From Pierre-Joseph Odolant-Desnos (unpublished)
a Alencon en normandie france ce 21 juin 1789
Monsieur,

Vous eutes La bonté de repondre en 1778 à une Lettre que je prie La Liberté de vous ecrire au sujet d’un enfant que j’avois perdu le 13 Juin précedent. Je crus reconnoitre mon fils au jeune homme qui vous etoit allé trouver deux fois. Vous me faisiés L’honneur de me marquer que vous aviés examiné ses papiers, que vous aviés trouvés tres en regle; que vous Lui aviez representé que ce n’etoit pas assés d’entendre L’Anglois dans les Livres, que c’etoit toute autre Chose dhabiter un paÿs ou on ne parloit que cette Langue; que dailleurs on n’aimoit pas Les francois dans Les états unis de L’Amerique. Malgré de si sages representations il vous repondit a la derniere entrevuë que le sort en étoit jetté, qu’il partoit. En effet ce malheureux enfant âgé de 19 ans et ½, enivré de l’entousiasme qui reignoit alors pour Les Americains et peut être seduit par l’enroleur M. de Beaumarchais fit enlever ses males de chez M. Levacher de la Feutrie Medecin a Paris chés Lequél il demeuroit depuis quatre ans Le 13 Juin trois heures heures [sic] après midi, sans que M notre Intendant dont je suis L’ami et le Medecin ait pu parvenir, par La voye de M le Lieutenant de Police et les relevés dans es ports de France, de la marche de cet enfant Cheri, dont je n’avois jamais eprouvé aucun mécontentement et qui n’avoit jamais eu sujet de se plaindre de ses parents.

Pardonnés donc à un malheureux pere courbé sous le poids des ans et des infirmités, fruits de quarante quatre ans d’exercice de la medecine en province, de s’adresser encore une fois au pere general des etats unis de L’Amerique et de le prier de vouloir bien faire inserer, dans les feuilles les plus généralement repanduës dans cette Contrée, la notice suivante ou telle autre que vous trouverez plus convenable.

On prie ceux qui auroient quelque Connoissance d’un jeune Francois nommé Gaspard Jacques Odolant desnos de Lazerie, ou portant seulement un de ces trois noms arrivé dans quelque partie des états unis a la fin de L’année 1778 ou dans la suivante d’en donner avis a M. Le docteur Franklin, d’y joindre tous les renseignements qu’on pouroit avoir sur son existence, sur le Lieu ou il seroit etabli, sur son adresse, et en cas qu’il n’existat plus sur le temps de sa mort et sur le Lieu ou il seroit mort. Il auroit présentement 30 ans faits, taille cinq pieds, peau un peu brune, regardant de près par un accident, quoique ses yeux bruns soient vifs et assés bien. Il a du ou doit éxercer la medecine, ou La Chirurgie, mais plutot La medecine.

Si par votre secours je pouvois recouvrer quelques renseignements sur Lexistance de ce fils cheri ce seroit L’unique bonheur auquel jaspire. Sil n’existe plus et que vous m’apprissiés sa mort certaine vous mettries fin aux recherches que je n’ay cessé de faire soit en Russie soit dans les autres états étrangers. Je n’ay pas encore perdu tout espoir: j’esperois peutêtre en recevoir des nouvelles a la paix; depuis dans le relevé des Francois morts en Angleterre, ou dans les etats unis fait par ordre du gouvernement, son nom ne se trouve point, mais je sens qu’il a pu arriver bien des négligences dans ce relevé. La certitude de sa mort éviteroit bien des frais a mes heritiers et la disparition de mon Cabinet de Livres qui font ma Consolation presentement que je ne puis plus voir qu’un petit nombre d’amis malades qui ont mis toute leur Confiance dans un vieillard infirme. Ce sontmes Livres qui me dedomagent de la perte entiere du someil, et Lorsque j’en suis fatigué je mets en ordre Les memories sur ma patrie que j’ay autrefois rassemblés dans mes Courses, dont j’ay deja publié trois gros vol. J’ay toujours cru a votre exemple qu’on doit travailler a instruire ses Compatriotes quand on ne peut plus Leur être untile autrement.

Vous avés été ami du feu docteur Dubourg qui étoit le mien et mon parent, vous avés le bonheur d’etre pere, c’est a ces titres que j’implore vos bontés et que je vous demande un dernier service: Je vous ferai remettre par les banquiers ce que vous aurés débourcé.

Je suis avec le plus profond respect, Monsieur, Votre tres humble et tres obeissant serviteur

Odolant Desnos d. M.
Correspondant de la Societé roÿale de
Medecine de Paris secretaire perpetuel de
la societe d’Agriculture de la Generalité
d’Alencon membre des accad. des sciences
et belles Lettres de Rouën, Caen, Angers,
et de la Societé Litteraire de Cherbourg
Endorsed: Ans’d.
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