From — d’Inarre (unpublished)
a francfort sur le Meyn le 22. 8bre 1784
Monsieur!

Cent Louis font toute ma fortune; on n’est pas riche avec cela en Europe. Permettés moi de vous demander si on l’est en Amerique avec une pareille Somme? Je Sai que votre Excellence me repondra: cela depend des cantons et de l’usage que l’on veut en faire; voicy donc ce que Je pense d’abord: J’ai lû et relû L’abbé Raynal; Je vois que la caroline Meridionale seroit le climat qui conviendroit à ma constitution; mais Je n’y trouve aucun detail sur l’etat actuel, tant du gouvernement que des droits des Planteurs; ni sur la valeur des Terres.

Je desirerois par inclination et par le genre de mes petites connoissances, devenir planteur. Mais suisje le maitre de choisir le terrein? Les incursions des Sauvages ne m’exposent-elles pas a recommencer eternellement? Combien coutent les 1000, ou moins d’acres? Y atil des années de franchise, comme ailleurs, pour les defricher? Il y a, Je crois, encore des Negres dans cette Province; Mais qu’en coute t-il pour Se procurer un aide de cette Espece, homme comme moi, et mon egal en tout?

Votre Excellence, autant je puis me souvenir de l’avoir lû plusieurs fois, a habitée elle meme cette Province, de plus elle est Ministre des Etats Unis, c’est en cette double qualité que J’ai pris la Liberté de m’addresser a elle directement pour Savoir quel parti prendre. Je ne cherche qu’a vivre de ce que je dois espérer de mes Soins, sans pretendre a une fortune brillante pour laquelle Je ne me suis senti de grandes inquietudes, mais Je ne voudrois pas agir a l’avanture, quel conseil peut etre plus réel que le votre pour me guider.

J’ay fait toute la guerre de 1767. a 63. [sic] comme officier dans le Regiment de Royal Nassau, Cavalerie Legere, incorporé depuis; Je suis gradué en droit, Je sai le Latin, le françois et L’allemand, ces deux dernieres Langues, l’une comme l’autre; depuis vingt cinq ans J’ai beaucoup negligé le Latin; Je me suis adonné plus specialement a la Physique qu’a tout autre Science; j’ai aussi fait valoir une terre pendant près de quinze ans; et c’est le bon prix qui vient de me la faire vendre; enfin, Monsieur, Ma femme consent a venir avec moi, et notre voyage payé, il me restera cent Louis, Si cet argent a cours en Amerique, sinon il faudra le changer. Que feriés-vous, Monsieur? Quels arrangemens prendriés vous? Ou pour le dire en deux mots, comment vous comporteriés vous, a ma place?

Il ne m’est pas permis d’ignorer, avec combien de zele, Votre Excellence, a travaillé pour la Liberté des Etats Unis, qui sans un Pere aussi eclairé, et aussi tendre seroient peutetre des Orphelins abandonnés a une Marâtre; c’est ce qui m’a inspiré la confiance d’esperer une reponse et des eclaircissemens, que’personne n’est mieux a meme de donner. Je supplie seulement, Votre Excellence, de vouloir me pardonner ma temerité et d’avoir de l’indulgence pour un homme qui depuis tres Longtemps est en Amerique en Esprit, mais que des circonstances ont toujours empeché d’y etre en corps, comme il espere que vous voudrés bien lui en faciliter le moyen par les Eclaircissemens qu’il ose vous demander et par un passeport s’il lui en falloit un. J’ay L’honneur d’etre avec un très profond Respect de Monsieur de Votre Excellence Le tres humble et tres obeïssant Serviteur

D’Inarre
avocat au conseil Souverain d’alsace a
francfort sur le Meyn; rue dite fahrgasse Lettre h
No. 36. p.s. mon age est de 43 ans et 4 mois.
Endorsed: D’yhare 22 Oct. 1784
641657 = 042-u332.html