From — Bégougne (unpublished)
Limoges 12. 7bre 1777
Monsieur,

L’amour de mon Etat, le desir d’agrandir mes cognaissances, celuy peut-être de me faire un nom dans la republique des Sciences, tous ces motifs m’anhardissont a vous presenter ce memoire: les grands hommes, me suis je dit à moy même, avant de prendre la liberté de vous comuniquer mes vues, favorisent toujours les sciences dont ils sont les peres nourissiers; ils encouragent ceux des hômes que la nature à doûé de l’amour du Travail, et par leur Exemple, et en leur fournissant des moyens de devenir quelquefois leurs égaux. Encouragé par ces verités et par l’assurance ou je suis que vous accordés vôtre protection a ceux que les grandes choses animent et que la peine n’efraye jamais: du nombre de ceux ci, je me renge sous votre tutelle a qui pouvois je mieux m’adresser pour voir accomplir mes projéts; je suis hôme, cette seule qualité fait que je vous suis cher, moins eloigné de vous par mon état que tout autre. Je desire ardament de faire encore quelques pas vers la Medecine pour me Raprocher graduellement des scavants, ou du moins pour me mettre en même de les comprendre: douce Satisfaction pour celuy dont la constitution Phisique Rend les Sens Susceptibles de cette Impression.

Reduit à vivre dans la Capitale d’une Province ou les ressources sont enfermées dans un cercle étroit, ou on ne trouve presque jamais l’ocasion d’acquerir des talens, ou de mettre au jour ceux que l’on a acquis dans les Universités, ou souvent la mediocrité des fortunes nous fixe un sejour trop limité, nous végétons pour ainsy Dire entourés d’hômes peu Instruits et qui arrivé dans cette ville j’y subis les Examens necessaires pour me mettre au nombre de M.M. les Medecins agregés, ma famille me vit a cette époque membre de ce college avec dautant plus de satisfaction qu’elle crût ce moyen propre à m’enchainer aupres d’elle. Mon goût pour l’expatriation luy était cognû et elle ne cessait de me donner des marques du grand desir qu’elle avait de m’y retenir. Ce fût en vain que je tentay plusieurs fois d’obtenir d’elle quelque argent pour me rendre à viéne ou le Sçavant Dêhaên m’attirait, elle persista toujours dans ses refûs.

La guerre des Bostoniens semble m’ouvrir une Cariére ou je puiserais en Medecine pratique beaucoup d’observations qui dans la suitte me mettraint en même de faire la medecine avec quelques succés. Dans le nombre des français passés chés les Insurgens je crois qu’on compte peu de Medecins: si mes jeunes Talens avaint le Don de vous aggréer, je vous supplierais de m’accorder une place dans l’armee ou avec vôtre protection que j’implore je pourais joindre l’agreable à l’utile: si vos bontés voulaint maccorder des appintemens fixes a mon Embarquement: cette seconde grace vous paraitra d’abord une Indiscrétion dictée par l’Interêt...un instant, et je suis blanchi.

Mes parens qui donneraint a peine leur consentement à mon départ s’y opposeraint formélement s’il fallait me faire les moindres avances pecunieres: ce moyen, même, leurs semblerait le seul propre à me retenir puisque c’est luy qui m’attache à ma patrie depuis long-tems.

Quand au contraire je pouray par vos bontés partir pour Boston, en qualité de Medecin d’armée, sans ce besoin, rien ne s’opposera a mon Embarquement et je vous devray tout le bonheur dont on jouit quand on vit aisément et selon ses vûes. Je seray heureux. Ce sera vôtre ouvrage; qui de nous deux le sera le plus?

M. De Basmarin à qui jay l’avantage d’appartenir sera caution de tout ce que j’ay l’honneur de vous avancer. Peut-etre même n’aurais je pas pris la liberté de vous adresser ce memoire si je n’eusse eté persuadé de la protection de vôtre ami auprés de vous: la crainte de paraitre un àvanturier sans nom aurait eteint en moi le desir de parvenir à une fin que vous loûrés! peut étre.

Persuadé, combien vous etes affairé, desirant de ne pas vous ennuyer par une énumeration trop longue de raisons que la quantité pourait rendre minutieuses je me borne a l’exposé que je viens de mêttre sous vos yeux.

Digne à tous égards des éloges du monde entier ma plume se recognait trop foible pour en grossir le tableau, elle n’ose entreprendre de peindre de si grands Talens et des vertus si eminentes, l’orateur quelque fois embélit son sujét; icy le sujet embélirait l’orateur assés hardi et assés éloquent pour faire sans obmission l’éloge du plus grand hôme.

Je supplie vos bontés avec les plus vives Instances de jetter un regard favorable sur le plan d’un jeune hôme animé par le desir d’acquerir des cognaissances et qui vous conjure de le croire dans les sentimens de la plus haute consideration et de l’estime la plus respectueuse et la plus distinguée Monsieur Votre tres humble et tres obeissant serviteur

Bégougne méd[ecin]

au Docteur franklin par un Medecin de Province
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