From Louis-Guillaume Le Veillard (unpublished)
Passy 25 avril 1789
Mon cher amy,

Depuis vostre lettre du 10 decembre dernier je n’en ai point reçu d’autre de vous, vous avez du en avoir une de moy du 20 fevrier, et vous recevrez par Mr. Jefferson la plupart des livres que vous desirez ainsi que monsieur vostre petit fils, MM. Grand ont du vous en envoyer la notte. M. Grand a été bien malade nous avons cru le perdre, il est hors daffaire et va de mieux en mieux.

Nous sommes enfin a la veille des etats généraux, si quelqu’un avoit dit lorsque vous etiez avéc nous qu’ils etoient seulement possibles, il auroit courru risque de coucher à la Bastille. Je ne sais pas le bien qu’ils opereront mais par provision au moins, on dit et on imprime tout aujourdhuy et on n’emprisonne personne; la pluspart des demandes des differentes députations sont publiques, beaucoup donnent les bornes les plus etroites a l’autorité Royale et toutes, sans éxception, veulent qu’avant de soccuper d’autre chose on établisse une constitution qui donne a la nation l’autorité legislative soit conjoingtement avéc le Roy, soit indépendemment de luy, qui fixe la forme de composition et daction des etats généraux permanents, ou a époques fixes et raprochées, de maniere quils se rassemblent d’eux mêmes sans convocation, qu’on mette a l’abri de tout danger la sureté personnelle et des propriétés, que la presse soit libre sous la caution de l’imprimeur obligé de mettre son nom a l’ouvrage qu’il distribuera et qu’on abolisse toute éspéce d’éxemption et privilege pour le payement des impots etc., une multitude dautres objets sont encore demandés comme la reforme des loix civiles et criminelles, la résponsabilité des ministres etc. Ce n’est pas encore tout, m[ais] sur ces bases, si on parvient a les etablir, nous irons, non a la perfection que l’humanité ne comporte pas, mais au dégré de bien dont tout estre raisonnable doit se contenter.

Malheureusement les prélats et les nobles ne sont pas encore assez moderés, et les derniers rangs assez instruits, les états intermédiaires qui le sont parfaitement, sont pour cette raison odieux aux premiers et difficilement apperçus des seconds éblouis et aveuglés par les premiers rayons d’une liberté dont ils n’avoient pas seulement l’idée qui les enivre et les rend incapables d’entendre raison; l’esprit social ne peut s’établir que par l’influence d’une bonne constitution, et il seroit nécéssaire pour la former, [de] maniere que nous aurions dans ce moment besoin pour faire des loix d’une disposition qui ne peut estre qu’une suite d’elle. La Noblesse paroist tenir a la pretention facheuse de voter par ordre et non en commun et par tête ce qui rendroit inutile au tiers etat le nombre de ses deputes que les reglements ont rendu égal a celuy des deux premiers ordres, et qui veulent avéc raison deliberer en commun et voter par tête, seul moyen de mettre l’esprit public a la place de l’esprit de corps, il est a craindre que cette difficulté n’entraine une scission desastreuse.

Malgré les calamités recentes de la grêle, de la disette de grains et du grand h   quoyque nous soyons en plein anarchie et que personne ne soit assez sur d’estre obéi pour oser rien commander, la nation est si douce qu’il y a eu peu de desordres. Les troubles qui se sont élevés en bretagne, en Provence ou Mr. de Mirabeau joue un grand Rosle, en dauphiné en franche comté se sont appaises d’eux mêmes, il n’y a pas en tout cent hommes de tués, et si nous parvenons a une constitution raisonnable, nous l’obtiendrons meilleure, peutestre que celle des anglois et nous l’aurons acheptee bien moins cher que vous et eux.

Parmi ceux qui paroissent d’une maniere saillante se montre un homme dont vous ne vous seriez peut estre pas douté, qui doit par sa position, son rang, ses richesses, son indépendance se couvrir de gloire en consommant la révolution, ou de mépris s’il la manque, ou s’il la laisse imparfaite en ne soutenant pas les principes qu’il a solennellement declarés, c’est le duc D’Orleans; il a sans doute de grands deffauts, mais il a des vertus qu’on ne soupçonnoit pas et qu’il a passablement prouvées dans les dernieres calamités publiques; son caractere, a la vérité meslé de Bizarerie et d’originalité promet cependant d’estre ferme et l’abus de pouvoir qui, pour le motif le plus injuste la privé longtemps de sa liberté luy doit inspirer un desir de vengeance qu’il ne peut pas exercer plus voluptueusement qu’en retablissant le plus solidement possible la liberté individuelle et par conséquent celle de la nation.

