Blanchette Caillot to William Temple Franklin (unpublished)
No. 10 / St G ce mardi 4 avril 1786

Oh! mon ami! comment ecrire cette lettre? En auroisje le courage? Que de peines oh mon dieu! Helas! Ne naissons nous que pour souffrir. Ecoutez mon bon ami, écoutez, et plaignez votre malheureuse Blanchette depuis quelque tems mon pere est attaqué d’une maladie douloureuse et qui laisse peu d’espoir, dans le même tems ma chere petite motte prend les fievres tierces, qui sans donner d’inquietudes pour sa vie me donne le cruel chagrin de la voir souffrir, et changer d’une maniere incroyable, c’est au milieux de toutes ces peines que j’aprends la perte de mon fils de mon cher petit Th…cet aimable enfant dont je vous ai tant parlé. Helas!, avoir trop de bonheur à le cherire, il faloit que ce bonheur me fut encore enlevé, je ne le verai plus! Oh! mon bon ami! prenez part à ma douleur, s’il est une possibilite de la calmer c’est le seul moyen. Il avoit la petite vérole on me l’avoit caché. On esperoit que se tirant bien de cette affreuse maladie on m’apprendroit au même tems et la maladie et la guérison mais je n’etois pas assez malheureuse au gré du sort, il falloit le perdre, il faut ne le plus voir, la pousse de deux grosse dents est ce qui lui a donné la mort, il n’a pu suporter tant de maux à la fois! Et je l’ai perdu perdu, pour toujours; c’est ce que je ne puis me persuader, comme il n’etoit pas chez moi à demeure je crois à tout instant que je vais le voir entrer et me sourire. Helas il étoit si beau et doux, il étoit bien permis de l’adorer, mon bon ami je l’adorois et je l’ai perdu! quoi faut il donc renoncer à tout ce qui m’est cher? Faut il perdre tous les objets chers à mon coeur? mais il le faut! Plus de bonheur pour moi! Et vous même qui en revenant en france pouvez adoucir une partie de mes peines vous me faites entendre que vous n’y reviendrez plus, je voudrois m’etre trompée cependant je crois avoir compris ce que vous ne me dites pas mais ce que vous voulez me dire. Il est bien dans mon ame que vous ne faisiez pas de bassesses pour quoi que ce soit au monde, j’aimerois mieux ne vous revoir de ma vie que de vous revoir coupable d’une pareille faute mais parler des dignites que l’on obtient dans sa province n’est ce pas annoncer le projet d’y rester. Si votre état votre fortune le demande restez soyez tranquil certainement l’idée de ne vous plus voir est affreuse, je ne vous en voudrai pourtant pas, je serai persuadée que ce ne sera pas le parti de votre coeur mais celui de la raison que vous choisirés et j’ai toujours pensé que dans les occasions importantes un homme d’honneur devoit prendre le dernier. Cependant mon ami peut etre je ne vous parlerois pas avec tant de courage si à votre retour ici il m’etoit possible de vous voir tous les jours, agissez donc comme si je n’existois pas songez pourtant un peu au bonheur que j’aurois de vous avoir pres de moi mais songez en même tems que comme vous je hais les bassesses et l’humiliation. Il faut attendre je le vois les circonstances, il y bien long tems qu’elles sont contre moi; et puis mon ami attendre votre retour de la justice des hommes, si vous avez de l’espoir, quelle difference de votre pays au mien!

Il faut repondre à plusieurs articles de votre No. 4. D’abord au sujet de vos lettres j’en ai recue deux avant votre embarquement c’est à dire une de la poste et une du voisin contenant un billet de 300 l.t., et de puis votre arrivée j’en ai recue trois deux de ph…et une de New y…a qui vous faites l’honneur de mettre le No 4 quoi que son veritable soit le 3. Pour moi je n’ai pas de liste comme vous le pensez je sais que vous devez avoir recu 9 lettres puisque je suis au No. 10. Cependant je ne suis pas sure si je n’ai pas été embrouillée aux numéros 6 et 7, je crois l’avoir marqué en haut de la page du numero 7.

Il me reste à present mon ami à vous expliquer les choses que vous nentendez pas, il en est une que vous n’avez pas devinée surment par modestie, et le Monsieur qui mord ses pouces les laisseroit en paix, s’il avoit accepte les propositions de votre pere lorqu’il vous à proposé pour sa premiere fille. Je vous parle dans mes autres lettres du mariage de la seconde aussi je ne vous en dirai rien si non qu’elle traite son mari avec un rigueur qui aproche un peu du dédain la chere personne n’etoit pas faites pour être mariée son coeur n’avoit besoin que d’amitié aussi repousat’il l’amour, et le mari n’eprouve que des caprices quand, la bonne amie est traitée avec toutes la tendresse possible.

A l’egard de la demoiselle j’ai voulu simplement dire que ce n’etoit pas le mari que vous connoissez mais une autre personne que vous n’avez jamais vue, au surplus je crois qu’elle ne veut pas du premier, et qu’on lui refuse le second ce qu’il y a de certain c’est qu’elle est encore fille. Mais vous ne l’aimez pas assez pour en parler trop long tems, il faut que vous soyez aussi loin de moi pour que je vous écrive sur tous ces sujets ayant le coeur aussi pénétré de douleur.

Ecrivez moi plus souvent je vous en conjure pensez au plaisir si doux que j’eprouve en recevant vos lettres, vous voyez que j’en ai plus besoin que jamais. Helas je ne puis vous dire tout ce que je sens vous êtes si loin on ôse s’exprimer ou à ne rien dire et vous ne savez plus deviner, oh mon bon ami il faut pourtant que vous diviniez mon coeur, cette lettre est bien froide relativement à ce qu’il éprouve. Mais tout m’impose silence. Adieu mon ami, ma plus douce consolation, dites moi que je vous suis toujours aussi chere peut-etre la vie me sembleroit’elle plus suportable. Adieu, adieu, donnez moi un moyen pour vous faire parvenir ce que j’ai à vous je n’en sais pas bien le montant mais je crois que [illegible] de 5 a 600 l.t.

J’espere que Mon de la Va…n’est pas encore parti je vais envoyer cette triste lettre au voisin qui la lui fera surment parvenire le plutot possible vous connoissez son zel pour vous obliger. Adieu encore une fois dites moi je vous en prie si vous comptez revenir ne me cachez rien de vos intentions à ce sujet, oh mon bon ami que vous veniez ou que vous restiez le coeur de votre malheureuse Blanchette n’en sera pas moins étérnéllment à vous.

Mon de la Va…a une autre lettre de moi je ne savois pas en l’ecrivant tous les malheurs qui ne tarderoient pas à m’arriver.

Notation: Recd 16. Augt. 1786.
643038 = 044-u051.html