From Louis-Guillaume Le Veillard (unpublished)
Passy 13 juin 1787
Mon cher amy,

Mr. Paine vient de me donner vostre lettre du 15 avril dernier; enfin apres 13 mois vous avez eu un bon moment, vous vous estes souvenu de moy, vostre bon coeur vous aura dit que je devois estre si chagrin de vostre silence, que je vous aimois si tendrement, que vous me feriez tant de plaisir en m’écrivant que vous vous estes laissé entrainer par celuy de me rendre heureux; car vous n’avez pas dit a mon égard comme a celuy de Mr. de la fayete: si je ne réponds jamais, il ne m’écrira plus! O mon cher amy, je ne veux pas vous estre a charge, mais il est permis de demander le nécéssaire et quelques mots de vostre main, écrits a des intervalles moins déséspérans sont un de mes plus pressants besoins.

Je crois que la lécture du livre cy joingt vous fera plaisir, quoyqu’il y soit quéstion d’un pays fort eloigné de vous et qui vient d’éprouver un grand changement, je vous l’envoye de la part de l’auteur, Mr. de Volnei que vous avez vu chez Madame helvétius, et le paquet vous sera remis par Mr. Saugrain jeune savant tres instruit surtout dans la phisique théorique et pratique; je l’ai connu dès son enfance, son pere étoit imprimeur et ses ancêstres ont éxercé cet art présque depuis son invention; Don Galvès dernier viceroy du Méxique l’avoit demandé a son beaupere Mr. de Maxent de la Louisiane chez qui étoit Mr. Saugrain et l’avoit envoyé a Paris pour s’instruire des dernieres découvertes dans les sciences et luy faire des acquisitions relatives a elles, au moment de partir pour le Méxique il a reçu la nouvelle de la mort de don Galvès, il s’est déterminé a passer chez vous avéc quelque dessein même d’y rester et je vous demande vos bontés pour luy. A l’égard de Mr. de la Valete neveu de Me. delafreté, sa mauvaise santé la fait changer d’avis vous ne le veres point, il étoit fort connu de Mr. Le Coulteux un de vos nouveaux cytoyens.

Je vous somme, mon cher amy de tenir la parole que vous me donnez de terminer l’histoire que vous m’avez promise, pour l’instruction du genre humain, son bonheur et mille autres raisons. J’y tiens fortement et si vous pensez absolument comme moy que l’indépendance de vostre pays ne sera complette que lorsque vostre dette publique sera payée, vous n’aurez de même a mon egard celle de vostre personne que lorsque vous aurez acquitté cellecy; j’espere que vous y travaillerez serieusement dès que la grande convention sera finie; vous pourriez bien en estre president et son résultat ajoutera sans doute un éxcellent chapitre a vostre ouvrage; j’espere beaucoup de cette assemblée dont vous avez grand besoin; il est cependant quéstion d’abandonner au congrès les reglements sur le commerce et les douanes, vous allez donc avoir ou continuer d’avoir des Douanes? des gesnes? parce que les sottes nations de l’europe en ont? Je crois que cette consequence n’est pas juste et que, quoy qu’ils fassent, vous devriez laisser le commerce absolument libre; qu’arriveroit il? que vous augmenteriez ce que vous leur vendez de l’impot qu’elles mettent dessus, que vous gagneriez beaucoup par la contrebande et que vous laisseriez l’argent que les douanes vous produiront et d’apres lesquelles l’étranger vous vendra de même plus cher, entre les mains de vos citoyens y seroit productif elles mettroit en état de payer un plus gros impot.

Il seroit facheux que quelques états négligeassent, comme ils ont deja fait, ou refusassent, comme Rhode island, d’envoyer leurs deputés, auquel cas, il serait peut estre sage, pour que la chose ne fût pas interminable, de procéder toujours a l’amandement de la constitution fédérale dans laquelle ils ne seroient plus compris a moins qu’ils n’accédassent a la nouvelle, ce qu’ils feroient vraisemblablement.

Vous me faites le plus grand plaisir en m’aprenant l’accord de vostre assemblée générale; j’avois présumé que vous y apporterez l’union, mais des gens de vostre pays m’avoient fortement soutenu le contraire que je présume qu’ils desiroient, ils prétendent que le parti qui vouloit changer la constitution l’emporteroit a la fin et que vous seriez vous même obligé de vous ranger de son coté.

Je regrette beaucoup que vous n’ayez pas eu le temps de copier l’ecrit sur la retenue des forts par les anglais, le Duc de la Rochefoucauld sera de même faché de ne pas l’avoir, nous souffrons impatiemment de ne pas jouir de tout ce qui vient de vous et nous le réclamons pour la suite quand vous en aurez le loisir.

