From Pierre-François Chevallié (unpublished)
Rochefort le 21. 8bre 1784
Monseigneur,

Ayant fait l’acquisition au mois de mai 1777. du Vaisseau du Roy l’Hyppopotâme de 50. Canons, et la cession un mois aprés en faveur de M. de Beaumarchais je fus chargé par Luy de luy faire son radoub, Armément, et Expédition et de suppleer le nom du Fier Rodrigue, à celuy d’Hyppopotâme. Vous vous rappellerés aisément, Monseigneur, combien les sollicitudes continuelles de l’Ambassadeur de Sa Majesté Britannique (M. Stormont alors à Paris) ont nécéssités de peines et de soins par les précautions qu’il me fallut prendre pour parvenir à monter cette opération au grés des vuës de M. de Beaumarchais. J’ai été assés heureux pour les remplir et j’ai des Lettres de ce correspondant pleines d’éloges et de témoignages les plus flatteurs de sa satisfaction de ma conduite! Aussy m’ayant ensuite demandé à aller moi même dans le Vaisseau en qualité de Supercargue pour y gérer sa Cargaison et exécuter toutes les opérations politiques et de Commerce, en Amérique, je n’hésitai pas plus de vingt quatre heures à y consentir, je m’embarquai donc sur ce Vaisseau qui appareilla des rades de l’Isle d’aix le 7. Avril 1778. porteur d’un Duplicata du Traitté d’Union et de Commerce, entre la France et les Etats Unis de l’Amérique. J’arrivai le 26. May suivant au fort de Hampton à l’embouchure des Riviéres James et d’York dans la Baye de Chésapeak. Je fus assez heureux pour avoir rempli ma mission dans deux mois vingt huit jours de séjour au Continent (Le Vaisseau ayant appareillé de dessous le Cap Henry le 25. aoust suivant) et d’accomplir ce voyage dans un terme de cinq mois vingt trois jours (étant arrivé au lieu de son départ dans les Rades de l’Isle d’aix) le 1er. 8bre. 1778.

Au lieu d’avoir des témoignages satisfaisants de M. de Beaumarchais aprés mon retour de cet important voyage, il me suscita des difficultés infinies pour me priver des avantages qu’il m’avoit fait et accordé par un traitté passé entre nous avant l’epoque de mon Embarquement. Il fallut en venir à un Réglement à l’amiable! Qui fut arretté en Arbitrage par trois des plus célébres Négociants de Bordeaux qui rendirent leur sentence Arbitrale le 20. May 1779. conforme a la copie que j’ai l’honneur de vous remettre cyjoint.

Malgré cette division survenuë alors entre M. de Beaumarchais et moi, je ne fus pas moins chargé par luy du second Armément et Expédition du même Vaisseau, tout à fait en guerre! Je ne rappellerai icy à votre Excellence son combat à la prise de l’Isle de la Grénade aux Antilles sous les ordres de M. le Comte d’Estaing vice Amiral dans lequel le Sieur Montaut l’ainé qui le commandoit fut tué que pour prouver que je n’avois rien laissé a désirer pour que le Vaisseau fut en êtat de combattre en Ligne ainsy que cela est arrivé, c’est aussy ce qui m’a merité de la part de M. de Beaumarchais un second temoignage de sa satisfaction en se rendant de luy même et de son propre mouvement à me faire donner par le Sieur de Francy son agent alors, deux Mandats ou Délégations sur l’Etat de Virginie, l’un de 5420. pounds 1. schelling et 6. sols en argent réél et l’autre de 46.millers de tabac qui me revenoient pour ma Commission de trois pour cent dans les fonds qui luy sont dûs et que j’ai été forcé par les circonstances de laisser aprés moi; j’ai encore l’honneur de remettre cy-joint à vôtre Excellence les copies de ces deux Mandats et de la Lettre qui fut écrite le 9. 7bre. 1780. au Sieur Armistead agent de l’Etat de Virginie pour luy en donner avis.

Et quoique M. le Comte de Vergennes m’ait accordé aux sollicitations de M. le Comte de la Touche Capitaine des Vaisseaux du Roy le 26. Avril 1782. une lettre de recommandation de mes intérests tres particulière à M. le Chevalier de la Luzerne notre Ministre plénipotentiaire auprés du Congrés qui s’est donné tous les soins imaginables pour obtenir du Gouverneur et des Officiers de l’Etat de Virginie le payément de ces deux Mandats, en à compte des sommes considérables qui sont duës à M. de Beaumarchais, mais qui ont été sans effet jusqu’a present. J’ai recours avec la plus grande confiance à la justice de votre Excellence à ce qu’il luy plaise protéger la reclamation que je fais faire de son influence auprés des puissances de l’Etat de Virginie et du Congrés.

Je supplie votre Excellence de m’accorder sa bienveillance et l’appui de votre recommandation personnelle, pour qu’il me soit payé sans plus de rétard en principal et Intérest toutes les sommes qui me sont duës. Le besoin que j’en ai est d’autant plus pressant que mon honneur ainsy que ma réputation en dépend et tient à leur prompte rentrée entre mes mains.

Le Mémoire et le pacquet que j’ai l’honneur d’addresser cyjoint à votre Excellence contenant mes Lettres particuliéres à Messieurs de Marbois, le Marquis de lafayette, Oster, Dominique Cabarus neveu et au Sieur Sans la mettront au fait de mes justes démandes aux uns et aux autres, et de ce que j’ai lieu d’en attendre.

