From — Ferry (unpublished)
A Marseille le 28 mars 1783
Monsieur

Vous serez sans doute surpris qu’un jeune homme a peine agé de 20 ans, un avorton dans la partie de la physique prenne la liberté de vous ecrire. Vous aurez même le plus grand droit de vous facher contre moi, de ce que je viens interrompre des occupations d’autant plus interessantes pour vous, qu’elles ont pour objet votre patrie. Mais vous voudrez bien excuser ma temerité, lorsque vous saurez que le motif qui m’anime est l’emulation, cette heureuse disposition de l’ame qui suplée si souvent aux talents naturels et qui impose aux grands hommes l’obligation flatteuse d’eclairer ceux qui demandent d’être instruits. Daignez, monsieur, vous en acquiter a mon egard comme faisant part de votre sentiment sur l’hypothese qui forme l’objet de cette lettre. Peut être ne serez vous pas faché d’apprendre auparavant qui je suis. Marseille est ma patrie. Ma famille n’est pas riche mais elle est ancienne parmi celles des negociants, et jouit de plus d’une grande Reputation d’honnéteté. Mon pere connaissant combien les sciences sont utiles surtout a ceux que la fortune n’a pas favorises eut soin de me faire etudier. Je fis mes humanités au college des pères de l’oratoire, et ayant merité une des places de boursiers fondées par mr de matignon dans le même college, j’entrai en philosophie. J’eus le bonheur d’avoir pour professeur un homme instruit, mais impartial, qui n’adoptait aucun systeme, qu’il ne l’eut approfondi et ne l’eut jugé plus conforme que les autres a la saine physique. C’est le temoignage le moins fort que ma Reconnaissance puisse rendre au pere Aubert.

Comme l’electricite pretait plus aux experiences que toute autre partie de la physique, il s’y attacha avec une espece de complaisance, et balança avec toute la sagacité qui le distingue votre opinion, au sujet du phenomène de la bouteille de leyde avec celle de mr nollet, et finit par adopter la votre.

J’avouerai que je suis naturellement incredule: je ne me rendis pas sur le champ a son assertion, et ce ne fut qu’aprés avoir comparé les faits et les experiences, opposé Raisons a Raison et consequence a consequence, que je me determinai a croire que mr nollet, tout grand physicien qu’il etait, avait erré dans son hypothese, qu’il parcourait constamment un cercle vicieux, et qu’en rendant a ce prince de la physique experimentale le même homage que l’on avait rendu a descartes, on devait abandonner son systeme, pour embrasser le votre, comme on avait quitté les tourbillons, pour recourir a l’attraction. L’experience et le raisonnement m’ont de plus en plus confirmé dans cette idée qui est, je crois, celle de tous les physiciens mais en applaudissant votre systeme, en le regardant, comme une des plus belles decouvertes, comme le fruit du genie le plus vaste et le plus fécond, en admirant le concours de toutes les experiences pour en demontrer la verité, j’ai eu l’audace de pretendre qu’il n’etait pas etayé sur des Raisons assez physiques. Quant je dis audace, je n’exagere point. Peut on appeller autrement la témérité de vouloir faire, ce que n’a pas fait mr. francklin, et de pretendre avancer la où il a cru devoir s’arreter.

Je fonde mon assertion sur ce qu’on lit au premier volume de vos lettres, page 208 in fine de la Traduction de mr. d’alibard edition de l’an 1756:

639428 = 039-u232.html