Je me rejouis de ce que la pierre et la goutte sont pour vous d’un si bon caractere, j’espere qu’elles ne se démentiront point, je voudrois cependant vous voir une autre société, si ce n’est pas la plus mauvaise compagnie, ce n’est pas non plus la meilleure.

Je ne peux entendre par papier monnoye dangereux, injuste même, que celuy qu’une loy force a prendre au lieu d’argent. Tout autre papier, dont l’acceptation est libre, peut estre utile, sa quantité se regle d’elle même et il ne nuit qu’a ceux qui font de mauvaises spéculations.

Vous avez sans doute agi sagement en batissant trois nouvelles maisons, je voudrois bien en occuper une, Mr. Paine m’a dit que l’argent placé en terres cultivables aux environs des grandes villes, ne produisoit que deux et demie ou 3 pour cent et dix en batissant, quoyque le salaire des ouvriers soit éxcéssif; un nouveau livre de MM. de Claviere et Brisseau de Warville sur la france et les états unis dit que l’argent se place aisément a 6 pour cent sur les agriculteurs a qui la culture le fait rapporter bien davantage; toutes ces assertions sont elles vrayes, et comment s’accordent elles?

J’ay mandé a Mr. de Barbancon ce que vous m’écrivez a l’égard des graines qu’il vous a demandées, je n’ai pas encore sa réponse mais, sans doute, il na pas de meilleur parti a choisir que de les attendre.

Ma derniere lettre a Mr. vostre petit fils contenoit des nouvelles quil vous a, sans doute, communiquées; depuis, l’archevêque de Toulouse a été fait ministre et président du conseil de finance; Mr. de fourqueux a deja donné sa démission de la place de controleur général, et Mr. de Villedeuil qui venoit d’estre nommé a l’intendance de Rouen lorsque nous y avons passé, le remplace, le nouveau ministre archevêque a des pouvoirs beaucoup plus étendus que ceux de feu Mr. de Vergennes dont la mémoire est bien ternie par les déprédations incroyables faites sous ses yeux pendant sa présidence et la fortune immense qu’il a laissée.

L’assemblée des notables a fini le 25 may, vous verrez dans la gazette les discours, et je crois qu’a l’éxcéption de celuy du prévost des marchands, vous en serez satisfait. On est en général tres content des notables et le procès verbal de cette assemblée comparé a celuy de celle tenue sous Louis 13 marquera d’une maniere bien frapante et bien glorieuse [pour?] ce sciecle cy les progrès de l’esprit humain dans tous les genres.

On a suprimé les départements des maistres des requestes, on a nommé pour le travail dont ils étoient chargés 4 intendants des finances et un intendant du commerce; des deux conseils [des] finances et du commerce on n’en a fait qu’un seul, Mr. de Nivernois est entré au conseil et Mr. de Malesherbes y est revenu.

On a porté au Parlement beaucoup d’édits pour l’établissement des assemblées provinciales, la liberté absolue du commerce des grains, la suppression des corvées etc. Ce[lui] des assemblées provinciales cause la plus grande joye, on les regarde, et je crois avéc raison comme un pas enorme vers la liberté, il nous console un peu des nouveaux impots qu’on [va] nous faire supporter parmy lesquels, comme nous ne sommes pas si degoutés que vous se trouvera celuy du Timbre.

Quelle excellente fille vous avez! Comme elle ressemble éfféctivement a ma femme [et] que je vous en félicite! Présentez luy, je vous prie mon réspéct et certifiez luy qu’il est en france un homme qui luy rend dans un autre elle même toute la justice qu’elle mérite.

Cette tres bonne femme, sa fille, tous nos amis communs vous aiment et pensent a vous comme quand vous estiez ici, tous vous embrassent comme ils vous embrassoient; mon [fils] est encore a Bordeaux, mais il va revenir sans avoir encore de sort; je dine demain avec Mr. Paine chez Mr. de Chaumont; je ferai tout ce qui sera en moy pour estre utile et agréable a quelqu’un que vous aimez et dont le nom remplit éxactement sa place [dans?] vostre recommandation; malheureusement le Duc de la Rochefoucauld et toute sa famille sont partis pour trois mois, Mr. Paine ne doit rester ici que deux, aller ensuite en angleterre et revenir passer l’hiver a Paris; Mr. Jefferson est revenu avant hier [d’un] grand voyage qu’il a fait en italie et dans nos provinces méridionnales.

Vous savez que Mr. Brillon est mort, sa maison est vendue, toute cette famille a present loing de moy; Mr. Dailly a une maladie de langueur inquiétante, madame Bandeville est près de sa fin, j’essuye journellement des pertes que rien ne pourra re[parer] mais je n’en ai point éprouvé de plus sensible que celle que j’ay faite sur le vaisseau q[ui vous] a conduit en amérique; adieu mon cher amy je suis a vous en totalité pour l’éternité

Le Veillard

Endorsed: M. Le Veillard
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