Je suis avec un profond Respect De vôtre Excellence le trés humble, trés obeissant et soumis serviteur

Chevallié

Monseigneur Benjamin franklin Ministre Plenipotentiaire des Etats unis à Passy.
Mémoire A son Excellence Monseigneur Benjamin Franklin Ministre plénipotentiaire des treize Etats unis de l’Amérique auprès de Sa Majesté trés chrétienne le Roy de France
Rochefort le 21 8bre 1784
Monseigneur

Le Sieur Chevallié Négociant, Armateur à Rochefort se trouve par un enchainement de circonstances, plus malheureuses les unes que les autres, Créancier de l’Etat de Virginie, à raison de sa commission sur le montant du produit de la Vente de la Cargaison du Vaisseau Le fier Roderigue qui fut faite par luy au dit Etat, le 8. Juin 1778. sur le pied de six schellings argent monnoie de Virginie, pour chaque Livre tournois de la facture des Marchandises arrettée en France, et c’est son Excellence Peter Henry Gouverneur qui présidoit alors la dite Province.

Par des arrangements faits entre le dit Sieur Chevallié et Mr. Caron de Beaumarchais armateur et proprietaire du Vaisseau, à la suite de beaucoup de contestations réglées par une sentence arbitrale renduë par trois célébres négociants de Bordeaux qui avoient êtes choisis et nommés entre les parties le vingt mai 1779, Le dit Sieur de Beaumarchais par le ministère du Sieur de francy son agent à délégué en faveur du dit Sieur Chevallié sur ce qui luy reste dû par l’Etat de Virginie du montant de la vente cydessus 5420. pounds. 1. schelling, 6.sols, et 46. Milliers de tabac avec les intérests sur l’argent à compter du 1er Juillet 1778; cette Délégation a été ainsy operée en deux Mandats du dit Sieur de francy dattés à Bordeaux le 9 7bre 1780 qu’il a tirés sur M. Armistead agent de l’Etat de Virginie, ou tel autre à sa place, pour être payés a l’ordre à l’ordre [sic] du dit Sieur Chevallié, à dix jours de vue.

Pendant tout le tems qu’a duré la fin de la guêrre, il n’a pas été possible au Sieur Chevallié de faire rendre des originaux de ces deux mandats au Continent, et le Sieur Dominique Cabarrus neveu qui étoit passé sur la frégate L’aigle armée en ce port sous le commandement de M. Le Comte de la touche qui avoit procuration et les titres nécéssaires à la reclamation des Créances du dit Sieur Chevallié, eût le malheur de perdre la malle dans laquelle il avoit serré ces papiers, et ce n’a été que par le plus grand hazard que les dits deux Mandats se trouvérent dans un pacquet mis a bord de la frégate la Gloire, et que le dit Sieur Chevallié avoit addressé à M. Oster vice Consul à Philadelphie, mais la procuration manquoit! et ce n’est que depuis la paix qu’elle a été renduë à bien entre les mains du dit Sieur Cabarus avec les deux Mandats à luy remis par M. Oster.

Le Sieur Chevallié par un attachement sans bornes à la cause commune des braves et illustres Américains, pour Leur Indépendance continua ses Opérations de Commerce et ses spéculations avec le même Continent, jusqu’a l’epoque de la Paix, il en est résulté pour luy d’assés grosses pertes et des augmentations de Créances puisqu’il Luy est dû en outre de celle sur l’Etat de Virginie

1º Par le Congrés, pour sa portion dans une lettre de change tirée de Charles-Town, in 1779. par le Général Lincoln une somme de cent huit mille trois cent soixante Dollars.

2º Par le Sieur Sans Négociant à York-Town en Virginie deux cent quarante Boucauds de Tabac environ, par reconnoissance de luy donnée en Juin 1780. mais dont le principe de la dête est au moins de Decembre 1779.

3º Par Mr. Wallnay à Boston une Somme d’environ 15 à 20,000 l.t. argent de france qui se trouve confonduë dans une masse de produit d’une vente publique, de diverses Marchandises qui avoient étés embarquées sur le Navire l’aimable Suzanne, nauffragé en 1779. sur cette Cote et dont M. de Montieu retient la délivrance par le rétard qu’il a mis jusqu’a present dans l’envoi de sa procuration, ayant un intérest particulier dans les deniers qui sont déposés au Consulat de Boston.

Toutes ces différentes Créances jointes à des pertes considérables qu’a faites le Sieur Chevallié dans des Expéditions pour le même continent et que le Sieur Gabarus est en Etat d’articuler sur les Lieux, l’ont mis dans l’impossibilité de se soutenir sur le courant de son commerce: aussy s’est il trouvé forcé depuis un an de cesser ses payements et de solliciter du Conseil d’Etat du Roy un arret de surséance qu’il a obtenu le 25. 8bre. 1783. Il en demande la prolongation pour une autre année dans ce moment cy.

Dans l’Etat de détresse ou il est, et qui a été occasionné uniquement par le trop grand éloignement qu’il a éprouvé des fonds à luy dus par l’Etat de la province de Virginie, par le Congrés, par le Sieur Sans, et par M. Wallnay, ainsy qu’il vient de le faire voir dans son exposé, il seroit bien   si on luy faisoit encore éprouver des rétards à le payer. Ses craintes et sa position actuelle l’ont determinés à addresser ses réprésentations à Votre Excéllence.

Chevallié

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