la ville et je ne Comptais mes Beaux moments que Par Ceux que j’avais passés a la Campagne. Ce Premier Gout ne S’est jamais Démenti en moy, et je le Satisferai avec d’autant plus de Plaisir dans votre Païs que ny la Dîme ny la feodalité ny le mepris attaché a la Condition de l’habitant des Champs non Privilégié ny tant d’autres abus authorisés Par la Constitution du mien ne m y Suivront Point. Si j’etais Bien Certain de mon Depart j’aurais l’honneur de vous justifier des aujourdhuy Par des attestations et Certificats dignes de foi que je ne vous ai avancé rien que d’Exact et Par rapport a mon etat et Par rapport a ma naissance. je n’attends Pour le faire que l’honneur de votre Reponse qui m’apprenne qu’effectivement je Puis avec ma fortune Subvenir a mes frais d’Emigration, m’Etablir dans votre Païs de la maniere dont je vous ai fait Part, Parceque dans Ce Cas n’ayant Plus a Craindre le Prejudice que la reputation d’emigrant Pourait me Porter dans mon état je me Procurerai ouvertement les moyens d’Etre Connu de vous et d’obtenir votre Recommendation en vous justifiant Par l’aveu General des Principaux Personnages de mon Païs en ma faveur que je n’en Suis Point indigne. je reïtere de vous Prier de m’accorder votre audience en vous observant que je Suis venu ici exprés Pour l’obtenir et que je n’ai Pas le moyen d’y faire un long Sejour. j’ai l’honneur d’être de votre exellence Monseigneur le trés humble et trés obeï[ssant] Serviteur

Lucas Despeintreaux

Notation: Peintreaux M. Lucas des. 9 Janvr. 1784
640811 = 041-u217.html