[Louis Le Veillard] to ——— (unpublished)
Portrait du Charlatanisme fait par luymême dans un moment de franchise.

J’ay créé la race innombrable

qui par le merveilleux seduit le genre humain;

j’ay le ton emphatique avéc un air capable;

j’excelle aux tours d’esprit, j’excelle aux tours de main;

je m’envelope du mistère,

et je m’environne du bruit;

le bruit en impose au Vulgaire

et le silence a l’homme instruit;

on me Voyoit jadis sur la place d’Athênes

du haut de la tribune inspirer les rhéteurs;

près du tonneau de Diogènes

je rassemblai les spéctateurs;

j’ay fait valoir plus d’un grand homme;

changeant selon le siécle et selon les pays,

je m’en vais débitant des reliques a Rome

et des nouveautés a Paris;

autrefois moliniste,

ensuite janséniste,

puis encyclopédiste,

et puis économiste,

a present mésmeriste;

cest moy qui traduisis par d’heureux changements

l’esprit évangélique,

l’étude politique,

la science phisique

en stile de romans;

dans le siécle passé je redoutois Molière,

a son nom encor je frémis;

dans le siécle present je redoutois Voltaire,

Rousseau, sans le vouloir, etoit de mes amis;

dans le senat anglais je joue un tres grand rosle[,]

mon zêle aux deux partis se vend le meme jou[r,]

puissant d’intrigue et de parole,

je suis Catilina, Cicéron tour à tour;

a l’amérique anglaise encore un peu sauvage

je n’ai pu jusqu’ici faire accepter mes dons,

mais j’en éspere davantage

depuis que ses heros [written above: guerriers] des cordons;

des papes quelquefois je colorai les bulles;

jay souvent embelli les récits des héros;

de nos controleurs généraux

je tourne aussi les préambules;

je dicte à nos prélats de pieux mandemants,

des discours aux academies;

sans etre ému, j’ay de grands mouvements,

pompeusement j’orne des minuties;

professeur émérite a l’université,

je suis vieux docteur en sorbonne,

mais ma premiere place est dans la faculté

et ma seconde auprès du throne.

En peu de mots voici les traits

auxquels on peut me reconnoitre,

j’aime a parler, j’aime a paraistre,

j’aime a prôner ce que je sais,

j’aime a grossir ce que je fais,

j’aime a juger, j’aime a promettre,

j’annonce les plus beaux secrets,

je n’en ai qu’un, celuy de mettre

tous les sots dans mes intérests;

venez voir dans Paris tout l’or que j’accumule,

venez voir près de moy les badauts atroupés,

depuis la sainte ampoule ils y sont attrapés,

le français si malin est encor plus crédule.

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