From — Roulhac (unpublished)
Limoges le 25 May 1784
Monsieur,

J’ai l’honneur de madresser à vous avec une entiere confiance pour vous demander une grâce que j’ose attendre de la bonté de votre coeur et de la magnanimité de vos sentimens.

Dans le courant du mois de février 1777, le Sieur Roulhac mon frere cadet partit de france sur le Navire La Duchesse de Mortemart, pour l’Amérique Septentrionale, en qualité d’Envoyé de la maison de commerce de Bordeaux Reculez de Basmarein, Raimbaux et compagnie qui faisoient alors des expéditions considérables pour le continent de l’Amérique. Arrivé à Boston il n’y demeura que quelques mois, et transféra au commencement de 1778 son domicile à Edenton, ou il s’occupa pendant quelques années des affaires de ses commettans. Mais les malheurs de la guerre ayant forcé ces derniers de manquer mon frere abbandonna le commerce. Une lettre de lui du 20 may 1781, la derniere qui nous soit parvenue de sa part, nous apprend, qu’il a achetté une habitation à Elliseous-point dans le comté de Beaufort à 4 milles de la petite ville de Bath. Il y parle aussi d’un mariage qu’il se propose de faire avec Mis Nancy Ormon, fille d’un avocat distingué dans ce canton dont les biens sont situés tout proche des siens, et pour lequel il demande l’agrément de ses Parens.

Depuis cette Epoque, Monsieur, nous n’avons plus eu de lui aucunes nouvelles directes, malgré qu’il ait du recevoir nombre de lettres que nous lui avons adressées de france en différens tems. Il y a même plus. Un autre de mes freres plus jeunes est parti au mois de 9bre 1782 de Rochefort sur la frégatte La Danäé, pour aller le rejoindre. Il nous a écrit de Baltimore au mois de janvier suivant, avant d’avoir vu son frere, qu’il en avoit oui parler, que ce dernier vivoit entierement retiré du commerce sur son habitation près de Bath, et qu’il étoit généralement estimé dans sa contrée. Mais quoiqu’ils se soient probablement réunis peu de tems après, nous n’avons plus recu depuis ce moment aucune lettre ni de l’un ni de l’autre. Ils ont cependant été vus, il y a environ un an, par un francois qui a logé dans la même auberge qu’eux, mais qui ne prévoyant pas les questions qu’on auroit à lui faire en france sur leur compte, a négligé de s’informer des détails qui les concernoient, et a dit seulement les avoir laissés bien portans.

Ce silence affecté et réfléchi de la part de deux jeunes gens qui n’ont point démérité de leurs Parens, qui en ont au contraire toujours été chéris, et qui jusqu’à présent se sont rendus dignes de leur tendresse, par leur bonne conduite et leurs sentimens, ce silence, disje, afflige et inquiete en même tems singulierement toute une famille honnête. Je prendrai la liberté respectueuse, Monsieur, de verser dans votre sein sous la foi du secret nos tristes apréhensions. Nous craignons, et quelques propos indirects parvenus jusqu’à nous semblent autoriser ce soupçon, que le plus âgé des deux n’ait eprouvé dans ses affaires quelque revers qui puisse le compromettre personellement. Doué de la Probité la plus sévere, mais jeune encore, peu expérimenté et transplanté tout à coup sur un autre hémisphere, ayant eu à sa disposition des fonds considérables, au moins en Papier monnoye appartenans à ses commettans, devenu depuis leur faillite la Propriété de leurs créanciers, je tremble qu’il ne se soit laissé égarer par les conseils pernicieux de gens plus habiles que lui, et peut être intéressé à le tromper, qu’il n’ait fait quelque mauvaise spéculation, et qu’il n’ait malheureusement engagé ses fonds de maniere à ne pouvoir plus les retirer, que cette triste position n’enchaine sa plume, et quil ne se voue à un silence absolu, que pour éviter d’entrer dans des détails cruels pour lui et pour ses Parens.

Oserois je, Monsieur, vous supplier d’entrer dans les peines d’une famille désolée, et d’user de tous les moyens que votre Place et vos relations mettent en votre pouvoir, pour vous procurer des informations exactes sur le personel et la position de ces deux jeunes gens? Malgré les torts apparens que leur donne le silence ou ils s’enveloppent, je n’hésiterais pas à répondre de l’honnêteté de leur ame. Mais cette intime persuasion de ma part ne fait qu’accroitre mes inquiétudes sur la fatalité des circonstances qui leur imposent une conduite aussi extraordinaire. Je les vois d’ailleurs accusés d’infidélité de la part des intéressés aux expéditions dont les fonds ont passé par leurs mains, sans savoir s’ils meritent ou non l’horreur d’une pareille imputation.

Si vous daignés, Monsieur, accorder à mes trés humbles prieres, la faveur que je sollicite, ma vive reconnoissance egalera ma vénération pour un un [sic] nom consacré par l’admiration de toute l’Europe.

Je suis avec le plus profond Respect, Monsieur, Votre três humble et três obéissant serviteur

Roulhac
Lieutenant Général civil et de
Police en la Sénéchaussée et siége Présidial
de Limoges
Endorsed: Roùlhac 25 May 1784
641218 = 041-u624.html