30 avril

Plusieurs députés ne sont pas encore arrivés et ceux de Paris et environs n’etant pas élus, l’ouverture des etats qui devoit estre faite lundy dernier 27 avril est remise a Lundy 4 may, en attendant nous avons nostre bonne part [de] troubles publics, la pluspart des assemblées de Paris et environs ont été [fort?] tumultueuses, qu’un grand nombre, après un long temps employé a de v[aines?] clameurs ont été obligées de se séparer, sans avoir rien entamé, elles paroissent cependant s’appaiser et s’acheminer a une terminaison quelconque, mais le bas peuple, surtout les ouvriers, soit d’eux mêmes [soit] qu’ils soient soudoyés par des mécontents, ont causé de grands desordres, pillé des maisons, brulé des meubles, maltraité, tué même des particuliers; quelques troupes stationnées aux environs sont venues au secours, on a [été] obligé de tirer et avant hier au soir on croit qu’il y a eu près de cent [morts] et au moins autant de blessés, aujourdhuy le calme paroist rétabli; parmi les morts il y en a 25 ou trente qui ont peri dans des tourments affreux [en] devastant une manufacture de Papier dans les caves de laquelle ils ont   de l’eau forte et de l’huille de vitriol qu’ils ont bu pour du vin ou de la liqueur.

L’empereur a été fort mal et va mieux, mais on croit son mal incurable; le Dauphin paroist aussi n’estre pas loing de sa fin.

Toute la maison Chaumont est dispersée; Mr. de Ch. est a sa terre avéc ses deux filles non mariées; la Pauvre madame de Ch. plaide avec son mary en séparation de biens, elle va sous peu de jours habiter un cou[vent?]. Les maisons de Passy sont saisies reellement par les créanciers.

Mr. Jefferson vous remettra vraisemblablement cette lettre, et doit repasser apres l’equinoxe d’automne je serois sensiblement afligé s’il revenoit les mains vuides et s’il ne m’apportoit pas tout, ou au moins presque tout l’ouvrage que vous m’avez tant de fois et si solennellement promis.

9 may

Le Lundy 4 le Très St. Sacrement est sorti de la Paroisse de Morts-dame a Versailles suivi du Roy, de la Reine, de toute la famille Royale et de la cour dans la plus grande Pompe et des deputés des trois ordres revetus (chaque ordre) d’un costume different qu’ils ont bien voulu prendre sur la seule décision du grand maitre des ceremonies de france. Cette procession s’est rendue a la Paroisse de St. Louis ou il y a eu grand Messe, sermon etc. apres quoy chacun, y compris le Seigneur St. sacrement, est revenu separement dans sa demeure, on trouve que dans cette auguste cérémonie le Bondieu remplissoit un Rôle trop subalterne.

Le lendemain ouverture des états. Le Roy a fait un discours qu’on a beaucoup et sincerement applaudi pour ce qu’il contenoit et la maniere dont le Roy l’a debité, vous y trouverez cependant quelques expressions inquiétantes et qui sentent la caque, celuy du garde des sceaux n’a pas été entendu, Mr. Neker en a lu ou fait lire un qui a dure deux heures trois quarts, il n’est pas encore imprimé, en attendant on le juge toujours et rien de si variable, de si méchant et de si benin.

M. de Mirabeau deputé aux etats généraux pour le tiers etat de la Provence et qui promet la plus incoercible turbulence avoit imaginé de proposer une souscription de 3 l.t. par mois pour une feuille de journal des états qui auroit paru chaque jour, les deux premieres ont été distribuées, rien de plus licentieux et de plus exagéré contre les ennemis de l’auteur, ou plutost ceux dont il est ennemi; on ne croit pas nos têtes suffisament formées pour une liberté si grande et comme les loix relatives a la presse subsistent encore, l’ouvrage est arrêté; mais des clameurs, des cris, des maledictions contre la tyrannie!

10

1ere difficulté scission aux etats, l’ordre de la noblesse veut verifier ses pouvoirs luy même, sans l’intervention des deux autres, et le tiers etat veut avéc raison que la totalité des pouvoirs soit vérifiée en commun; cependant les avis sont partagés parmi les nobles, 45 ont voté pour lavis du tiers, mais de la, inaction, embarras du Roy, de Mr. Neker, des ministres et de tout le monde.

Beaucoup de troupes arrivent aux environs de Paris, mais sans causer d’inquietude; les affaires actuelles et la cherté du pain causent tant d’effervescence que le peuple a besoin d’estre contenu.

13

Les députés de Paris pour le tiers état ne sont pas encore nommés, ceux de la noblesse le sont de ce matin, je reçois un courrier de Mr. le Duc de la Rochefoucauld qui m’annonce qu’il est élu le second, il y en a 10, Mr. de Tollendal l’est aussi et ce qu’il y a de plus plaisant c’est que Mr. Deprémenil (?) son implacable adversaire est aussi deputé de la noblesse hors des murs de Paris. Mr. de la fayette a été elu pour un baillage d’auvergne aussi pour la noblesse.

15 may

Mr. le comte d’Artois elu pour la noblesse d’un Baillage du Bearn. Le   n’a pas cru qu’il put accepter et il a refusé.

24

Tous les députés de Paris et environs ont été présentés au Roy et sont réunis aux autres.

29 may

La même difficulté relativement a la verification des pouvoirs subsiste toujours quoyqu’absurde, malgré les commissaires conciliateurs et l’opinion du clergé qui paroist conforme a celle du tiers, la noblesse persiste, sans donner de motifs supportables, a vouloir juger seule de la validité de ses pouvoirs.

Jay diné hier chez madame helvetius avéc Mr. Jefferson et le Docteur James et vous jugez qu’il a été grandement question de vous.

Monsieur franklin
Endorsed: Le Veillard
644407 = 046-u218.html